11 mars 2022

Les Alsaciens veulent retrouver une Région Alsace

Lundi 21 février 2022 : « L’Alsace doit-elle sortir du Grand Est ? ». 92,4 % des votants ont répondu Oui à la question posée par la Collectivité européenne d’Alsace. Même s'il a mobilisé moins d'un dixième de la population de la Région, ce vote interpelle la communauté nationale sur les réalités alsaciennes et sur la pertinence des méga-Régions créées par le président François Hollande en 2015.

Frédéric Bierry (à gauche) et Éric Straumann, maire de Colmar, lors de l'inauguration de la Maison de l'Alsace à Paris le 3 mars 2017.Frédéric Bierry, président de la jeune Collectivité européenne d’Alsace (CEA), a dévoilé, lundi 21 février 2022, le résultat de la consultation populaire ouverte aux Alsaciens du 20 décembre 2021 au 15 février 2022 sur la question : « L’Alsace doit-elle sortir du Grand Est ? ». Il espérait 100 000 participants : ils furent 153 844 à voter, dont 142 200 avec la réponse oui !

Tant que ce genre d’initiative était lancée par le parti Unser Land, il était aisé, pour les partisans de la Région Grand Est, de moquer l’agitation des autonomistes, en arguant d’un prétendu repli sur soi. Cette fois, la charge émane du président de la CEA et cela change la donne. Pour autant, les Français de l’Intérieur (1217) comprennent mal, voire pas du tout ce qu’il se passe en Alsace.

Pétris, depuis les bancs de l’école, de clichés d’une Alsace éperdument française, déchirée entre deux cultures mais toujours heureusement délivrée par le pays des droits de l’homme, la moindre contestation de ce mythe apparaît forcément suspecte, voire nauséabonde. C’est méconnaître totalement la richesse d’une culture multiséculaire, ancrée au cœur de l’Europe que d’aucuns voudraient réduire à un folklore sympathique et commercial. Une méconnaissance à laquelle n’échappent ni les parlementaires, ni les gouvernements et ni les hauts-fonctionnaires formés à l’école de la République « une et indivisible », alors qu’un minimum de curiosité intellectuelle et d’écoute permettrait d’éviter bien de coûteuses erreurs…

La Petite Venise à Colmar. Agrandissement : Cigognes sur le toit d'une maison alsacienne.

« Nos ancêtres les Gaulois »

Si l’architecture, la gastronomie, les traditions font cette Alsace que viennent goûter des millions de touristes du monde entier, c’est précisément parce qu’elles n’ont rien de… Gaulois ! L’Alsace est l’héritière de tribus germaniques venues du Nord de l’actuelle Allemagne au Ve siècle en passant par le bassin de l’Elbe. Elle relève d’un ensemble culturel dont elle conserve, aujourd’hui encore, les dialectes alémaniques et franciques directement liés au Hochdeutsch (allemand standard).

Lors du dépeçage de l’empire de Charlemagne, l’Alsace est intégrée à la Lotharingie puis, pour l’essentiel, au Saint Empire romain germanique dont elle partagera longtemps les succès et les tourments. C’est l’historiographie officielle née après la défaite de 1870 dans la guerre franco-prussienne qui va faire naître le mythe d’une Alsace française « de toute éternité ». En d’autres termes, non pas l’histoire de l’Alsace telle qu’elle est mais l’histoire de l’Alsace telle qu’elle doit être.

La Tache noire ou La leçon de géographie, Albert Bettannier, 1887 (le professeur pointant vers les terres françaises perdues d'Alsace-Lorraine en classe de français), Albert Bettannier. Agrandissement : Le Souvenir, sculpture de Paul Dubois, commémorant la perte de l'Alsace et de la Moselle dans la guerre de 1870 (Nancy).

Ainsi en est-il de 1648, que tous les manuels scolaires présentent comme la date de rattachement de l’Alsace à la couronne de France à l’issue de la guerre de Trente Ans. Par les traités de Westphalie, Louis XIV ne s’attribua que les possessions alsaciennes des Habsbourg, essentiellement l’actuel Sundgau, au sud de l’Alsace. Celles-ci furent alors détachées du Saint Empire romain germanique à la différence du reste de l’Alsace. Strasbourg n’a été rattachée à la France qu’en 1681 et Mulhouse en 1798.

L'Alsace, elle attend (tableau emblématique du peintre alsacien Jean-Jacques Henner, offert en 1872 à Gambetta) ; agrandissment : les annexés en Alsace, Albert Bettannier, 1911, Metz, musée de la Cour d'Or.Au moment où Napoléon III déclare la guerre à la Prusse et ses alliés, Mulhouse - jusqu’alors République libre et indépendante alliée à la Confédération Suisse - n’est donc française que depuis 72 ans ! 

