Le tribunal révolutionnaire

Punir les ennemis du peuple

Alors que la Terreur fait l’objet de nombreuses publications depuis ces derniers mois, Antoine Boulant a choisi de s’intéresser à ce qui fut son sinistre instrument : le tribunal révolutionnaire.

« Punir les ennemis du peuple » : tel était l’objectif de cette juridiction éminemment politique...

Le tribunal révolutionnaire
En réussissant à décortiquer avec précision et clarté toutes les étapes et les ressorts de ce qu’il appelle « la machine à tuer », l'historien Antoine Boulant a produit un travail très rigoureux, fort bien documenté.

Dans une opportune mise en perspective, il rappelle que, malgré son caractère d’exception, le tribunal révolutionnaire qui siégea d’avril 1793 à juillet 1794 est l’héritier d’une vaste réforme judiciaire réalisée au début de la Révolution.

Elle « avait puisé ses principes essentiels dans la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen du 26 août 1789 : souveraineté nationale, loi considérée comme expression de la volonté générale, proportionnalité des peines, interdiction des arrestations arbitraires, présomption d’innocence et séparation des pouvoirs ».

Le livre d’Antoine Boulant retrace les épisodes qui ont vu le dévoiement, voire l’abandon de ces principes nés sous l’Assemblée constituante, et les replace dans le contexte d’une révolution qui s’est radicalisée jusqu’à « dévorer ses propres enfants ».

Les prémices du tribunal révolutionnaire

Le déclencheur, c’est la prise d’assaut du palais des Tuileries (10 août 1792) où était réfugiée la famille royale. Une semaine plus tard, sous la pression de la Commune insurrectionnelle de Paris, l’Assemblée législative vote un décret relatif à la formation d’un « tribunal criminel destiné à juger les crimes commis dans la journée du 10 août », autrement dit les défenseurs de la monarchie qui, avec les gardes suisses, avaient protégé la famille royale.

Une disposition souligne le caractère exceptionnel de cette juridiction : bien que disposant d’un défenseur, l’accusé ne peut faire appel de sa condamnation et le jugement est immédiatement exécutoire. Ce tribunal jugea 62 accusés, en condamna 20 à la peine de mort, en acquitta 17, les autres devant purger des peines de travaux forcés ou de réclusion. Au bout de trois mois, cette juridiction fut supprimée.

Un nouveau contexte provoqua le rétablissement d'un tribunal à caractère politique : les émeutes consécutives à la levée de 300 000 hommes pour faire face à l'invasion étrangère, et la dépréciation des assignats. « La gravité de de la crise politique, économique et militaire allait réveiller la crainte du complot, la volonté de punir les adversaires -réels ou supposés- du nouveau régime républicain et la nécessité de satisfaire les militants sectionnaires les plus radicalisés », explique l'auteur.

En toile de fond, des enjeux plus politiques se jouent entre Girondins et Montagnards, « ces derniers trouvant dans la création d'un nouveau tribunal politique l'occasion de nouer une alliance avec le mouvement sans-culotte contre leurs adversaires ». Avec perspicacité, les Girondins s'opposèrent en vain à ce projet, redoutant que la mise en place d'une telle juridiction politique ne tombât aux mains des Montagnards et se retournât contre eux.

La Convention vota à la majorité la création du tribunal révolutionnaire visant à connaître de « toute entreprise contre révolutionnaire, de tout attentat contre la liberté, l'égalité, l'unité, l'indivisibilité de la République, la sûreté intérieure et extérieure de l'Etat, et de tous les complots tendant à rétablir la royauté ou à établir toute autre autorité attentatoire à la liberté, à l'égalité et à la souveraineté du peuple ». Il était composé de cinq juges, d'un accusateur public assisté de deux substituts et de douze jurés... Tous élus par la Convention. En rupture avec la règle de l'élection par les justiciables eux-mêmes en vigueur depuis l'Assemblée constituante.

La justice se radicalise

Le tribunal révolutionnaire était donc directement soumis au pouvoir politique, et tous ses membres « devaient leur nomination à leur engagement actif dans la Révolution, beaucoup s'étant ainsi fait élire dans les sociétés populaires de leurs sections ou au conseil général de la Commune », souligne l'auteur. Le jugement rendu par les magistrats ne pouvait faire l'objet d'aucun recours au Tribunal de cassation.

