Paul Éluard (1895 - 1952)

« Et par le pouvoir d'un mot... »

« Le pain est plus utile que la poésie ». Ces mots, c'est le poète Paul Éluard qui les a prononcés dans une conférence en 1936, ignorant encore que ses vers allaient participer quelques années plus tard, à leur manière, à la victoire contre la barbarie.

Compagnon de route des surréalistes, l'écrivain a laissé une œuvre qui célèbre avant tout l'amour et la liberté, une œuvre qui rappelle à chaque ligne qu'« Il y a des mots qui font vivre ».

Portrait de Paul Éluard, 1929, Salvador Dali, coll. part.

« La courbe de tes yeux fait le tour de mon cœur »

Les Grindel forment ce qu'on peut appeler une famille comblée : Jeanne, couturière, et Clément, comptable, ont tout pour donner une enfance heureuse à leur petit Eugène, né en 1895 à Saint-Denis. Et en effet l'enfant s'épanouit, poursuivant de bonnes études jusqu'à ce que la tuberculose mette fin à cet élan : en 1912, le voici envoyé dans un sanatorium près de Davos, en Suisse.

Que faire, quand on est un adolescent cultivé voué à l'inactivité ? Et bien on écrit des vers, et on tombe amoureux ! La jolie élue est russe, elle s'appelle Héléna, prénom qu'Eugène n'aime pas : il la rebaptise vite Gala. Avec une telle muse, les vers s'enchaînent et quelques mois plus tard il peut charger sa mère de lui trouver un éditeur pour son œuvre logiquement intitulée Premiers poèmes (1913).

Portrait de Paul Éluard et Gala réalisé en décembre 1923 par Giorgio de Chirico, dans « Une vie de Gala » de Dominique Bona, éd. Flammarion.

Mais la guerre vient mettre fin à cette parenthèse optimiste : il faut partir sur le front comme infirmier dans la Somme. Pour lutter contre l'impression d'être un privilégié, privé de front, le jeune homme se lance dans des Poèmes pour la paix (1918) qu'il signe du nom de sa grand-mère : Éluard.

Photographie datée de 1922 tirée sur papier carte postale et signée par les quatre au recto : André Breton, Paul Éluard, Benjamin Péret et Tristan Tzara, Archives André Breton, DR.

« La Terre est bleue comme une orange »

À la sortie de la guerre, désormais marié à Gala, Éluard parvient à se faire repérer par un groupe d'agitateurs littéraires rassemblés autour de Tristan Tzara, les dadaïstes. Mais le mouvement périclite, laissant place au surréalisme d'André Breton qui veut mettre en avant l'inconscient et le rêve. 

Portrait de Nusch Éluard, 1935, Man Ray.Pour Éluard, c'est l'époque des doutes et de la fuite, en 1924, pour ce qu'il qualifiera de « voyage idiot » autour du monde, voyage de 7 mois qui restera d'ailleurs une énigme. À son retour, il se lance de tout son talent dans l'aventure surréaliste, rejoignant par la même occasion le parti communiste. 

Alors qu'il est délaissé par Gala qui lui préfère Salvador Dali, il multiplie les créations, publiant coup sur coup les recueils Capitale de la douleur (1926) ou encore L'Amour la Poésie (1929). 

L'amour, il l'a retrouvé quand il a rencontré dans la rue cette même année la jeune Maria Benz à laquelle, fidèle à son habitude, il choisit un nouveau prénom : ce sera Nusch.

Devenue l'égérie des surréalistes et notamment du photographe Man Ray, elle devient son inspiratrice et sa femme en 1934, pour « dix-sept années toujours plus claires » (« Notre vie »).

Paul et Nusch Éluard, 1935, Man Ray.