Sous la souveraineté allemande (1871-1918), à l’issue du traité de Francfort, le Reichsland Elsass-Lothringen bénéficie d’une législation sociale très avancée et acquiert en 1911 une Constitution lui conférant une large autonomie.

Son Landtag (Parlement) est occupé actuellement par le Théâtre national de Strasbourg, place de la République, anciennement Kaiserplatz

De retour dans le giron de la France en 1918, l’Alsace conservera nombre de ses particularismes : Concordat, assurances sociales, mutuelles…

Au lendemain de la Seconde Guerre mondiale, la disparition de la génération née à la toute fin du XIXe siècle et au début du XXe, quasi-exclusivement dialectophone et germanophone, marque le déclin de la culture alsacienne tandis que la génération suivante abandonnera ses dialectes multiséculaires.

Manifestation contre la réforme territoriale et la fusion Alsace-Lorraine le 28 juin 2014 à Strasbourg place du château.

La création de la Région Grand Est et le réveil de l’Alsace

C’est dans ce contexte que la classe politique envisage en 2013 de fusionner les deux départements alsaciens et la Région administrative en une « collectivité territoriale unique » inspirée des Länder d’outre-Rhin. Mais le projet est rejeté par les électeurs alsaciens lors du référendum du 7 avril 2013.

Qu’à cela ne tienne, le président de la République, François Hollande, sort de son chapeau l’année suivante, au cours du second semestre 2014, le projet de ramener de 22 à 13 les régions métropolitaines. De son propre aveu (Les leçons du pouvoir, Stock, 2018), ce projet résultait d’un simple trait de crayon, sans aucune réflexion stratégique, économique, sociologique ou historique.

Dessin de Charles Spindler présentant le drapeau alsacien, 1909, Bibliothèque nationale et universitaire de Strasbourg. Agrandissement : Affiche régionaliste alsacienne incitant à voter pour le droit local, s.d., Bibliothèque nationale et universitaire de Strasbourg.Il prévoit ainsi de fusionner en une seule  les trois régions Alsace, Lorraine et Champagne-Ardenne. La riposte alsacienne est immédiate : le 11 octobre, à Strasbourg, une manifestation monstre fait ressurgir spontanément le drapeau Rot un Wiss (rouge et blanc), les couleurs historiques de l’Alsace. Malgré cela, la loi no 2015-991 portant nouvelle organisation territoriale de la République, dite loi NOTRe, est adoptée le 7 août 2015.

En Alsace, il s’ensuit un sursaut identitaire qui se traduit lors des élections régionales de 2015 par un score d’Unser Land jamais obtenu depuis l’entre-deux-guerres par un parti autonomiste en Alsace : 12,64 % dans le Haut-Rhin et 10,07 % dans le Bas-Rhin.

Sous la présidence suivante, le Premier ministre Édouard Philippe décide donc de lâcher du lest et charge la ministre de la Cohésion des territoires, Jacqueline Gourault, de négocier une sortie de crise. Ce sera la création d’une entité sui generis - la Collectivité européenne d’Alsace (CEA) - les départements du  Bas-Rhin et Haut-Rhin demeurent mais les deux conseils départementaux fusionnent. Officiellement installée le 1er janvier 2021, la CEA est présidée par Frédéric Bierry (Les Républicains), celui-là même qui vient d’annoncer le résultat de la consultation inédite sur la sortie de l’Alsace du Grand Est.

Région Grand Est, Région « Grotesque »

Une partie des Alsaciens se sentent trahis par le président de l’ancienne Région Alsace Philippe Richert devenu président de la Région Grand Est puis de son successeur, l’ancien maire de Mulhouse Jean Rottner, qui avaient tous les deux menés l’offensive contre la fusion des Régions.

Les dirigeants de la nouvelle entité se démènent pour vanter les mérites d’une Région sans consistance, grande comme deux fois la Belgique, obligeant les fédérations sportives et les organisations professionnelles à fusionner, épuisant élu(e)s et fonctionnaires dans d’interminables déplacements (cette ligne budgétaire a explosé !) pour un avantage nul.

