En page 97 du 1er tome de C’était de Gaulle (1994), Alain Peyrefitte raconte le brusque changement d’attitude du général de Gaulle à son égard après sa nomination au gouvernement.
Alain Peyrefitte était jusque-là un simple député gaulliste auquel le président de la République s’intéressait pour ses diplômes de normalien et d'énarque, et qu’il recevait avec une extrême courtoisie (dico) digne de l’Ancien Régime pour échanger avec lui sur la politique algérienne.
Son attitude change du tout au tout le 16 avril 1962, lorsqu’il reçoit tout à tour dans son bureau de l’Élysée les nouveaux membres du gouvernement Pompidou, dont fait partie le jeune Alain Peyrefitte (36 ans), nommé secrétaire d’État à l’information :
« Quand l’aide de camp, à l’heure pile, m’ouvre la porte du « Salon Doré », le Général me laisse traverser cette vaste pièce et se lève à peine. Je ne le reconnais pas : lui qui, depuis un peu plus de trois ans, se montrait si courtois et presque amical, il me dévisage sans aménité :
« Vous n’entrez pas au gouvernement pour les honneurs, mais pour la mission. C’est-à-dire pour le service. Le service de la France. Il commence par le service de l’État. Vous avez fait du latin. Ministre, cela signifie serviteur. Et secrétaire d’État, cela veut dire gardien des secrets d’État. Votre rôle… »
Cet accueil glacial me laisse sans voix. Pompidou m’avait prévenu : « Vous ne connaissez pas encore le Général… Le Général est spécial ». Il est clair que, jusque-là, j’étais dans le cercle le plus extérieur de son entourage : les nouveaux venus, pour lesquels il déployait son charme. Maintenant, je suis entré dans un cercle plus intérieur : ses ministres de rang modeste, c’est-à-dire, au sens propre dont il m’a rappelé sans pitié l’étymologie, ses serviteurs. Il me traite comme un colonel traite un trompette. »
La mise au pas du nouveau secrétaire d’État à l’information par le général de Gaulle continue en ces termes :
« Il reprend : « … Moins vous parlerez, mieux vous vous porterez. Souvenez-vous du cardinal de Retz : " Il sied encore moins à un ministre de dire des sottises que d’en faire ". Péchez par excès de prudence, plutôt que par défaut. »
Puis vient en page 115 la poursuite de la formation du nouveau collaborateur avec le premier Conseil des ministres auquel Alain Peyrefitte participe le 18 avril 1962, suivi par la préparation avec le Général de son premier communiqué :
« Le Général passe devant moi pour entrer dans le « Salon Doré », et s’assied derrière son bureau ; il ne me désigne un fauteuil qu’après s’être assis lui-même. Jusque-là, depuis trois ans, c’était toujours l’inverse : il ne s’asseyait que lorsqu’il me voyait assis ; si nous avions une porte à franchir, il faisait mine de s’effacer devant moi. Décidément, du statut d’interlocuteur, avec lequel il déployait une courtoisie très vieille France, je passe à celui de collaborateur, sur lequel il exerce sans ménagement une autorité hiérarchique.
Je lui donne en riant lecture du projet de communiqué… Le Général ne sourit pas. Sourire, ce serait établir de lui à moi une relation d’égalité. Son impassibilité me rappelle que je ne suis pas son égal ; il n’attend pas de moi sympathie, mais obéissance. Il m’autorise cependant à lui proposer des formules plus explicites… »
Belle leçon de choses donnée par le général de Gaulle à son futur mémorialiste. Ce changement d’attitude ne lui fut pas propre : on en trouve des exemples dans les Mémoires de Saint-Simon à propos de Louis XIV, tout comme dans le monde actuel des affaires et de la politique.
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