Spécialiste du nazisme et du fascisme, l'historien allemand Ernst Nolte (1923-2016) a très tôt cultivé l'intuition que ces régimes étaient nés en réaction à la révolution bolchévique !
Il a pu en débattre avec son contemporain l'historien français François Furet (1927-1997), spécialiste de la Révolution française et du communisme, lui-même très contesté par les intellectuels marxistes.
Après une fresque sur Le fascisme en son époque (1963, Julliard 1970), Ernst Nolte publie un article en 1986 dans le quotidien Frankfurter Allgemeine Zeitung : « Un passé qui ne veut pas passer », dans lequel il présente sa thèse centrale selon laquelle l'archipel du Goulag précède et annonce Auschwitz. Le génocide de race aurait ainsi été précédé d'un génocide de classe. Rien de plus, rien de moins.
L'historien développe cette thèse l'année suivante dans un ouvrage de 600 pages, La guerre civile européenne (1917-1945) (éditions des Syrtes, 2000).
Il s'applique à montrer que les nazis auraient été amenés au pouvoir pour contrer la menace d'une prise de pouvoir communiste. Et c'est parce que les juifs étaient hostiles à leur projet qu'ils auraient été conduits à les combattre !
Ernst Nolte seul contre tous
Il s'ensuit une vague d'indignation dans les milieux intellectuels allemands qui y voient une façon d'excuser les nazis et de décharger l'Allemagne de la responsabilité de la Shoah.
L'opinion publique est d'autant plus vigilante sur la question que l'on est alors en pleine vague « négationniste ». Le mot désigne un courant marginal qui nie la réalité du génocide juif en dépit de toutes les évidences factuelles. Il est né avec la publication dans Le Monde, le 16 janvier 1979, du texte d'un certain René Faurisson.
Ernst Nolte se garde bien de toute parenté avec le négationnisme mais fait figure auprès de ses contempteurs de « révisionniste » par sa propension à minorer la portée de la Shoah.
Un échange à fleurets mouchetés
Boudé dans son pays suite à ce qu'il est convenu d'appeler la « querelle des historiens allemands », Ernst Nolte va débattre de ses thèses sur le tard, en 1996, avec l'historien français François Furet, lui-même auteur de deux ouvrages de référence, Penser la Révolution française (Gallimard, 1978) et Le passé d'une illusion, essai sur l'idée communiste au XXe siècle (Robert Laffont, 1995).
La correspondance a été publiée sous le titre Fascisme et communisme peu après la mort brutale de François Furet le 11 juillet 1997, à 70 ans, peu avant sa réception à l'Académie française.
Militant communiste dans sa jeunesse, François Furet s'interroge sur la permanence de l'idéologie marxiste-léniniste tout au long du XXe siècle, en dépit de ses dérapages et de ses échecs.
Il n'hésite pas non plus à prendre le contrepied des thèses marxistes dans l'approche de la Révolution française. En continuateur d'Alexis de Tocqueville, il la replace dans la longue durée et la voit comme une magistrale réforme de la Nation entreprise par ses élites. Il ramène la brève période montagnarde et violente (septembre 1792 - juillet 1794) à une crise occasionnée par quelques maladresses initiales dans la gestion des affaires religieuses.
Dans sa correspondance avec Ernst Nolte, François Furet conteste la causalité Lénine => Mussolini / Hitler. Certes la Révolution d'Octobre 1917 a précédé de peu la Marche sur Rome de 1922 et le Putsch de la Brasserie de 1923. « Mais, écrit-il, si je suis bien d'accord que bolchevisme et fascisme sont interdépendants, je ne crois pas qu'on puisse les interpréter à la seule lumière de leur apparition successive dans l'Histoire ».
François Furet voit les trois révolutions totalitaires comme trois fruits vénéneux de la Première Guerre mondiale ou mieux encore d'une crise plus ancienne de la démocratie libérale.
Car, écrit-il, « la seule manière profonde d'aborder l'étude des deux idéologies et des deux mouvements politiques inédits qui sont apparus au début de notre siècle, le communisme marxiste-léniniste et le fascisme, sous sa double forme italienne et allemande, consiste à les prendre ensemble, comme les deux faces d'une crise aiguë de la démocratie libérale, survenue avant la guerre de 1914-1918 ».
« Le léninisme tire sa force d'incarner par sa victoire la vieille espérance du mouvement ouvrier, même au prix d'une formidable invraisemblance ; le fascisme, de récupérer au profit des adversaires des idées démocratiques la fascination d'un demain, c'est-à-dire d'une société future, et non plus passée. Depuis qu'il a paru sur le théâtre européen, l'Homo democraticus souffre d'être privé par la civilisation libérale d'une vraie communauté humaine, dont les deux plus fortes représentations sont l'association universelle des producteurs ou le corps national des citoyens. Les deux images se trouvent incarnées dans l'histoire réelle au sortir de la guerre de 1914 » (Fascisme et communisme, 24 juin 1996).
Ces totalitarismes du début du XXe siècle étaient des idéologies de rupture avec le passé, orientées vers l'avenir et porteuses d'espérance. Le mot peut paraître odieux, surtout en ce qui concerne le nazisme. C'est pourtant comme cela que l'on peut expliquer l'adhésion enthousiaste de millions de jeunes. « Ce qui explique son effet d'entraînement sur les masses est bien évidemment une absolutisation de l'idée nationale - comme en sens inverse, la mythologie d'Octobre 1917 a pris appui sur une absolutisation de l'idée universaliste » (Fascisme et communisme, 24 juin 1996).
Rien à voir, notons-le, avec l'extrême-droite actuelle en Europe, qui dénonce les faiblesses de la démocratie mais ne propose pas un véritable projet de transformation sociale, seulement un retour à un passé dont on a gardé la nostalgie. Ses sympathisants se sentent désarmés et impuissants face à des bouleversements sociaux et démographiques sur lesquels ils n'ont aucune prise... pas plus d'ailleurs que la classe politiques, droite et gauche confondues, qui a beau dire et beau faire mais n'arrive à rien y changer.
Vos réactions à cet article
Recommander cet article
Shaïtan (02-10-2016 19:22:25)
"... mais n'arrive rien à y changer." Et n'arrivera rien à y changer. Triste peut-être, mais soyons réalistes: nous ne sommes que les instruments, toujours enthousiastes, toujours partants pour d... Lire la suite