Mémorial de Wittenhaim (Haut-Rhin) dédié aux victimes d'accidents mortels survenus dans les mines de potasse d'Alsace. Le chevalement à une hauteur de 64 m est classé monument historique depuis le 17 août 1995. Dans cette commune de la banlieue de Mulhouse, d se trouve également la manufacture de chocolats et macarons Pierre Hermé.Publié ou mis à jour le : 2022-04-29 22:51:08

Dupanloup (10-12-2023 12:07:26)

Malheureusement la lecture des commentaires démontre qu'une fois encore les citoyens concernés n'ont absolument pas été interrogés alors que le problème touche à leurs fondements culturels et territoriaux qui remontent à des temps immémoriaux.
Un habitant de la Creuse se voit désormais rattaché à Bordeaux et celui du Puy-de-Dôme ou du Cantal et partiellement de la Haute-Loire... à Lyon ville avec laquelle ils n'ont jamais eu de rapports historique culturels.
Clermont-Ferrand abrite pas moins de 3 conseils régionaux......payés par les contribuables et qui ne servent à RIEN !
Quelle erreur que cette réforme faite sans doute soit dans l'incompétence soit sous la pression de la Sainte Europe ou encore du cumul des deux! Le problème sera un jour ou l'autre à trancher pour toutes les régions.

Christian (13-12-2022 09:44:22)

D'accord avec Philippe Marquette pour demander leur avis aux populations concernées sur la délimitation des nouvelles régions, mais aussi sur leur dénomination. On aurait ainsi pu savoir si la Loire-Atlantique souhaitait ou non être rattachée à la Bretagne, et si les noms de "Grand Est" ou "Hauts-de-France" correspondaient aux vœux des habitants.

Une autre erreur a été de choisir systématiquement les villes les plus peuplées comme "capitales" des nouvelles régions, même quand elles sont particulièrement excentrées: Lille pour les Hauts-de-France et Strasbourg pour le Grand Est, notamment...

Gramoune (09-05-2022 10:44:24)

Si l'alsacien, comme le mosellan, ont disparu, ce n'est pas
tellement à cause de l'école ou de l'administration, ne
pas oublier que jusque dans les années 1980 les feuilles
de Sécurité Sociale étaient bilingues.. C'est plutôt à mettre sur le dos des jeunes parents qui n'ont plus parlé
ce patois avec leurs enfants. Pour faire chic ou moderne ?

Ernestine (18-03-2022 01:30:24)

"les dialectes alémaniques et franciques directement liés au Hochdeutsch (allemand standard)." Je suis fortement étonnée de cette assertion: le(s) dialecte(s) alsacien(s) fait/font partie des idiomes de la "région géolinguistique alémanique", comprenant les deux rives de la vallée du Rhin, l'Alsace à l'Ouest, le "Baden"
( incluant la Forêt Noire jusqu'à Villingen) à l'est, ainsi que le nord de la Suisse parlant le Schwitzerdütsch. Ces idiomes ne se rapprochent en aucun cas du "Hochdeutsch", langue normative de la région de Saxe, dont la langue de chancellerie avait pris le pas sur la langue des autres "états allemands", arguant, à la sortie du Moyen-Âge, que les échanges commerciaux avec l'étranger, entre autres avec l'Italie, étaient plus faciles avec cette langue qu'avec les idiomes bavarois , franconiens ou du sud-ouest de l'Allemagne. D'ailleurs, dans le Land de Baden-Württemberg (composé depuis 1952 de l'ancien état de Baden - langue et culture alémaniques - et Württemberg - langue et culture souabe, la culture souabe étant elle-même partagée entre la Bavière et le Württemberg), on a pu entendre le slogan publicitaire sur l'esprit d'innovation de la région "Wir können alles, nur kein Deutsch!". Cela implique autant le registre de vocabulaires que les structures syntaxiques! Et si les idiomes locaux ou régionaux disparaissent en Alsace, ce n'est pas seulement un phénomène de politique linguistique venant d'un gouvernement centralisé, mais bien du fait que dans toutes les régions, que ce soit en Auvergne ou en Alsace, les jeunes générations sont plutôt incitées à apprendre l'anglais (langue de structure superficielle, facile à apprendre et à comprendre) ainsi qu'une autre langue étrangère plutôt que le "patois" ou le "dialecte" local pratiqué par les arrière grands parents... qui font partie du passé. Commentaire d'une expatriée française en Franconie médiane, trinlingue , ayant appris le "haut français" (par analogie au "Hochdeutsch") à l'école primaire, au lycée et à la fac, l'allemand "Hochdeutsch" dans différents registres de cette langue standard à la fac, le "Sanktgermerisch", une variante locale de l'alémanique de la Forêt Noire, apprise "sur le tas" chez ses grands parents maternels, et a lu, dans sa jeunesse, l'oeuvre de Jean Egen "Les tilleuls de Lautenbach" qui décrit très bien les tiraillements des Alsaciens pris en étau, comme maintes régions frontalières, entre la France et l'Allemagne , faisant les frais d'un contencieux politique très douloureux à vivre pour toutes les familles alasaciennes.
Quant aux "bienfaits de la politique sociale" de Bismarck, même pour l'Alsace-Lorraine, je renvoie aux documentaires diffusés à la télévision...ou bien aux analyses faciles d'accès sur ce "Reichsland"!

