Le XIIIe siècle, siècle de Saint Louis, est marqué par la naissance du Parlement de Paris, aussi appelé cour du roi. Doté du pouvoir de juger en dernier recours, il reçoit des appels de tout le royaume. Ainsi, la justice s’institutionnalise et se professionnalise tandis le roi renforce son pouvoir et s'affirme comme roi justicier.
Dans sa thèse qui part de l’étude des arrêts de cette cour du roi, Pierre-Anne Forcadet montre comment le monarque parvient à s’imposer au sommet de la pyramide judiciaire. C’est dans ses archives judiciaires et coutumières qu’on découvre l’émergence du mot même de “souveraineté” en langue française...
Effectivement, la thèse repose sur l’étude des “Olim”, un registre des arrêts du Parlement de Paris. Partir de ce registre permet de montrer que la naissance du Parlement de Paris, dans un premier temps appelé cour du roi, répond d’abord à un besoin de justice de la population. Ainsi, le Parlement de Paris se développe énormément grâce à un mouvement qui part du bas, et non pas seulement par décision royale. Les choses se mettent en place de manière coutumière et ce n’est qu’ensuite qu’elles sont sanctionnées par la législation.
Cela permet aussi de faire apparaître la diversité des personnes qui ont recours à cette justice royale, même s’il est nécessaire de se déplacer à Paris. On trouve bien sûr des nobles et des ecclésiastiques, mais aussi des bourgeois, parfois des personnes pauvres ou des roturiers, ainsi que des femmes et même des serfs ou des Juifs, pourtant réputés en marge de la société à cette époque. Théoriquement, la justice était donc ouverte à tous.
À cette époque, la justice royale est loin d’être monopolistique et elle coexiste avec des justices concurrentes. Tous ces recours au Parlement de Paris permettent de s’opposer à ces autres justices : aux justices des seigneurs, des ecclésiastiques ou des communes, mais aussi à la justice royale elle-même. En ce sens, on pourrait parler d’un début d’État de droit puisque le roi doit répondre de ses actes et des excès commis par ses agents localement.
Seulement 10 à 15% des cas portent sur des violences, des meurtres ou des viols. La majorité des procès concernent ce qu’on appellerait aujourd’hui la justice civile : des conflits patrimoniaux, fiscaux, des querelles de propriété ou de voisinage. Rendre la justice, c’est donc d’abord résoudre des conflits assez banals. Cette justice est aussi particulière car elle ne cherche pas à tout prix à juger. Elle repose d’abord sur les accords, les arbitrages et les médiations.
Enfin, les pratiques de justice sont transformées par la mise en place de toute une procédure et, à partir du XIVe siècle, on a même des styles de procédure prédéfinis. Ainsi, des mécanismes très sophistiqués apparaissent, avec des renvois, des enquêtes sur place, des témoignages, et des modes de preuve élaborés. En 1258, Saint Louis interdit les duels judiciaires, dans une logique cherchant à introduire plus de rationalité dans la procédure judiciaire. De même apparaît un droit de la défense, qu’accompagne le début de la profession d’avocat.
La justice joue une place centrale dans la consolidation du pouvoir royal. Le roi n’est pas seulement un roi chevalier ou guerrier, ni même un roi législateur, mais d'abord un roi justicier. C’est d’ailleurs dans des sources issues de l’entourage royal qu’on voit naître le mot de “souverain”, traduction originale du latin « superior », qui désigne ainsi à l’origine celui qui rend la justice en dernier ressort, donc le Parlement, et finalement le roi lui-même.
En effet, le Parlement se construit comme le représentant du roi. Quand le roi ne peut pas assister aux séances, un siège vide représente son absence. Il n’y a pas encore d’opposition entre le Parlement et le roi à cette époque. Même lorsque le roi utilise son pouvoir de grâce royale pour annuler un jugement du Parlement de Paris, les juges n’ont pas assez d’indépendance pour s’opposer au monarque. Avec tous ces magistrats, on peut voir un début de bureaucratie, condition nécessaire à la construction d’un État qui se dessine progressivement.
Ainsi, le roi affirme son pouvoir en rendant la justice. Celui qui rend la justice est le plus puissant : plus il rend la justice, plus il devient influent. Dès le XIIIe siècle, on commence ainsi à dépasser la féodalité pour entrer dans une période monarchique. La justice est donc une prérogative essentielle pour comprendre le renforcement du pouvoir du monarque.
Pierre-Anne Forcadet a soutenu sa thèse “Conquestus fuit domino regi, Etude sur le recours au roi de France d’après les arrêts du Parlement (1223-1285)” en 2012 sous la direction de Corinne Leveleux-Teixeira. Sa thèse a été publiée en 2018 aux éditions De Boccard.
Il est aujourd’hui maître de conférences en histoire du droit à l’université d’Orléans.
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