Elle est la plus grande scientifique du XXème siècle. Première femme prix Nobel, première enseignante à la Sorbonne, première femme à reposer au Panthéon, Marie Curie a bouleversé les sciences, révolutionné la médecine et ouvert la voie à des perspectives énormes (aussi bien Hiroshima que le traitement du cancer). Avec Radioactive, Marjane Satrapi signe un superbe film qui revient avec brio sur la carrière de la scientifique mais aussi, et surtout, la vie de la femme. Sortie le 11 mars 2020.
Sur son lit de mort en 1934, Marie Curie, incarnée avec beaucoup de justesse par la sublime Rosamund Pike, se remémore sa vie. S’ensuit 1h50 d’un film qui file à toute allure tant le rythme et l’histoire emportent le spectateur. Car il faut dire que la vie de la jeune Polonaise fut bien remplie.
D’ailleurs dès les premières minutes du film, nous sommes face à une Marie Curie, Polonaise naturalisée française, qui manie l’anglais à la perfection avec un accent quasi-snobbish. Car Radioactive est un film britannique réalisé par une franco-iranienne. Ce mélange des genres n’enlève heureusement rien à la qualité de ce très bon biopic.
Même si les portraits de femmes se sont multipliés au cinéma ces dernières années (on en veut encore !), Marie Curie apparaît comme l'une des femmes de l'Histoire les plus combatives. Car elle est une immigrée polonaise dans une France nationaliste, une femme dans une société sexiste et une enfant qui connaît très tôt les souffrances de la vie.
Née à Varsovie en 1867, sous occupation russe, elle perd très jeune sa mère et sa sœur, emportées par le typhus. Dévastée par la mort de sa mère, elle décide de ne plus jamais mettre les pieds dans un hôpital.
En 1891, elle rejoint sa sœur Bronya à Paris et effectue de brillantes études qui lui permettent d’intégrer le laboratoire du professeur Lippmann. C’est alors que Marie prend la réalité de pleine face : la communauté scientifique est exclusivement masculine et il va lui être difficile de s’y faire une place.
Dès cet instant, sa ténacité saute aux yeux. Elle interrompt une réunion et proteste contre le fait que son matériel ait été déplacé. Résultat des courses, elle est virée.
C’est à ce moment-là, en 1894, qu’elle fait la connaissance du scientifique Pierre Curie. Farouchement attachée à son indépendance, elle tente d’abord de lui faire comprendre qu’il ne doit pas envisager une relation avec elle. Mais difficile de résister lorsqu’il la demande en mariage, car elle partage ses sentiments. Leur mariage est célébré en juillet 1895.
Derrière chaque grand homme, il y a une femme, dit-on. Mais derrière cette grande femme, il y a un homme. Car Pierre Curie, fou amoureux de son épouse, fait tout pour que Marie soit mise en avant et respectée.
Lui piquer ses travaux ? S’attribuer la gloire qu’elle mérite ? Jamais. Conscient de son immense talent de chercheuse, il veut à tout prix l’accompagner dans cette voie et partager avec elle cette passion qui les anime tous les deux depuis l’enfance. Aussi l’aide-t-il dans la recherche qu'elle entreprend depuis des mois : isoler d’un minerai un nouvel élément, le radium.
La physique-chimie, qui rappelle, pour certains, quelques lointains souvenirs du collège, est rendue accessible à tous. Les procédés sont expliqués, simplifiés et illustrés, et les principaux enjeux des travaux de Pierre et Marie Curie sont rendus compréhensibles.
Mais l’intérêt du film réside aussi dans ce qu’il nous apprend de nouveau. Par exemple, l’attrait de Pierre pour les sciences occultes. Ce scientifique « pur et dur » en est fasciné et emmène Marie à des séances de spiritisme. Elle, au contraire, a un esprit cartésien qui l’éloigne fondamentalement de cette discipline.
Le couple est consacré du prestigieux prix Nobel de physique en 1903 et le partage avec Henri Becquerel, dont les travaux sur la radioactivité ont inspiré la jeune Marie.
Ils vivent heureux, malgré quelques disputes liées notamment à l’ambition sans limite de Marie, et fondent une famille avec la naissance de leurs deux filles, Irène et Eve.
Le spectateur partage l’intimité de leur vie de couple, si bien que la tragédie de 1906, pourtant attendue, est terrible. Pierre meurt écrasé par une calèche.
L’empathie est immense. L’on est bouleversé par cette mort aussi stupide que tragique et le désespoir de Marie nous prend aux tripes. Baigné d’une lumière verte énigmatique, la tension du film est palpable, presque radioactive.
Dévastée, Marie trouve du réconfort dans les bras de Paul Langevin, un collègue scientifique marié, ce qui ne va pas sans choquer les mœurs de l’époque.
Humiliée, honnie, insultée, elle ne baisse pas les bras et poursuit ses recherches tout en enseignant à la Sorbonne, où elle a repris la chaire de son défunt mari.
La tête haute, elle exprime le souhait de voir séparer sa vie scientifique de sa vie amoureuse. Une situation qui fait écho à une problématique très actuelle en 2020.
Au bout du compte, Marie Curie ne parvient pas seulement à se faire une place dans un monde d’hommes. Elle en occupe la première place.
Première personne ayant obtenu deux prix Nobel, elle forme de nombreux scientifiques dont sa fille Irène. Cette dernière incite sa mère à utiliser la radioactivité pour sauver des soldats de l’amputation. Car, au début de la Première Guerre mondiale, les blessés affluant en masse, certains sont amputés d’une jambe à cause d’une simple entorse.
Elle met ses recherches au service de la médecine et de l’humanité. Les « petites Curies » : une voiture, un appareil à rayons X, un médecin, un chauffeur permettent de localiser les éclats d’obus chez les blessés et d’opérer à bon escient.
Le couple Joliot-Curie poursuit les travaux de Pierre et Marie. Irène mettra ainsi au point la radioactivité artificielle. C'est grâce aux découvertes de sa mère que la radiothérapie aide à guérir aujourd'hui du cancer.
La réalisatrice, Marjane Satrapi, ne se limite pas aux bornes chronologiques de son sujet. Aux côtés des « flashbacks » qui nous éclairent sur l’enfance et les traumatismes de son héroïne, elle met la radioactivité en perspective en s’autorisant des « flashforwards ». Car ses découvertes vont avoir des conséquences de taille sur le monde moderne, permettant entre autres la mise au point de la bombe nucléaire..
Elle réussit alors une belle plongée dans les dérives à venir de l’application de la radioactivité par l’homme. Entre fantasme et poésie, l’esthétisme et la musique poignante nous font comprendre tous les enjeux de la radioactivité, qui n’est pas sans danger... Marie Curie étant elle-même emportée par les dégâts causés par le radium sur sa santé.
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