En province furent également créés des tribunaux révolutionnaires par les députés en mission qui jugèrent et condamnèrent à mort des milliers de suspects. À Paris, l'accusateur public, en l'occurrence Fouquier-Tinville, avait toute liberté de poursuite. Un arbitraire que dénoncèrent une fois de plus, les Girondins. En pure perte. Et paradoxe de la spirale révolutionnaire, ce sont eux qui eurent recours les premiers au tribunal révolutionnaire en y déférant Marat.

Une nouvelle étape est franchie dans cette justice d’exception avec l’accroissement du poids de l'exécutif sur celui du législatif, lorsqu'en septembre 1793, la liste des jurés est établie non plus par la Convention, mais par les membres des comités de salut public et de sûreté générale auprès desquels chaque soir, Fouquier-Tinville venait rendre compte et prendre ses instructions.

Alourdissant encore le climat répressif, le ministre de la Justice, Louis Gohier, adresse à chacun des nouveaux jurés une lettre les encourageant à exercer la « vengeance nationale », à « frapper les traîtres » et à « anéantir toutes espérances de nos ennemis extérieurs qui ne peuvent obtenir de succès que de la perfidie et de la trahison ». Une simple suspicion ou délation suffisait à un individu pour être arrêté et incarcéré.

Émigrés, nobles, prêtres réfractaires, furent les premiers visés, puis des artisans, des ouvriers, des domestiques. Mais le comble de l’arbitraire résida dans « le décret qui ordonne l’arrestation des gens suspects » qui, selon Antoine Boulant « constitua la clé de voûte du dispositif légal de répression » en raison de l’imprécision de certaines dispositions laissant une grande marge d’interprétation.

Arrestations et procès de masse

Ce texte engendra un nombre considérable d’arrestations dues à des délations. La notion de suspicion reposait, non pas sur la réalité d’un crime commis, mais sur l’hypothèse qu’un individu puisse en être coupable. De quoi alimenter le soupçon généralisé, la surveillance, l’espionnage. La lettre privée était considérée comme la preuve irréfutable, ce qui entraîna la saisie de milliers de correspondances.

Stade ultime d’un mécanisme devenu incontrôlable : la loi du 22 prairial an II (10 juin 1794) approuvée par Robespierre et présentée par Couthon qui déclara sans fard : « L’indulgence est atroce, la clémence parricide ». Au-delà du « suspect », elle visait « l’ennemi du peuple » qui pouvait être condamné sur la preuve de « toute espèce de document, soit matérielle, soit morale, soit verbale, soit écrite… » Les témoins n’étaient plus entendus, et les défenseurs étaient supprimés. La seule peine était la mort.

Le rythme effréné des procès donna lieu à des erreurs mortelles sur les personnes (homonymies, confusion entre membres d’une même famille). Entre le 10 juin et le 27 juillet 1794, le Tribunal révolutionnaire fit comparaître 1 703 personnes, dont 1 366 furent condamnées à mort, 336 acquittées, et une envoyée en déportation, au rythme d’une effarante moyenne de 243 accusés jugés par semaine !

Antoine Boulant fait le récit des grands procès qui emportèrent les royalistes, puis les révolutionnaires (girondins, hébertistes, dantonistes) avant que les principales figures des Montagnards elles-mêmes ne soient décrétées d’accusation lorsque fut mis fin à la Terreur. Il s’attarde notamment sur le procès de Fouquier-Tinville qui, préfigurant la défense de tous les acteurs des répressions des totalitarismes du XXème siècle, argua qu’il n’avait fait qu’appliquer des lois dont il n’était pas l’auteur, se défaussant de toute responsabilité personnelle dans une période qui du 6 avril 1793 au 27 juillet 1794, a vu la comparution de 4 061 personnes, dont 2 625 ont été condamnées à mort (64,6%), 1 306 acquittées (32,1%), les autres relevant de diverses peines (détention, bannissement, travaux forcés).

Malgré la sévérité et l’injustice des peines prononcées, Antoine Boulant fait remarquer que « le nombre des sentences capitales prononcées par le tribunal parisien représente à peine 16% des 16 594 condamnations à mort rendues dans toute la France par l’ensemble des juridictions – tribunaux criminels, tribunaux révolutionnaires, commissions révolutionnaires et commissions militaires- pendant la même période !  » Une macabre relativisation.

Jean-Pierre Bédéï
Publié ou mis à jour le : 2019-07-10 16:23:09
NICOLE (15-01-2019 14:34:25)

La Terreur ne s'arrête pas le 17 juillet 1794 avec la chute de Robespierre.

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