Boris Vian (1920 - 1959)

Une oeuvre inépuisable

Bison Ravi, Baron Visi, Boriso Viana, Vernon Sinclair, Vernon Sullivan, et bien d’autres pseudonymes empruntés par Boris Vian illustrent l'imagination sans borne de cet artiste plein de ressources. 

Écrivain, poète, chanteur et trompettiste, son œuvre est une vraie mine d’or et son style inimitable. C'est dans la musique et la fête qu'il parvient à se divertir et à oublier les déboires de sa vie professionnelle et personnelle...

Charlotte Chaulin

Portrait de Boris Vian (1920-1959) avec sa trompette. DR.

L’éveil d’une âme d’artiste

Boris Vian naît le 10 mars 1920 à Ville d’Avray, en Seine et Oise, près de Paris. Deuxième enfant d’Yvonne Ravenez et Paul Vian, il a deux frères, Lélio et Alain, et une sœur, Ninon.

La famille vit dans un confort financier hérité des deux branches : la famille Ravenez est fort aisée et Paul a hérité de la fortune de son père Henri, bronzier d’art.

Boris Vian vers l'âge d'un an. Sur l'agrandissement : Boris Vian en famille dans le jardin de la maison de Ville d'Avray, DR.Mais la crise de 1929 n’épargne pas la famille Vian, contrainte de déménager pour une demeure plus modeste à Ville d’Avray. C’est à cette époque qu’elle fait la connaissance de la famille Menuhin, dont le fils Jehudi est déjà un jeune violoniste prodigieux, et avec qui elle noue une amitié indéfectible.

Boris Vian fait sa première communion, ce qui semble paradoxal au vu de l’anticléricalisme de la famille qui reste toutefois attachée à certaines traditions, et intègre le lycée Hoche de Versailles.

Dans les années 1930, il est atteint d’un rhumatisme cardiaque et d’une fièvre thyphoïde. Malgré sa santé fragile, il obtient son baccalauréat classique puis décroche son baccalauréat de philosophie, option mathématiques, au lycée Condorcet.

L’adolescent, qui s’est procuré sa première trompette d’occasion, monte un groupe de jazz avec ses deux frères et quelques amis. Ils multiplient les concerts et la musique prend une place de taille dans la vie de Boris Vian, qui adhère au Hot-Club de France dont le Président d’honneur n’est autre que Louis Armstrong.

En 1939, il est bouleversé par le concert de Duke Ellington au Palais de Chaillot, à Paris. Il intègre l’École Centrale des Arts et Manufactures (comme plus tard le chanteur Antoine !). L'école se replie à Angoulême lorsque la guerre éclate. Lui n’est pas mobilisé en raison de ses problèmes de santé.

L’été, il se rend à bicyclette à Capbreton, dans les Landes, où il retrouve ses parents et ses frères, avec qui il aime faire la fête. A l’occasion d’une surprise-partie, il fait la connaissance de Michelle Léglise et de Jacques Loustalot qu’on retrouvera dans ses œuvres sous le surnom du « Major ».

Boris Vian et son premier orchestre de jazz. En agrandissement : Boris Vian et son fils Patrick. DR.

En 1940, il épouse Michelle à Paris et commence la rédaction d’un recueil de poésie, Cent sonnets. Le couple donne naissance deux ans plus tard à un premier enfant, Patrick.

Pour faire vivre sa famille, Boris obtient son diplôme d’ingénieur et intègre sans réel intérêt l’Association française de normalisation (Afnor). Son bonheur, il le trouve dans la musique et joue dans l’orchestre de jazz de son ami polytechnicien Claude Abadie.

Pendant la guerre, il écrit des scénarios avec son épouse et son premier roman, Trouble dans les Andains, qui ne paraîtra qu’à titre posthume en 1966.

À la Libération de Paris, le couple qui vit alors à Ville d’Avray, fréquente les bals de soldats américains. Un terrible drame interrompt les festivités : son père, Paul Vian est assassiné par des cambrioleurs devant sa femme, sa belle-sœur et sa fille, la jeune sœur de Boris.

La maison de Ville d’Avray est mise en vente, avec tout son contenu.

Un artiste inarrêtable

La mort tragique de son père bouleverse Boris Vian mais c’est aussi à partir de ce moment-là que sa carrière décolle. Il affine son style littéraire moderne et indépendant, joue avec les mots et déconstruit le langage. Pour lui, art respectable et expression populaire sont tout aussi intéressants.

