Jeanne Bécu, restée dans la postérité sous le nom de comtesse du Barry, fut la dernière maîtresse officielle du roi Louis XV. Elle s'est gardé de le conseiller dans les affaires publiques, à la différence de la marquise de Pompadour, sa précédente maîtresse. Mais elle l'a sorti de sa dépression, lui a rendu la joie de vivre, l'a aidé à surmonter sa timidité et prendre confiance en lui-même.
On peut de la sorte lui attribuer une responsabilité indirecte dans les réformes audacieuses de la fin du règne. Mais la Cour ne lui en sera aucunement gré et elle n'arrivera jamais à se défaire de ses origines populaires et de son passé de courtisane...

Une modiste à la cour
Née à Vaucouleurs (Lorraine) des amours d'une couturière, Anne Bécu, et d'un jeune moine déluré, Frère Ange, Jeanne se signale dès son enfance par sa beauté et sa mine affable. Sa mère ayant dû aller à Paris, au service d'une riche famille, celle-ci s'entiche de Jeanne et lui fait donner une éducation soignée chez les soeurs.
À quinze ans, elle s'entiche d'un coiffeur pour dames, auprès duquel elle apprend l'art de la toilette, puis entre au service d'une riche veuve auprès de laquelle elle complète son éducation. Elle sert également dans une boutique de mode. Mais les débouchés de la profession étant limités et sa beauté gracieuse ne laissant aucun homme indifférent, elle en vient à pratiquer la galanterie, autrement dit la prostitution de haut vol... La rumeur prétend qu'elle aurait même exercé dans une maison spécialisée sous le nom de Mlle Lange (en référence à son père naturel !).
Repérée en 1764 par le comte Jean du Barry, libertin notoire surnommé Le Roué (!), elle devient sa maîtresse. Le comte spécule sur ses charmes et la présente à différents personnages de la Cour, dont l'influent duc de Richelieu, petit-neveu du cardinal.
On est en 1768. Le roi, à 58 ans, souffre d'une impopularité croissante et ne se remet pas de la disparition de sa confidente, la marquise de Pompadour, quatre ans plus tôt. Il est qui plus est affecté par de nombreux décès autour de lui, dont son fils le Dauphin.
Le duc de Richelieu ambitionne de ravir la place du duc de Choiseul, Premier ministre du roi et ancien protégé de la marquise. Il va pour cela se servir de Jeanne Bécu en obtenant du premier valet du roi, son « ministre des plaisirs » Dominique Lebel, qu'il la place sur son chemin.
Séduit par la beauté, la vivacité d'esprit et la joie de vivre de la jeune femme, alors âgée de 25 ans, séduit aussi par son expérience, le roi découvre avec elle la plénitude sexuelle.
Après le deuil de son épouse Marie Leszczynska, morte le 24 juin 1768, il décide de l'élever au rang de maîtresse officielle. Mais pour cela, il lui faut la présenter à la Cour. Bravant le scandale, il arrange un mariage de convenance entre Jeanne Bécu et le comte Guillaume du Barry, frère du précédent.
La nouvelle comtesse peut enfin faire sa présentation le 22 avril 1769, alliant tout à la fois la beauté, la grâce et l'amabilité. Ses faveurs, on s'en doute, suscitent jalousies et haines féroces dans le milieu aristocratique de Versailles. Les filles du roi lui en veulent de salir la réputation de leur père. L'une d'elles, Louise de France, qui entre au Carmel de Saint-Denis en septembre 1770, se fait un devoir de prier pour le salut de son âme...
Dès son arrivée à Versailles en mai 1770, la petite archiduchesse Marie-Antoinette, fille de l'impératrice Marie-Thérèse, se prend aussi d'horreur pour cette femme légère, d'autant qu'elle-même pâtit d'un mari encore impubère, le futur Louis XVI.
Mais les plus vives attaques viennent de l'entourage du duc de Choiseul qui multiplie les libelles diffamatoires contre la comtesse du Barry. Celle-ci ne s'en affecte pas et garde le sourire. Elle tourbillonne au milieu des intrigues en faisant en sorte de ne jamais insulter personne.
