Claude Fouquet, ancien diplomate, est l’auteur de plusieurs livres et essais qui ont retenu notre attention : Délires et défaites, Modernité, source et destin, Julien l’Apostat… Aujourd’hui, dans un point de vue qui lui est propre, il réagit à la réhabilitation de Robespierre, maître d’œuvre de la Terreur en 1793-1794. Il s'interroge aussi sur les émules de l'Incorruptible, au XIXe siècle et plus encore au XXe...
À leur entrée à l’ENA (École Nationale d’Administration), les élèves de la promotion 1970 - parmi lesquels l’écrivain Jacques Attali, le dirigeant Louis Schweitzer et le ministre Philippe Seguin - ont donné à leur promotion le nom de Robespierre.
Plus près de nous, les élus parisiens réclament aujourd’hui, en 2011, que l’on donne le nom de l'«Incorruptible» à une artère parisienne (il existe déjà sur la commune limitrophe de Montreuil une rue et une station de métro à son nom ; quant à sa ville natale, Arras, elle s’honore d’un lycée à son nom !).
Ces choix continuent de provoquer de multiples débats en raison des actions équivoques de Robespierre. Président du club des Jacobins en 1791, il se signale par des discours enflammés en faveur de la Révolution démocratique. Plus généreux que la plupart des autres chefs de la Révolution, il figure parmi les rares partisans de l'abolition de la peine de mort ! Plus audacieux, il prône le suffrage universel (et non censitaire). Plus lucide, il s'oppose à l'entrée en guerre de la France en 1792.
Mais dès lors que la guerre est déclarée et que les revers des armées françaises menacent les avancées sociales et démocratiques de l'assemblée constituante, le voilà qui se porte à l'avant-garde de la Révolution. Après la chute de la monarchie et l'avènement de la 1ère République, il constitue un Comité de Salut Public destiné à sauver ce qui l'être, au prix de l'élimination des opposants (réels ou supposés). C'est bientôt la Terreur et même la Grande Terreur, qui voit la disparition des libertés individuelles et des garanties juridiques.
À l'été 1794, le retour de la fortune des armes consacre le «succès» de la Terreur... et la rend inutile. Robespierre et ses fidèles sont guillotinés le 10 Thermidor (28 juillet 1794). Les Conventionnels modérés qui les ont éliminés vont dès lors s'efforcer de mettre un terme au processus révolutionnaire tout en s'efforçant d'empêcher le retour de l'Ancien Régime. Il s'ensuivra plusieurs décennies de soubresauts politiques jusqu'à la consolidation de la IIIe République, dans les années 1880.
En dépit de ses errances et de son inachèvement, la Révolution française ne va cesser d'exciter les passions, en France et dans le reste du monde.
Proclamer des droits devint une mode pendant les deux siècles qui ont suivi, y compris et surtout pour les régimes totalitaires les plus cruels. L’Union Soviétique publia d’admirables Constitutions avec, en préambule, de longues déclarations garantissant tous les droits possibles. On rajouta des droits dit sociaux, en fait des droits de l’État, car quand on déclare le droit à la santé, au travail, au logement, à l’eau propre et à l’air pur, il ne peut pas s’agir de libertés laissées à des personnes, mais de pouvoirs donnés à l’État.
Les révolutionnaires du siècle dernier étaient bien conscients de ce qu’ils devaient à notre Révolution. La Marseillaise était le chant de ralliement des révolutionnaires russes, et aussi à Tbilissi, du gang géorgien animé par le jeune Staline. Lénine et Trotski faisaient constamment référence au 14 juillet. Ils voulaient revivre l’exaltation des débuts de la Révolution, sa phase initiale d’enthousiasme, d’iconoclasme et de terreur, mais ils voulaient la faire durer, la rendre permanente, éviter à tout prix un 9 thermidor (1794 : chute de Robespierre) ou un 18 brumaire (1799 : coup d’État de Bonaparte).
Pour empêcher un nouveau Thermidor, Staline fait tuer les principaux collaborateurs de Lénine ; tous ceux qu’il estime capables de lui contester le pouvoir. Nouveau Robespierre, il fait mieux que la Terreur. C’est la Grande Terreur qui, de 1936 à 1940, fait disparaître les derniers compagnons de Lénine : Kamenev, Zinoviev et Trotski. Puis, pour éviter un nouveau Brumaire, Staline décapite l’armée...
En novembre 1938, Vorochilov se vante d’avoir emprisonné 40.000 officiers et d’en avoir promu 100.000 nouveaux. Sur 16 généraux d’armée, 15 sont exécutés, ainsi que 60 des 67 commandants de corps d’armée. Mieux, tous les 17 commissaires politiques sont liquidés. Sur les 5 maréchaux, 3 sont tués, dont Toukhatchevski. Charismatique chef de guerre, il était noble comme Lénine et Molotov, mais il avait aussi été un impitoyable bolchevique, qui avait exterminé des milliers de paysans. Adoré par ses troupes, il était haï de Staline, qui l’appelait Napoléontchik. Torturé, il avoua avoir été un agent allemand et avoir comploté pour s’emparer du pouvoir. Après la chute de l’URSS, on a retrouvé dans les archives le texte de ses aveux, sur un papier jauni éclaboussé de sang.
Le maréchal Joukov, vainqueur de Stalingrad et qui avait pris Berlin où il avait signé la capitulation allemande, le 8 mai 1945, était devenu très populaire en Russie. Au point que le bruit courait qu’il allait succéder à Staline. Naturellement ce dernier en prit ombrage. «Dès la fin des hostilités, avait-il déclaré à Yalta, on ne parlera plus des soldats. Ils tomberont dans l’oubli». Aucune chance donc pour un nouveau Bonaparte. Joukov fut accusé de «bonapartisme». Ses proches collaborateurs furent torturés et exécutés, et lui-même exilé loin de Moscou.
Encore en 1960 quand, au nom du socialisme, Fidel Castro nationalise toutes les entreprises et les commerces, il met fin, explique-t-il, aux privilèges du passé pour permettre un avenir radieux. Quelques années plus tard, Pol Pot extermine deux millions de Cambodgiens, de préférence ceux qui ont eu le privilège d’apprendre à lire, où même de porter des lunettes. Son plus proche collaborateur, Khieu Samphan, avec qui j’ai eu l’occasion de parler à New York, à l’ONU, m’a dit qu’ils admiraient tout deux la Révolution. «Nous étions de bons élèves de vos écoles françaises»...
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