En 1945, les éditions Gallimard acceptent de publier son roman Vercoquin et le plancton. Ses premières chroniques paraissent dans Les Amies des Arts et ses concerts avec Abadie rencontrent un succès fou.

L’année suivante, il entre à l’Office du papier et du carton, où il achève l’écriture de l’Écume des jours. Véritable touche-à-tout, il peint six tableaux cette année-là. Ses nouvelles connaissances, Simone de Beauvoir et Jean-Paul Sartre, l’invitent à rejoindre l’équipe de la revue Les Temps Modernes.

De gauche à droite : Jean-Paul Sartre, Boris Vian, Michelle Vian, Simone de Beauvoir. En agrandissement : Boris Vian et Miles Davis, DR.

Le succès n'est pas toujours au rendez-vous et les échecs lui laissent un goût amer. Déçu de ne pas avoir eu le Prix de la Pléiade de Gallimard pour L'Écume des jours, il écrit dans le journal anarchiste La Rue. En vacances à Saint-Jean-de-Monts, en Vendée, inspiré par le style américain, il écrit son premier roman noir : J’irai cracher sur vos tombes. L'ouvrage relate crûment les difficultés des Noirs américains face aux Blancs pendant la ségrégation desn les États du Sud. 

À la fin des années 1940, Boris Vian devient un acteur important du quartier de Saint-Germain-des-Prés à Paris. Au point que les éditions Toutai lui commandent en 1950 un Manuel de Saint-Germain-des-Prés.

Il anime une cave de jazz rue Dauphine avec son frère, fréquente le Club Saint-Germain et se lie d’amitié avec les plus grands musiciens noirs américains qui jouent dans des clubs de jazz parisiens : Dizzy Gillespie, Charlie Parker, Miles Davis, Don Byas.

Un nouveau drame tourmente Boris et sa femme : le « Major » meurt en tombant d’une fenêtre lors d’une fête en 1948. Mais les pleurs laissent place aux larmes de joie lorsque naît Carole, leur première petite fille, au mois d’avril.

En 1949, J’irai cracher sur vos tombes, dont la sortie a créé un véritable scandale, est interdit par arrêté ministériel. l'année suivante, Boris Vian est condamné pour « outrage aux bonnes moeurs ». Il s'en tire bien et ne déboursera que vingt mille francs de frais de justice.

Crise familiale et financière

Le temps de Saint-Germain-des-Prés s’achève en 1949. Boris Vian entre alors dans une période sombre de sa vie, qui mêle crise conjugale et financière, et se replie à Saint-Tropez.

Boris Vian et Ursula en Normandie. En agrandissement : Boris Vian et Ursula à l'Alpe d'Huez, DR.Ses problèmes cardiaques le contraignent, à son grand dam, d’arrêter la trompette. Le titre de son dernier roman reflète son état d’esprit : L’Arrache-cœur. Ce sera un flop éditorial.

Il s’installe dans un studio minuscule boulevard de Clichy, à Paris, avec sa nouvelle amante : Ursula Kübler, rencontrée lors d’un cocktail chez Gallimard.

Il gagne sa vie en collaborant à la revue Constellation et, toujours en soif de nouveautés, se lance dans la comédie musicale.

Le divorce avec Michelle lui fait perdre la garde de ses enfants, qu’il voit très peu.

Boris et Ursula déménagent en 1953 pour un appartement à Montmartre. Les temps sont plus gais et ils côtoient régulièrement leurs amis, dont leur voisin de palier Jacques Prévert.

L’année suivante, les amants se marient et Boris se lance dans la chanson, avec en galop d’essai, l’écriture du Déserteur. Dans la foulée, il enregistre deux 45 tours : Chansons possibles et Chansons impossibles.

En 1957, il est nommé directeur artistique adjoint pour le jazz et les variétés chez Philips. Le divertissement et le succès sont au rendez-vous mais la dégradation de son état de santé l’empêche de s’en réjouir. Il est de nouveau sujet à des crises d’œdème pulmonaire.

Son ami Eddie Barclay lui propose un poste de directeur artistique au sein de sa maison de disques mais Boris Vian est fatigué.

Boris Vian est nommé directeur artistique chez Philips en 1957, DR.

