Game of Thrones

Pourquoi le final nous laisse-t-il sur notre faim ?

Cet article est une humble tentative d’expliquer pourquoi les Français n’ont guère goûté le dernier épisode de cette magnifique série. Et attention, puisque nous en dévoilons ici la fin, il convient de ne pas lire la suite de cet article, si vous ne voulez pas vous divulgâcher le plaisir...
Gilles Dessus, professeur d'histoire-géographie, Ami d'Herodote.net

Depuis les premiers épisodes, les spectateurs avaient découvert toute une galerie de personnages sur le continent appelé Westeros, en particulier Jon Snow, bâtard de la famille Stark de Winterfell, gardien du mur de glace face aux nécromanciens appelés les marcheurs blancs, et Daenerys, héritière de la famille régnante déchue des Targaryens, coutumière des dragons. La glace et le feu. Ce qu’évoque le sous-titre anglais : « A song of ice and fire. »

Nous apprenions que loin d’être un fils illégitime des Stark, Snow était aussi l’héritier des Targaryens. Il n’a eu de cesse de sauver le monde de la menace des marcheurs blancs. Il y est finalement parvenu avec l’aide de Daenerys, qui s'est avérée être sa tante et de laquelle il est tombé amoureux (les Targaryens ont l’habitude de se marier entre eux à l’instar des familles royales de l’ancienne Égypte). Voilà un chef juste, efficace militairement et d’une morale sans faille. Face aux puissants de tous bords, il protège le peuple.

Le peuple, c’est justement le credo de Daenerys. Aidée par trois vigoureux dragons, celle qui porte entre autres le titre de briseuse de chaînes a démarré sa prometteuse carrière en libérant des cités esclaves  sur le continent de Westeros. Soulevant l’enthousiasme des humbles, elle a fédéré avec enthousiasme et dévotion une armée hétéroclite mais soudée par une juste cause et une juste souveraine.

Mais catastrophe. Celle qui avait donné tant de gages de sa morale « populaire » s’enflamme littéralement dans la reconquête finale de la capitale et avec elle, la ville termine en brasier. Des milliers d’innocents meurent alors dans les flammes de son dernier dragon. Nous assistons, incrédules, à la naissance d’un tyran psychopathe, prêt à tout pour parvenir à ses fins et partant ensuite à la conquête du monde. Le tout en deux épisodes. La fin tombe comme un couperet, ou plutôt une dague : elle finit assassinée par son amant, Jon Snow, et le pouvoir échoit par élection des grands du royaume à Bran, de la famille Stark, sorte de médium infirme et sage.

La désillusion saisit les spectateurs par la soudaineté de cette fin avec une sensation étrange d’illogisme. En fait, si la fin est abrupte, elle est logique... pour un Anglo-Saxon.

En effet, après tous ces épisodes qui évoquaient plutôt une guerre de Cent Ans matinée de guerre des Deux-Roses (guerre de succession au trône d’Angleterre à la fin du Moyen Âge), nous sommes projetés au XVIIème siècle. Deux voies se présentent en Europe occidentale à cette époque. Soit la monarchie absolue en gestation en France ou le parlementarisme en Angleterre.

Les Anglais vont se débarrasser de leur roi, Jacques Ier, qui veut établir une monarchie proche du modèle français. l’accusant de tyrannie, d’oppression religieuse, ils finissent par le décapiter. Et une assemblée de Grands du royaume vont prendre un monarque, sérieusement affaibli et encadré dans l’exercice de son pouvoir.

De l’autre côté de la Manche, malgré le péril de la Fronde (une guerre civile), le jeune roi Louis XIV se maintient au pouvoir et va achever le modèle du monarque absolu. Véritable repoussoir pour les Britanniques.

Maintenant un peu de philosophie. Les deux voies empruntées correspondent à deux écoles de philosophie. La première est celle de John Locke. Elle montre assez de confiance dans l’être humain pour préférer une organisation sans chefs, sans règles rigides, mais plutôt axée sur la contractualisation des rapports humains. Si défiance il y a, elle viendrait donc d’un chef qui s’arrogerait les pouvoirs pour son propre bénéfice et deviendrait à coup sûr un tyran. C’est le modèle de la Révolution anglaise. Avec l’indépendance américaine, la défiance face au pouvoir central va encore franchir un pas de l’autre côté de l’atlantique où une bonne partie de la population réfute l’emprise des « gens de Washington ».

La liberté doit primer sur tout et il faut se défier des hommes de pouvoir, tyrans en herbe. La plupart des films, des séries américaines sont construites sur ce thème. Le pouvoir est dictatorial, il faut s’en défier. Tout doit justifier cette idéologie. Games of Thrones n’échappe pas à la règle et Daenerys devait mourir pour que vive cette logique. Un autre mythe du cinéma américain est dans la même veine puisque dans la guerre des Étoiles, le personnage d’Anakin Skywalker (pour moi le vrai héros) franchit la ligne rouge en servant un souverain absolu, l’Empereur, qui sera un abominable despote.

Mais une deuxième école de pensée existe. Celle de Thomas Hobbes. Cette fois, du fait de la défiance généralisée face à l’homme, il convient de s’organiser en choisissant soigneusement un chef qui appliquera à tous des règles communes. Point de liberté donc, mais le souci d’épargner à tous l’inéluctable loi du plus fort. Le souverain n’est donc pas un tyran mais le protecteur du peuple, des humbles. Sans lui, ses règles et ses moyens de les appliquer (armée, dragon?), les puissants prendraient inexorablement le contrôle.

Louis XIV est l’incarnation de ce souverain absolu. Ce n’est pas un despote mégalomane, mais un homme voué à sa tâche, qui agit pour le bien de tous et encadre les puissants en les surveillant étroitement à Versailles. Daenerys était une reine soleil (la lumière en France et les flammes pour la Targaryenne) en puissance. Tout laissait présager une juste souveraine. Mais les scénaristes, tout en bâclant la fin, sont restés fidèles à leur idéologie.

Les Anglo-Saxons sont décidément bien éloignés de la France et de nos héros du passé. Même si leurs conceptions reçoivent un écho grandissant chez nos élites. Cependant, si une ample majorité de téléspectateurs français n’ont pas goûté le final, c’est peut-être que la psyché française n’est pas morte.

C’est aussi, à mon avis, tout le sens des débats politiques actuels. Locke-Bran, d’un côté, contre Hobbes-Daenerys, de l’autre...

Publié ou mis à jour le : 2020-02-06 14:17:29

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