Gymoda (16-03-2022 08:53:04)

"Au lendemain de la Seconde Guerre mondiale, la disparition de la génération née à la toute fin du XIXe siècle et au début du XXe, quasi-exclusivement dialectophone et germanophone, marque le déclin de la culture alsacienne tandis que la génération suivante abandonnera ses dialectes multiséculaires."
J'ai porté un grand intérêt à cet article mais l'affirmation ci-dessus est totalement fausse. Il suffit de se promener dans les rues des villes et surtout villages d'Alsace pour s'en apercevoir.
Sans parler de l'usage voulu du dialecte en présence de français "de l'intérieur " pour éviter de se faire comprendre et marquer son particularisme.

Wieger (13-03-2022 17:48:33)

Si le dialecte alsacien a presque disparu, c'est que l'état français a tout fait en ce sens dans les années d'après-guerre. Je suis allée à l'école primaire de 1953 à 1958; il nous était strictement interdit, sous peine de punition écrite, de parler alsacien dans l'enceinte de l'école, ce que nous faisions couramment entre camarades en dehors du lieu. Ce fut traumatisant!

Jacques V. (13-03-2022 16:38:31)

Etant retraité du C.E.A. (Commissariat à l'Energie Atomique) je partage le point de vue de la C.E.A. (Collectivité européenne d’Alsace). D'ailleurs quel drôle de nom que ce Grand Est qui évoque plutôt la Chine ou le Japon, l'Extrême Orient, quoi! Et que dire de ces Hauts de France dont l'altitude est particulièrement basse? Et de cette nouvelle Aquitaine expansionniste qui ne s'arrête que là où Charles Martel avait arrêté les Sarrazins, entre Poitiers et Tours?

Romain (13-03-2022 16:11:51)

Bizarre car en 1970 j'etais a l'ecole hoteliere a Strasbourg et 90 % des etudiants,profs,restaurants,bistros,locations ++etaient Francais et Alsaciens mais ma derniere visite en 2014 m'a trouble car la population et les habitude sont differentes et non pas Alsaciens mais subsahariens!! alors dommage car la VRAI popote alsaciene est une a preparer et a manger mais maintenant???????

Gramoune (13-03-2022 15:18:22)

Je suis Alsacien, mais je pense que M. Bierry ne représente qu'un petit groupe de "nostalgiques" de
la Grande Alsace. Je ne suis même pas sûr qu'il parle
l'alsacien...comme moi.

Alsaciae (13-03-2022 15:16:48)

La première mention de "Français de l'intérieur semble dater du 19/02/1794. Henri Rousseville écrit dans sa "Dissertation sur la francilisation de la ci-devant Alsace." Pourquoi ne pas faire une espèce de levée en masse de tous les jeunes citoyens et citoyennes de la ci-devant Alsace, et les placer pour un temps, et par réquisition, chez les Français de l'Intérieur. On en transplantera une bonne partie dans les lieux où il faudra qu'ils deviennent Français, et on laissera l'autre pour se franciser avec la colonie qu'on appellera de l'intérieur de la République ».

Philippe MARQUETTE (13-03-2022 12:35:50)

L'Alsace aux alsacien, la Lorraine aux Lorrains.
Le mieux est de demander l'avis à ceux qui sont concernés, Les alsaciens et les lorrains.
La même démarche pour chaque partie du territoire.

lamoignon (13-03-2022 10:49:03)

A propos de "Les Français de l'intérieur".
J'ignore d'où me vient cette interprétation mais j'ai toujours cru que cette expression était née après le traité de Westphalie de 1648. Celui-ci avait rattaché à la France "les provinces extérieures". Il devenait alors logique d'appeler la France comme l'Intérieur. Je n'ai pas cherché plus avant mais peut-être l'ouvrage "Les parlementaires, acteurs de la vie provinciale: XVIIe et XVIIIe siècles" de De Hervé Leuwers, Serge Dauchy, Sabrina Michel et Véronique Demars-Sion pourrait apporter quelques lumières à ce propos.

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