Née au début du XIXe siècle, la fantasy (terme qui signifie en français « imagination ») est un genre littéraire qui présente des éléments surnaturels souvent incarnés par l’utilisation de magie. Il ne faut pas pour autant le confondre avec le fantastique, dans lequel le surnaturel fait irruption dans un monde « normal ». Dans le registre de la fantasy, la magie est généralement acceptée et normalisée dans un monde merveilleux.
On pourrait s’y méprendre lorsqu’on s’intéresse plus précisément au médiéval-fantastique (traduction de l’anglais medieval fantasy), qui présente dans la nomenclature une confusion avec le genre fantastique mais relève pourtant de la fantasy. Ce genre s’est épanoui au XXe siècle, plus particulièrement après la Seconde Guerre mondiale, avant de triompher en notre siècle…
Les univers foisonnants de la fantasy médiévale
Les deux pères de la fantasy médiévale sont William Morris (1834-1896) et John Ronald Reuel Tolkien (1892-1973). Le premier s’inspire notamment de la légende arthurienne dans ses poèmes (The Defense of Guenevere and Other Poems, 1858). Comme Morris, de nombreux auteurs et cinéastes s’empareront de l’histoire légendaire de la Bretagne.
Tolkien apprécie les livres de Morris. Il étudie et enseigne à Oxford et se spécialise en philologie de l’anglo-saxon (Beowulf, poème épique anglo-saxon composé entre la première moitié du VIIe siècle et la fin du premier millénaire). Il maîtrise les langues et la littérature du Moyen Âge.
Son collègue et ami C.S. Lewis, auteur des Chroniques de Narnia (1950-1956), est lui aussi un fervent amateur de la période et titulaire d’une chaire de littérature du Moyen Âge et de la Renaissance.
Tolkien devient vite, et demeure aujourd’hui, la référence incontournable dans le domaine de la fantasy médiévale. Ses œuvres majeures, Bilbo le Hobbit (1937) et la trilogie du Seigneur des anneaux (La communauté de l’anneau (1954), Les deux tours (1954) et Le retour du roi (1955)), s’inspirent de l’univers foisonnant du Moyen Âge, des nains issus des légendes germaniques aux chevaliers de la Table Ronde en passant par les elfes, figures émanant des fées des romans merveilleux. Lui-même considère son livre comme « un conte de fées pour des adultes ».
Pari réussi, il parvient à faire rêver petits et grands et connaît un succès phénoménal dont l’impact outrepasse les barrières géographiques et temporelles. Le monde entier se passionne pour les aventures du hobbit Frodon Sacquet en Terre du Milieu, qui, aidé de ses nombreux amis comme son comparse Sam, le mage Gandalf ou l’héritier d’une dynastie royale Aragorn.
À la même période, Maurice Druon aidé de quelques collaborateurs publie sept romans moyennâgeux entre 1955 et 1977 : Les Rois maudits.
Cette saga se base sur la légende inventée par le chroniqueur italien Paolo Emilio qui raconte que Jacques de Molay, dernier grand maître de l'ordre du Temple, aurait lancé une malédiction alors qu'il était sur le bûcher. Il visait le roi de France Philippe IV le Bel, le pape Clément V ainsi que le jursite Guillaume de Nogaret.
Dans le premier volume de la saga, Maurice Druon s'intéresse aux amants de la tour de Nesle, une affaire qui ébranle la dynastie capétienne en 1314 lorsque la fille de Philippe IV accuse les trois brus du roi d'adultère. Dès lors, l'auteur raconte les aventures et mésaventures de ses successeurs : Louis X le Hutin, Jean Ier le Posthume, Philippe V le Long, Charles IV le Bel jusqu'aux premiers Valois.
Les Rois maudits deviennent une référence dans le genre du roman historique et son ampleur est sans commune mesure dans l'Histoire de la littérature. En 1966, Maurice Druon intègre la prestigieuse Académie française. Le roman historique est loin d'être de la littérature de bas étage et l'image du Moyen Âge est plus que jamais redorée.