Le 23 juin 1959 au matin, l'écrivain assiste, contrarié, à la projection privée du film adapté de son livre J’irai cracher sur vos tombes, réalisé par Michel Gast, avec qui il entretient des rapports tendus. Au bout de dix minutes de projection, il est victime d’un œdème et d’une crise cardiaque dans son fauteuil.

Sa femme le rejoint en urgence et l’accompagne à l’hôpital Laënnec. Il meurt sur son lit d’hôpital à l’âge de 39 ans.

Tous ses proches sont réunis à Ville d’Avray pour son enterrement. Les heures passent et le cercueil reste en place. Personne ne vient l’inhumer. Les employés du service funéraire sont en grève. Ce sont donc ses amis qui se dévouent pour mettre l’artiste en terre.

Préface de J'irai cracher sur vos tombes

Couverture du roman J'irai cracher sur vos tombes signé Vernon Sullivan aux éditions du Scorpion. En agrandissement : Tous les romans que Boris Vian a signé sous le pseudo Vernon Sullivan. DR. « C’est vers juillet 1946 que Jean d’Halluin a rencontré Sullivan, à une espèce de réunion franco-américaine. Deux jours après, Sullivan lui apportait son manuscrit.
Entre-temps, il lui dit qu’il se considérait plus comme un Noir que comme un Blanc, malgré qu’il ait passé la ligne ; on sait que, tous les ans, plusieurs milliers de « Noirs » (reconnus tels par la loi) disparaissent des listes de recensement, et passent au camp opposé ; sa préférence pour les Noirs inspirait à Sullivan une espèce de mépris des « bons Noirs », de ceux dont les Blancs tapotent affectueusement le dos dans la littérature. Il était d’avis qu’on peut imaginer et même rencontrer des Noirs aussi « durs » que les Blancs. C’est ce qu’il avait personnellement essayé de démontrer dans ce court roman dont Jean d’Halluin acquit les droits complets de publication sitôt qu’il en eut pris connaissance par l’intermédiaire d’un ami. Sullivan hésitait d’autant moins à laisser son manuscrit en France que les contacts déjà pris par lui avec des éditeurs américains venaient de lui montrer la vanité de toute tentative de publication dans son pays.
Ici, nos moralistes bien connus reprocheront à certaines pages leur… réalisme un peu poussé. Il nous paraît intéressant de souligner la différence foncière qu’il y a entre celles-ci et les récits de Miller ; ce dernier n’hésite en aucun cas à faire appel au vocabulaire le plus vif ; il semble au contraire que Sullivan songe plus à suggérer par des tournures et des constructions que par l’emploi du terme cru ; à cet égard, il se rapprocherait d’une tradition érotique plus latine.
On retrouve, par ailleurs, dans ces pages, l’influence extrêmement nette de Cain (bien que l’auteur ne cherche pas à justifier, par un artifice, manuscrit ou autre, l’emploi de la première personne, dont le romancier précité proclame la nécessité dans la curieuse préface de « Three of a kind », un recueil de trois romans courts réunis récemment en Amérique sous la même couverture et traduits ici par Sabine Berritz) et celle également des plus modernes Chase et autres supporters de l’horrible. À cet égard on devra reconnaître que Sullivan se montre plus réellement sadique que ces devanciers illustres ; il n’est pas surprenant que son œuvre ait été refusée en Amérique : gageons qu’elle y serait interdite le lendemain de sa publication. Quant à son fond même, il faut y voir une manifestation du goût de la vengeance, chez une race encore, quoi qu’on en dise, brimée et terrorisée, une sorte de tentative d’exorcisme, vis-à-vis de l’emprise des Blancs « vrais », de la même façon que les hommes néolithiques peignaient des bisons frappés de flèches pour attirer leur proie dans les pièges, un mépris assez considérable de la vraisemblance et aussi des concessions au goût du public.
Hélas, l’Amérique, pays de Cocagne, est aussi la terre d’élection des puritains, des alcooliques, et de l’enfoncez-vous-bien-ça-dans-la-tête : et si l’on s’efforce en France à plus d’originalité, on n’éprouve nulle peine, outre-Atlantique, à exploiter sans vergogne une formule qui a fait ses preuves. Ma foi, c’est une façon comme une autre de vendre sa salade. »


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Publié ou mis à jour le : 2021-10-27 18:06:05

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