Nous avons lu : Délires et défaites, par Claude Fouquet (Albin Michel, mars 2000, 130 FTTC). L'historien et diplomate propose une réflexion sur la représentation que nous nous faisons de notre Histoire.
Voici un essai décapant qui met à mal quelques idées bienséantes sur l'Histoire de France. On n'est pas obligé de partager le point de vue engagé de l'auteur mais on peut difficilement ignorer la pertinence de ses observations.
Claude Fouquet attaque bille en tête l'idéologie des Lumières, née à Paris au XVIIIe siècle, et énumère ses fâcheuses conséquences pour la France et pour l'Europe.
L'introduction est un morceau d'anthologie et mérite d'être citée in extenso :
«Aimé de Dieu et envié des hommes, il était une fois un très vieux royaume, le plus ancien d'Europe et le plus riche du monde, que gouvernait avec modération une sage dynastie presque millénaire. C'était trop de bonheur et ses sujets se mirent en tête de rendre aussi heureux tout le genre humain, qui n'en demandait pas tant et le rabroua. Envahi, vaincu et humilié, comme il ne l'avait jamais été depuis plus de trois siècles, le royaume, contraint à la paix et à la tranquillité, se sentit mal et se déclara en état d'exception. Vingt et un ans après une totale défaite, il inaugura un énorme arc de triomphe. Puis il inhuma avec beaucoup d'honneur, en plein centre de sa capitale, celui qui l'avait mené au désastre (...)»
Le ton est donné. Claude Fouquet a beau jeu de rappeler ce qu'était la France à la veille de la Révolution: le premier pays du monde par sa puissance économique et par le rayonnement de sa culture. Sans doute néglige-t-il de préciser que les paysans français n'étaient pas les mieux lotis du monde occidental. Ils n'étaient pas en tout cas les plus malheureux, loin de là.
Pour l'auteur, Jean-Jacques Rousseau et les autres «philosophes» français du XVIIIe siècle sont les principaux responsables d'un complet bouleversement politique qui a entraîné un abaissement durable et profond de la France. Il oublie, il est vrai, les dirigeants politiques - Louis XVI le premier -, qui portent une écrasante responsabilité dans les dérapages révolutionnaires du fait de leurs faiblesses et de leur inconscience.
Le bilan de la Révolution française serait tout bonnement catastrophique. Claude Fouquet refuse à ce propos de distinguer la révolution libérale et modérément meurtrière de 1789 de la révolution violente de 1792, davantage apparentée à un coup d'État des activistes parisiens.
Parmi les plus graves conséquences de la Révolution, il cite non sans raison le triomphe des idéologies nationalistes :
«Inspirée par l'esprit de système, la nation, inventée en France au XVIIIe siècle, est fondée sur l'identité ethnique ou culturelle, et tend donc tout naturellement à rejeter ce qui n'est pas identique. La répression et même l'exclusion des minorités semblent légitimées par son principe même. Encore aujourd'hui, on enseigne avec fierté dans nos écoles comment la France relança, en 1919, le principe de nationalité à une échelle encore jamais atteinte.»
A la République française, fondée faute de mieux sur le culte de la Nation une et indivisible, l'auteur oppose l'Autriche-Hongrie, qui unissait les communautés les plus diverses dans la fidélité à la personne de l'empereur. L'émergence de l'union européenne et la faillite des nationalismes ont ramené dans l'actualité le modèle austro-hongrois.
Faut-il pour autant faire supporter à nos Jacobins de 1793 tous les péchés du nationalisme ? Le sentiment nationaliste n'a fait que s'accroître en Europe depuis la fin du Moyen Age et les guerres de Louis XIV lui ont donné une forte impulsion, tant en Allemagne qu'en Angleterre ou en Espagne. On peut tout de même convenir avec Claude Fouquet que Robespierre et consorts portent la plus grande responsabilité dans le développement du nationalisme en Europe.
Claude Fouquet revient régulièrement sur le caractère libéral de l'Ancien Régime, à cent lieues des totalitarismes déments du XXe siècle. Sans craindre de l'idéaliser quelque peu, il rappelle cette observation paradoxale de Mme de Staël : «C'est la liberté qui est ancienne, le despotisme qui est moderne».
Contre les idéologues de l'absolu qui se méfient du peuple, il invoque les modèles anglo-saxons et suisse, qui restent à ce jour les plus respectueux des droits et des libertés individuelles. Avec l'espoir que les Français réviseront leur jugement sur la Révolution et Napoléon. Mais change-t-on une légende ?
Agréable à lire et truffé d'observations qui donnent matière à réfléchir, le livre peut être une bonne idée de cadeau pour les amateurs d'Histoire. On regrette seulement quelques chapitres hors sujet sur l'économie.
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