« Au début du XIVe siècle, Philippe IV, roi d'une beauté légendaire, régnait sur la France en maître absolu. Il avait vaincu l'orgueil guerrier des grands barons, vaincu les Flamands révoltés, vaincu l'Anglais en Aquitaine, vaincu même la Papauté qu'il avait installée de force en Avignon. Les Parlements étaient à ses ordres et les conciles à sa solde.
Trois fils majeurs assuraient sa descendance. Sa fille était mariée au roi Edouard II d'Angleterre. Il comptait six autres rois parmi ses vassaux et le réseau de ses alliances s'étendait jusqu'à la Russie.
Aucune richesse n'échappait à sa main. Il avait tour à tour taxé les biens de l'Eglise, spolié les Juifs, frappé les compagnies des banquiers lombards. Pour faire face aux besoins du Trésor, il pratiquait l'altération des monnaies. Du jour au lendemain, l'or pesait moins lours et valait plus cher. Les impôts étaient écrasants ; la police foisonnait. Les crises économiques engendraient des émeutes étouffées dans le sang. Les révoltes s'achevaient aux fourches des gibets. Tout devait s'incliner, plier ou rompre devant l'autorité royale...
Mais l'idée nationale logeait dans la tête de ce prince calme et cruel pour qui la raison d'Etat dominait toutes les autres. Sous son règne, la France était grande et les Français malheureux...
Un seul pouvoir avait osé lui tenir tête : l'Ordre souverain des chevaliers du Temple.
Cette colossale organisation, à la fois militaire, religieuse et financière, devait aux croisades, dont elle était issue, sa gloire et sa richesse. L'indépendance des Templiers inquiétait Philippe le Bel, en même temps que leurs biens immenses excitaient sa convoitise. Il monta contre eux le plus vaste procès dont l'Histoire ait gardé le souvenir, puisque ce procès pesa sur près de quinze mille inculpés. Toutes les infamies y furent perpétrées, et il dura sept ans.
C'est au terme de cette septième année que commence notre récit. » (Maurice Druon, Les rois maudits, éditions Mondiales, 1955, Prologue.)
Vient ensuite George R.R. Martin, dont le nom vous dit forcément quelque chose depuis le succès sans précédent du Trône de Fer (Game of Thrones). Il s’inscrit dans la lignée de son prédécesseur et va même jusqu’à ajouter les deux initiales R.R. pour lui faire écho. Il est également un grand aficionado de Maurice Druon, dont il affirme s'inspirer énormément.
Il s’éloigne tout de même de Tolkien en réfutant les guerres des hommes contre les forces du mal. Il choisit lui de faire s’entretuer les hommes au profit du pouvoir terrestre. Son monde à lui est donc logiquement plus violent et plus amoral. Il s’inspire abondamment du Moyen Âge : la guerre des Deux-Roses (1450-1485) entre les York et les Lancastre pour le trône d’Angleterre se transforme en un conflit acharné entre les Stark et les Lannister pour le trône de Fer (qui permet de régner sur les sept royaumes de Westeros).
Son Moyen Âge semble « réaliste » mais en réalité il s’inscrit dans un des deux topoï que l’on retrouve sur la période : d’un côté, un Moyen Âge fait d’amour courtois, d’eau fraîche, de piété et de vertus chevaleresques, de l’autre, un Moyen Âge obscur, violent misérable et inégalitaire.
Avez-vous identifié auquel de ces deux clichés s’apparente l’univers de Martin ? Au deuxième, bien sûr ! La saga du Trône de Fer est assez riche en événements et descriptions morbides : meurtres à répétition (souvent fratricides ou parricides), inceste, cannibalisme, etc.
Cette invitation à la catharsis plaît beaucoup, tout comme l'univers très travaillé et rempli d'innombrables personnages que propose Martin. C'est grâce au bouche à oreille que ses livres se sont de mieux en mieux vendus à travers le monde et le Trône de Fer est aujourd'hui perçu comme l'un des meilleurs cycles de fantasy jamais écrits.
