L'objet qui désormais trône sur un socle au milieu d'une salle berlinoise serait simplement tombé d'une étagère, au fond d'un atelier... Mais d'où vient vraiment ce buste de Néfertiti, devenu une des icônes de l'art mondial ? L'histoire n'est pas si simple...
« Soudain, nous avions entre les mains l'œuvre d'art égyptienne la plus vivante qui soit. [...] Inutile de la décrire, il faut la voir ! » Ludwig Borchardt a de quoi être enthousiaste : ce 6 décembre 1912, son équipe vient de trouver une création majeure de l'art antique, d'une beauté inouïe. Ce buste de 50 cm, trouvé sous des gravats à Tell el-Amarna, en Haute Égypte, c'est celui de la reine Néfertiti, « La parfaite est venue ».
Mariée à 15 ans au pharaon Akhenaton au XIVe siècle av. J.-C., elle va partager avec lui le pouvoir le temps d'un règne qui est un des plus originaux de la longue histoire de l'Égypte. Trop original ? A la mort du souverain, toutes les images du couple subissent une damnatio memoriae et sont systématiquement martelées. C'est donc un miracle de voir réapparaître de si belle manière le visage de la mystérieuse Néfertiti !
Les archéologues allemands ont en fait eu beaucoup de chance puisqu'ils viennent de découvrir l'atelier du sculpteur Thoutmosis, chargé des portraits de la famille royale. Ce sont donc plus de 20 moulages en plâtre mais aussi des pièces inachevées qui entourent le fameux buste. Celui-ci est composé d'un noyau en calcaire enrobé de plâtre, ce qui permettait des retouches, par exemple ici au niveau des pommettes ou du nez. Une coiffe bleue qu'ornait à l'origine un cobra vient accentuer la délicatesse du port de tête, royal bien sûr. Tout aussi remarquable est le dessin du pectoral dont les couleurs, comme toutes celles du buste, sont d'une incroyable fraîcheur. Il s'agirait d'une œuvre d'atelier, un simple outil servant de modèle pour reproduire une image canonique, facilement reconnaissable dans tous les coins du royaume. L'orbite gauche aurait été laissée vide pour faire ressortir la forme et la profondeur de l'oeil.
Très fier de lui, Borchardt ne peut s'empêcher de présenter quelques jours plus tard « son » chef-d'oeuvre à des princesses de Saxe en excursion. Il a réussi ! Il avait en effet promis à Guillaume II de lui trouver une pièce exceptionnelle, à l'heure où toute l'Europe est lancée dans une vaste course au trésor archéologique. Ne reste plus qu'à ramener sa protégée en Allemagne. Il y parviendra en se montrant malin pendant le traditionnel partage des fouilles : il attire l'attention du Conseil suprême des antiquités égyptiennes (CSA), présidé par les Français, sur un splendide retable en couleur représentant Akhenaton et les siens, et n'insiste guère sur le buste de la reine dont il aurait, dit-on, caché la beauté sous un enduit avant de la mettre au fond d'une caisse.
Voici donc « la Dame de grâce » trônant désormais au Musée égyptien de Berlin, malgré les multiples tentatives de son pays d'origine pour la faire revenir sur les rives du Nil. Même Hitler s'en est mêlé : « Je ne renoncerai jamais à la tête de la reine ! » aurait-il déclaré après être lui aussi tombé sous le charme des beaux yeux soulignés de khôl de celle que l'on surnomme désormais « La Joconde de Berlin ».
Mais tout n'est pas si simple... Et si ce visage parfait était un faux ? Le portrait d'Akhenaton, trouvé à quelques pas, est lui totalement défiguré. D'ailleurs, regardez bien le visage de la reine : ne trouvez-vous pas qu'il a un petit air de femme fatale à la Greta Garbo ? Et ce pectoral fleuri, ne ressemble-t-il pas un peu trop aux réalisations des bijoutiers de l'Art déco ? Notre Néfertiti ne serait que la création d'un habile artiste de la Belle Époque que Borchardt se serait un peu trop empressé de dévoiler à ses princesses de Saxe, devant les photographes. D'ailleurs, on peut se demander pourquoi le buste est resté pendant plus de 10 ans chez son mécène avant d'être présenté au public... Mettons fin à la polémique : si l'on ne peut dater le calcaire, le plâtre qui le recouvre est typique de l'ancienne Égypte. Mais surtout l'ensemble a été fabriqué à partir de proportions calculées suivant l'unité de mesure de l'époque, le doigt égyptien (1,89 cm). Une donnée inconnue en 1912 ! Aucun doute, « La parfaite » a bien traversé 34 siècles pour venir nous offrir son sourire.
Mark Rose, Eti Bonn-Muller et Giogio Ferrero, Les Grandes découvertes archéologiques, éd. White Star, 2010.
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