En décembre 1770, toutefois, le roi, excédé par les diatribes du duc de Choiseul à l'égard de sa maîtresse, l'exile dans son domaine de Chanteloup, au-dessus d'Amboise. Ce n'est pas une grande perte pour l'État. Excellent diplomate, le duc a su en particulier négocier le retournement d'alliance avec l'Autriche et le mariage du Dauphin et de Marie-Antoinette, ainsi que l'achat de la Corse. Mais il se montre excessivement complaisant envers les « philosophes » et les parlementaires, chefs de file des classes privilégiées.
À sa place accèdent à la tête du gouvernement le duc d'Aiguillon, ministre des Affaires étrangères et de la Guerre, l'abbé Terray, contrôleur général des finances et le chancelier Maupeou. Ce « triumvirat » va avoir raison des parlementaires et ouvrir la voie à des réformes vigoureuses et pleines de bon sens, sans craindre d'affronter l'impopularité.
L’écrivain (bien oublié) Pisandat de Mairobert publie en 1777 une satire à charge sur la comtesse du Barry, composée d’un ramassis d’anecdotes. Ainsi raconte-t-il que, voyant le café déborder sur la plaque, elle aurait lancé à Louis XV, son amant : « Eh, la France, prends donc garde ! Ton café fout le camp ! » Il se pourrait que la comtesse se soit en fait adressée à l’un de ses valets qui s’appelait La France…
Derniers feux de la vie aristocratique
Le règne s'achève dans une débauche de fêtes et de luxe. La comtesse elle-même est couverte de cadeaux et de bijoux par le roi.
Il fait aussi bâtir pour elle un joli « pavillon des Eaux » à Louveciennes, près de Marly, à l'ouest de Paris. La décoration en est confiée à l'architecte Jacques-Ange Gabriel. Mais comme le pavillon s'avère trop petit pour recevoir le roi et sa suite, la comtesse projette un « pavillon de musique » dédié aux réceptions à l'extrémité de son parc, au-dessus de la vallée de la Seine.
Elle en confie la réalisation à un jeune architecte prometteur, Claude Nicolas Ledoux, lequel invente pour l'occasion le « style du Barry » qui s'épanouira plus tard en style Louis XVI, et dont l'une des plus belles réalisations sera la cité d'Arc-et-Senans (Doubs), par le même Ledoux.
Quand le roi Louis XV tombe malade en mai 1774, victime de la variole noire, la comtesse reste à son chevet, sincèrement affectée, tandis que s'éloignent la plupart des courtisans. Mais le roi, soucieux de mourir en bon chrétien, s'oblige à l'éloigner et lui demande de quitter Versailles pour le domaine du duc d'Aiguillon, à Rueil.
Sitôt sur le trône, le jeune Louis XVI ne va rien avoir de plus pressé que de l'envoyer dans un couvent. Elle en sortira grâce à la médiation du prince de Ligne, l'un de ses anciens amants, et pourra enfin se retirer dans sa belle demeure de Louveciennes, où elle cultivera une longue liaison amoureuse avec le duc de Cossé-Brissac, capitaine des gardes suisses du roi et gouverneur de Paris. Elle se signalera par sa bonté envers les humbles, s'attirant le surnom de « bonne dame de Louveciennes ».
La fin est plus triste. Ayant dédaigné d'émigrer au commencement de la Révolution, la comtesse du Barry se rend à Londres à plusieurs reprises au motif d'y récupérer ses bijoux qui ont été volés à Louveciennes.
Ces voyages la rendent suspecte et elle est arrêtée pendant la Terreur, le 22 septembre 1793, sous l'inculpation d'intelligence avec l'ennemi. Son page indien Zamore, qu'elle a élevé avec tendresse en lieu et place des enfants qu'elle n'a jamais eus, va la charger de tous les crimes de la terre, sans doute sous la pression des juges.
Internée à Sainte-Pélagie, elle est guillotinée le 8 décembre suivant, sur l'actuelle place de la Concorde, à Paris, après avoir dénoncé plusieurs personnes dans le vain espoir de sauver sa (jolie) tête. La légende voudrait qu'à l'instant de mettre sa tête sous le tranchant de la guillotine, elle ait supplié le bourreau : « Encore un moment, monsieur le bourreau » !
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