9 septembre 2018. Les esclaves pouvaient représenter jusqu’à 10% de la population urbaine dans l’Empire ottoman, et jusqu’à 15 000 arrivaient chaque année. Pourtant, quand on parle d’esclavage, l’histoire ottomane est souvent oubliée face au commerce triangulaire.
Dans sa thèse, Hayri Gökşin Özkoray a voulu revenir sur l’acmé du système esclavagiste de l’Empire ottoman, au XVIe et au XVIIe siècles. Dans cet entretien, il nous fait découvrir un nouveau pan de l’histoire de l’esclavage, entre une définition légale bien établie et une réalité plus complexe...
Les esclaves sont très présents dans l’Empire ottoman, jusqu’à 10% de la population urbaine. Les conquêtes, puis les réseaux commerciaux d’importation en fournissent jusqu’à 15 000 par an de manière continue. Mais cette domination n’a jamais été fondée sur des critères ethniques : les Ottomans ont asservi différents peuples suivant la conjoncture politique.
Les esclaves sont présents dans tous les secteurs d’activité (l’agriculture, les mines, l’artisanat, les fonctions bureaucratiques…). Pourtant, toute l’économie ne repose pas sur une main-d’œuvre majoritairement servile.
L’esclavage, et c’est une originalité de l’Empire ottoman, a un but démographique et culturel : il s’agit d’agrandir la communauté politique et religieuse dominée par le sultan. Ainsi, les esclaves qui se convertissaient à l’islam ne pouvaient plus retourner dans leur pays une fois affranchis.
De plus, l’affranchissement est non seulement possible mais répandu, même s’il peut donner lieu à un fort lien de patronage par la suite. Ainsi, si une esclave donnait un enfant à son maître, le nouveau-né était libre et elle devenait une « mère du rejeton » (ümm-i veled). Ce statut particulier la rendait inaliénable et elle devenait libre au plus tard à la mort de son maître.
Une dernière originalité est l’étendue des pouvoirs du maître sur ses esclaves. Ceux-ci sont limités : ils n’ont par exemple pas le droit de vie ou de mort sur leurs propriétés humaines, sauf le sultan.
Les statuts intermédiaires étaient courants comme on l’a vu avec les affranchis. À cela, il faut ajouter le rôle particulier de l’islam qui, en théorie du moins, interdit la mise en esclavage de musulmans, et encore plus si les propriétaires sont chrétiens ou juifs. Suivant leur religion, le statut des esclaves ainsi que le profil de leurs maîtres diffèrent donc.
De plus, les esclaves pouvaient être partie prenante dans des contrats juridiques et pouvaient se marier à des libres avec l’autorisation de leur maître, ce qui rendait la distinction entre esclaves et libres moins rigide que dans la Grèce antique par exemple.
Au-delà des textes juridiques, la position économique et sociale du maître influence le statut et la vie quotidienne des esclaves.
Un cas extrême est celui des esclaves du sultan, appelés « kul ». Ces derniers pouvaient posséder des propriétés, mais aussi avoir leurs propres esclaves. Ils étaient parfois de hauts dignitaires ou des notables assez riches.
En bref, cela n’allait jamais de soi de reconnaître un esclave, d’autant plus qu’il pouvait faire un travail similaire à celui d’un homme libre.
Mon étude permet de voir qu’il s’agit des mêmes bases légales et juridiques qui sont ancrées dans le cadre du droit musulman classique. Étudier une société esclavagiste révolue permet de comprendre quels types d’instruments peuvent être utilisés pour mettre en œuvre et justifier cette domination quasi-absolue d’êtres humains.
De manière concrète, la mise en esclavage et la vente sur le marché urbain sont grosso modo les mêmes.
Pourtant, il ne faut pas céder au plaquage anachronique et il faut bien voir les différences qui existent entre les époques. On ne devient pas propriétaire d’esclaves pour les mêmes raisons en 1521 qu’en 2016.
Hayri Gökşin Özkoray est Attaché Temporaire d'Enseignement et de Recherche auprès de la chaire d’histoire turque et ottomane d’Edhem Eldem au Collège de France, où il étudie le travail dans l'Empire ottoman à l'époque moderne.
En décembre 2017, il a soutenu sa thèse L’esclavage dans l’Empire ottoman (XVIe-XVIIe siècles) : fondements juridiques, réalités socio-économiques, représentations sous la direction de Nicolas Vatin, à l'École Pratique des Hautes Études.
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