Dans Les Piliers de la terre (1989), l’écrivain gallois Ken Follett prend pour contexte la construction d’une cathédrale dans l’Angleterre du XIIe siècle. Le triomphe de cet ouvrage, vendu à 15 millions d’exemplaires à travers le monde, témoigne du goût prononcé des auteurs et de leurs lecteurs pour la période médiévale. Ce best-seller est même doté de deux suites, en 2008 et en 2017 (Un monde sans fin et Une colonne de feu).
Aujourd’hui encore, nombre d’auteurs puisent dans le Moyen Âge pour donner une teinte médiévale à leur œuvre. La passion selon Juette de Clara Dupont-Monod (2007), Les Dames du lac de Marion Zimmer Bradley (2009), La nef des loups de Yan Kervran (2011) De Silence et d’Ombre de Jean-François Zimmermann (2012), Le Bâtard de Kosigan de Fabien Cerrutti (2014), Chien du heaume de Justine Niogret (2014)
On constate que tous les genres littéraires sont compatibles avec le roman historique médiéval. Ellis Peters, par exemple, est le spécialiste du roman policier historique avec sa série Frère Cadfael mettant en scène un moine bénédictin gallois et ancien croisé du Moyen Âge dans pas moins de vingt romans, entre 1977 et 1994, dont le premier, Trafic de reliques, est devenu une référence.
Côté fleur bleue, Julie Garwood est la grande spécialiste américaine des romances historiques. Elle met surtout en scène des Écossais sur trame médiévale et le résultat du combo Moyen Âge/histoire d’amour passionne ! C’est ce que prouvent ses 20 millions d’exemplaires vendus à travers le monde et ses 15 romans classés sur la liste des best-sellers du New York Times.
Chez les enfants, le Moyen Âge est très présent, au point d’ailleurs que Cécile Boulaire, spécialiste de la littérature jeunesse consacre un ouvrage sur le sujet, travaillant sur un corpus de 600 titres publiés en France entre 1945 et 1999 (Le Moyen Âge dans la littérature pour les enfants, Presses Universitaires de Rennes, 2002).
La romancière française Évelyne Brisou-Pellen décrit la France des années 1350 dans sa série de romans historiques Garin Trousseboeuf. Héros éponyme, ce jeune garçon étudie dans une abbaye avant de parcourir les routes en travaillant comme scribe itinérant. Ses aventures palpitantes sont l’occasion d’un réel voyage dans le temps.
Mais ce n’est pas seulement les romans de fiction qui vont familiariser les enfants avec le Moyen Âge. La fantasy relève du genre de l’imaginaire et s’inspire des mythes, légendes et créatures de la période médiévale. Aussi est-elle très présente dans les arts visuels et notamment dans le huitième art qu’est la bande dessinée.
Pour n’en citer que quelques titres, on peut évoquer Les Héros cavaliers de Rouge et Cothias publiés entre 1986 et 1997 et qui se déroulent dans la Bretagne du VIe siècle, Arthur, une épopée celtique de Chauvel et Lereculey publiés entre 1999 et 2006 et qui prend pour sujet la légende arthurienne, ou encore, plus récemment, la collection Le Moyen Âge en BD de Dominique Joly et Alexandre Franc, débutée en 2018 pour mieux amener les jeunes générations à cette période de notre histoire.
Au fil de ces exemples de romans historiques médiévaux, on note que le contexte spatio-temporel privilégié est l’Europe de la fin du Moyen Âge, une période marquée par la sorcellerie, les troubles religieux, la chute de Constantinople ou encore les grandes découvertes, propice au développement de l’imagination et à la création des auteurs... [Suite : XXe-XXIe siècles, le Moyen Âge envahit nos écrans]
Homère, ses dieux et ses héros
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LOIGNON (15-06-2019 23:55:09)
Il me semblait que le 6ème tome des "Rois Maudits" (le Lys et le lion" clôturait le cycle avec notamment la mort du truculent Robert d'Artois.