Patrimoine et modernité

Un couple sous haute tension ?


Un public nombreux s'est retrouvé le 4 novembre 2011 au Carrousel du Louvre (Paris) pour un débat organisé par l'AJP (Association des journalistes du patrimoine) et animé par Laurence Thiriat, dans le cadre du Salon du patrimoine culturel.

Il a donné lieu à des échanges piquants et instructifs entre les intervenants. Florilège :

François Loyer, historien de l'architecture contemporaine et président de la Commission du Vieux Paris : Notre société ne sépare pas le patrimoine de l'architecture. Elle diffère en cela des époques précédentes. Par exemple, les contemporains de Louis XIV adaptaient et faisaient vivre le patrimoine hérité du passé de façon naturelle.

Jacques Ferrier, architecte, concepteur de la «ville sensuelle» au pavillon français de l'exposition Universelle de Shanghai : À Shanghai comme dans le reste de la Chine, le bâti est régulièrement renouvelé - en mieux ou en pire -. Mais l'âme de la ville demeure et l'on retrouve toujours dans la rue l'atmosphère animée propre aux villes chinoises. C'est tout le contraire de nos quartiers historiques restaurés à la lettre mais trop souvent privés de vie.

François Loyer : Le problème, dans une ville comme Paris, tient au prix du foncier, qui chasse vers l'extérieur les catégories populaires et transforme les quartiers historiques en des réserves bourgeoises.

Jacques Ferrrier : Il faut voir aussi qu'une protection trop stricte du patrimoine peut avoir des effets pervers. C'est le cas au Collège de France, au coeur de Paris, où l'on a renoncé à moderniser les laboratoires installés dans des bâtiments des années 1920. Du coup, les chercheurs et prix Nobel sont partis vers les campus de banlieue...

Jacques Ferrier : Soyons clairs. Paris, par la voix de ses élus, a fait le choix de privilégier désormais le tourisme et la conservation du patrimoine, au risque de fossiliser celui-ci et de créer de grandes tensions entre la ville intra-muros et sa banlieue, aujourd'hui qualifiée de Grand Paris.

François Loyer : Au XVIIe siècle, les architectes et les maçons ont pu refaire la voûte de Notre-Dame de Paris sans notion de patrimoine car leur savoir-faire leur permettait de retrouver celui de leurs prédécesseurs du Moyen Âge. L'une des difficultés que l'on rencontre aujourd'hui dans la restauration est la disparition de ce savoir-faire qui ne perdure plus que dans quelques ouvrages techniques.

François Loyer : Chaque génération redéfinit à sa manière le périmètre du patrimoine. Ainsi notre génération a-t-elle totalement négligé le patrimoine rural de sorte que dans les trente dernières années, les fermes traditionnelles des régions françaises ont pu disparaître ou être totalement défigurées sans que nul ne s'en émeuve.

Pierre-Yves Caillaut, architecte en chef des monuments historiques, responsable de la restauration du château de Lunéville : Dans le traitement des quartiers anciens, les architectes se doivent de composer avec le patrimoine comme avec toute autre contrainte physique, en respectant les volumes existants de la même façon qu'ils respectent les alignements de rue et évitent de bâtir sur la chaussée. Les contraintes liées au patrimoine ancien ne doivent pas être regardées comme un obstacle mais comme un formidable levier pour la créativité.

François Loyer : On peut s'inquiéter de ce point de vue du sort réservé à la rue de Rivoli, dans l'axe central de Paris, avec la construction par le groupe Pinault, à la place de la Samaritaine, d'un hôtel de luxe qui déroge aux règles d'urbanisme de cette rue aux lignes très classiques, percée de 1842 à 1850, laboratoire de l'urbanisme haussmanien.

François Loyer : Les architectes contemporains tendent à se faire plaisir avec des tours de fantaisie qui ne sont pas de véritables créations mais des produits d'ordinateurs en délire.

Jacques Ferrier : Dans le même sens, les maires s'offrent des «coups» architecturaux qui sont autant d'alibis culturels pour ne rien améliorer par ailleurs dans l'urbanisme de leur ville.

Pierre-Yves Caillaut : L'architecte doit avoir l'humilité de ne pas faire un monument là où il n'a pas lieu d'être. L'immeuble massif de la Poste, reconstruit dans la rue de Sèvres (Paris 15e) à côté d'un hôtel classique, est l'illustration de ce qui doit être évité. Les monuments sont des signaux qui prennent du sens, dès leur conception ou à l'usage : la tour Montparnasse est devenue un monument, ce que ne sont pas les tours du Front de Seine (Paris 15e).

Remi Koltirine, architecte, éditeur de Revue Paris Patrimoine : L'Opéra-Garnier est depuis sa conception un grand monument parisien ; l'Opéra-Bastille ne l'est pas et sans doute ne le sera jamais !


Publié ou mis à jour le : 2016-06-30 14:08:57

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