Membre fondateur puis chef du Parti communiste italien, Antonio Gramsci met ses théories sur le papier lorsque le régime fasciste de Mussolini le jette en prison. Il développe sa théorie de l’hégémonie culturelle, selon laquelle le combat des idées précède le combat politique.
Redécouvrons les thèses et la vie de l’une des références du marxisme du XXème siècle, qui connaît un regain d’intérêt dans le contexte d’instabilité politique de ce XXIème siècle, du moins dans l'extrême-gauche déboussolée par l'échec du marxisme-léninisme...
Antonio Gramsci naît à Alès, en Sardaigne, le 22 janvier 1891. Alors qu’il n’a que sept ans, son père est arrêté pour détournement de fonds en 1898 et condamné à cinq ans de prison. Avec ses six frères et sœurs, il est élevé par sa mère Giuseppina dont il est très proche. La solidarité, il en fait l'expérience en famille mais aussi au sein de la communauté de son village.
À douze ans, Gramsci est contraint de quitter l’école pour travailler afin d'aider sa mère à joindre les deux bouts puis reprend ses études quand son père sort de prison. Au lycée Dettori, à Cagliari, il s’intéresse de près à la presse et lit les articles du philosophe, historien et homme politique Benedetto Croce.
Le milieu du prolétariat sarde, il le découvre quand son frère se rapproche du parti socialiste. Il est marqué par la répression féroce des mineurs qui se mettent en grève pour revendiquer de meilleures conditions de travail. Sa culture libérale se teinte alors de socialisme.
À Turin, où il étudie la linguistique, il rencontre de jeunes socialistes, comme Togliatti, futur leader du parti communiste, et Angelo Tasca, sensible aux syndicats qui emmène un peu plus Gramsci vers la cause du prolétariat. Et les prolétaires sont nombreux à Turin, ville industrielle, ville de la Fiat.
En 1913, Antonio Gramsci adhère au Parti socialiste italien (PSI) dont Benito Mussolini est alors l'un des membres les plus influents. Il publie des articles dans l'hebdomadaire socialiste de Turin, L'Avanti !, et se fait remarquer par son analyse fine de la vie culturelle turinoise. Déjà, sa grande idée est là : Gramsci veut élever le prolétariat.
Lorsque la guerre éclate et que l’Italie y prend part en mai 1915, Gramsci n’est pas mobilisé à cause de sa santé fragile. Le journaliste se fait chroniqueur de l’actualité de son pays en continuant de prendre le point de vue des classes sociales dominées. Le 1er mai 1919, il fonde avec ses amis socialistes Tasca, Togliatti et Terracini l'hebdomadaire Ordine nuovo à l'adresse de la classe ouvrière.
Mais le mouvement socialiste éclate au congrès de Livourne en janvier 1921. Un courant reste attaché à la Deuxième Internationale, un autre adhère à la Troisième Internationale. Gramsci et ses camarades de l’Ordine nuovo font scission et donnent naissance au Parti communiste italien (PCI). Le mois précédent, les socialistes français ont connu le même psychodrame au congrès de Tours, aboutissant à la naissance du Parti communiste français.
Gramsci ne voit pas la montée d'une nouvelle force en Italie, le fascisme, car, repéré par des agents de la Troisième Internationale, il est invité à Moscou en 1922. Tombé malade dès son arrivée, il séjourne dans un sanatorium et y rencontre son épouse Giulia Schucht. Il noue également une relation très forte avec sa belle-soeur Tatiana.
S'il ne fait pas grand chose en Union soviétique, il y développe sa stratégie des alliances et s'oppose ainsi à Bordiga, homme fort du Parti communiste qui préfère faire cavalier seul. De retour en Italie en 1924, Gramsci travaille avec ferveur à la bolchevisation du Parti Communiste italien au point d’en exclure les « trotskistes », Bordiga et ses amis, au IIIème congrès à Lyon en 1926. Il s'impose ainsi comme chef du parti.
Mais son pays a bien changé. Le nouveau chef du gouvernement, Mussolini, a installé un régime autoritaire. Son ministre de la Justice, Rocco, met au point des « lois de défense de l’État » (dites « fascistissimes ») que le Parlement vote en novembre 1926. Les pouvoirs du président du Conseil sont élargis, les administrations épurées, les conseils municipaux supprimés, la presse et la radio soumises à la censure, les syndicats et les organisations politiques non fascistes sont interdits.
Gramsci, toujours à la tête du parti communiste, est arrêté le 8 novembre 1926. Il est condamné à vingt ans de prison. D’abord dans sa prison de Turi, dans les Pouilles puis, après plusieurs demandes insistantes de sa belle-soeur Tatiana, qui met en avant ses problèmes de santé (il souffre du mal de Pott, une tuberculose osseuse) de Formia, dans le Latium puis dans une prison de santé à Rome. Mal soigné, il est torturé et réveillé sans arrêt par des gardiens qui fouillent sa cellule nuit et jour. Au fil de son emprisonnement, il obtient quelques améliorations et se procure notamment de quoi écrire.
De 1929 à 1935, Gramsci va noircir plus de 2000 pages dans 33 cahiers d’écolier. Dans ces Cahiers de Prison (Quaderni del carcere), il développe sa théorie de l'hégémonie culturelle. Partant de l'idée selon laquelle « nous sommes tous des intellectuels mais nous n’exerçons pas tous la fonction d’intellectuel », il insiste sur le besoin pour la classe ouvrière d’avoir des intellectuels à ses côtés. Il faut lutter par la force de l'esprit et gagner d'abord le combat des idées avant de gagner le combat politique. Aussi appelle-t-il à une véritable « guerre de position », un combat culturel où se retrouvent les classes populaires et les classes bourgeoises contre les intellectuels de la classe dirigeante. Ainsi, le socialisme pourra triompher.
Gramsci meurt à Rome le 27 avril 1937, le jour de sa libération. Sa théorie de l'hégémonie culturelle divise. Jugée insuffisante par une partie de la gauche - en France, on raille un ridicule combat culturel contre le FN - elle reste régulièrement reprise par ceux qui affirment que les victoires des idées précèdent les victoires politiques.
Vos réactions à cet article
Recommander cet article
Aucune réaction disponible