Mais c'est l'heure des choix : en 1933, refusant de sacrifier sa liberté de créateur à la célébration du bolchevisme, il est exclu du parti communiste. Déjà fâché avec Aragon, il rompt en 1938 avec Breton qu'il accuse de garder une trop grande distance entre art et politique. Ces remises en cause ne l'empêchent pas de poursuivre une œuvre toujours plus riche avec entre autres la publication en 1937 des Mains libres.

« J'écris ton nom... Liberté »

Pendant ce qu'il appellera les « années-poussière » de la deuxième guerre, Éluard choisit dès 1942 de retrouver le parti communiste et de rejoindre la clandestinité. Il multiplie alors les textes d'appel à la résistance, apporte sa contribution au recueil L'Honneur des poètes (1943) et enregistre des disques clandestins.

Paul et Nusch Éluard, 1939, Man Ray.En 1943, c'est son poème « Liberté » qui est choisi par la Royal Air France pour être parachuté sur la France. Voici comment est né un des plus célèbres poèmes du XXe siècle : « Je pensais révéler pour conclure le nom de la femme que j’aimais, à qui ce poème était destiné. Mais je me suis vite aperçu que le seul mot que j’avais en tête était le mot Liberté. Ainsi, la femme que j’aimais incarnait un désir plus grand qu’elle. Je la confondais avec mon aspiration la plus sublime, et ce mot Liberté n’était lui-même dans tout mon poème que pour éterniser une très simple volonté, très quotidienne, très appliquée, celle de se libérer de l’Occupant ».

Poème « Liberté » illustré par Fernand Léger, 1953, Biot, musée national Fernand Léger.

Mais il ne faut pas réduire Éluard à un seul poème : citons pour mémoire les chefs-d’œuvre du recueil Au-rendez-vous allemand (1945) que sont « Courage » où il appelle Paris à garder espoir, ou encore son hommage au résistant Gabriel Péri :

« Un homme est mort qui n’avait pour défense
Que ses bras ouverts à la vie
Un homme est mort qui n’avait d’autre route
Que celle où l’on hait les fusils
Un homme est mort qui continue la lutte
Contre la mort contre l’oubli […]

Péri est mort pour ce qui nous fait vivre
Tutoyons-le sa poitrine est trouée
Mais grâce à lui nous nous connaissons mieux
Tutoyons-nous son espoir est vivant »
.

« Mon passé se dissout je fais place au silence »

À la Libération, Éluard est célébré par tous. Mais la fête est de courte durée puisque « le jour en trop », c'est-à-dire le 28 novembre 1946, Nusch décède brutalement, loin de lui. « Morte visible Nusch invisible » laisse notre poète désemparé : « Mon amour si léger prend le poids d’un supplice » (vers gravé sur la tombe de Nusch).

Uniquement capable de trouver du réconfort dans la lecture des autres, Éluard se consacre à deux anthologies poétiques avant que le besoin de l'écriture ne reprenne le dessus. Désormais pour lui, « le seul abri possible c'est le monde entier » ; il se lance donc comme poète officiel du parti communiste dans des voyages en Grèce, en Pologne ou en URSS pour appeler à la paix, appel qui habite ses Poèmes politiques (1948).

Son dernier amour, Dominique, épousée en 1951, ne peut empêcher la maladie de l'emporter en 1952, à seulement 57 ans. Si le gouvernement lui refuse les obsèques nationales, il bénéficie cependant de funérailles grandioses au Père-Lachaise où il repose dans l'allée des notables du parti communiste, veillé par un rosier. « Bonjour tristesse... » (La Vie immédiate, 1932).

22 novembre 1952 : obsèques de Paul Éluard au Père-Lachaise, Les Lettres françaises, eluard.org, DR.

Publié ou mis à jour le : 2020-02-26 11:57:44
Gilles (03-08-2018 17:16:03)

Eluard est le poète d'une époque, simple, clair, naturel: c'est beau! C'est humain! Pour ma part, je penche pour une poésie illuminée, mystérieuse, saisissant la beauté du monde où nous balado... Lire la suite

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