Les sociétés esclavagistes du Nouveau Monde ne se réduisent pas à une segmentation entre blancs libres et esclaves noirs. Loin de là comme on le voit dans les possessions françaises.
La colonisation française commence aux Antilles dans les années 1620 sur la petite île de Saint-Christophe (aujourd’hui Saint-Kitts). Avec la production de sucre, l’esclavage de populations originaires d’Afrique va s’y développer.
Très rapidement, du fait du manque de femmes européennes, des unions légitimes ont lieu entre hommes européens et femmes africaines ou amérindiennes. Dans un premier temps, ces enfants sont considérés comme français. Rien ne les distingue d’enfants dont les deux parents sont européens.
Puis, à partir des années 1680, la mention du degré de métissage des individus commence à apparaître. Les termes de « nègre libre », « mulâtre libre », « métis libre » commencent à être employés dans les recensements, dans les actes de baptême, de mariage ou de sépulture.
Ils sont noirs de peau ou métis mais libres parce qu’affranchis, ou descendants d’affranchis. Ils peuvent eux aussi entreprendre, commercer ou posséder des esclaves mais ils n’ont pas les mêmes droits que les Blancs… Les sociétés esclavagistes ont créé une catégorie de population particulière, sur laquelle pèse le préjugé de couleur.
En s’appuyant sur des archives inédites, Frédéric Régent mène dans son livre, Libres de couleur. Les affranchis et leurs descendants en terre d'esclavage XIVème-XIXème siècle (éd. Taillandier), une enquête sur les conditions de vie des ces millions de descendants d’esclaves, cantonnés à un statut inférieur malgré leur liberté.
Des distinctions croissantes entre blancs et libres de couleur
Il y a un affrontement entre l’intendant Patoulet et Blénac, sur le sort des individus issus du métissage.
Blénac, gouverneur général des Antilles (1677-1690) écrit : « Il me revient de Saint-Christophe que la plupart des officiers ont épousé des mulâtresses ». « Mes raisons sont que les blancs s’allient facilement à ce sang, qu’ils prennent nos mœurs, notre langue et s’élèvent dans notre religion et sont accoutumés au climat, que les étrangers Portugais et Espagnols n’ont établi leurs îles et la Grande Terre que par ce moyen (…) »
À quoi Patoulet répond le 20 janvier 1683 : « J’ai jugé que les mulâtres qui tirent leur naissance du vice ne devaient pas avoir d’exemption et que pour les nègres, le maître pouvait donner la liberté mais non pas l’exemption des droits que les Blancs originaires de France paient ».
L’édit de mars 1685 tranche le débat en donnant aux affranchis « les mêmes droits, privilèges et immunités dont jouissent les personnes nées libres ». Ceci est rappelé par la déclaration royale de septembre 1698 pour l’île Bourbon (La Réunion) : « Ceux qui naîtront d'eux (de nos sujets) et des gens de Pays avec lesquels ils contracteront mariages, seront censés et réputés Régnicoles et naturels français, pourvu toutes fois qu'ils fassent profession de la Religion catholique apostolique et romaine ».
L’usage de mentionner la couleur des individus se poursuit. Cependant, un certain nombre de métis ne subissent pas ces mentions de couleur et sont réputés blancs. Ils sont suffisamment bien établis dans la société coloniale pour appartenir au groupe dominant tandis que d’autres, tout autant métissés qu’eux, sont désormais figés dans une catégorie de couleur (mulâtre libre, métis libre).
À partir de ce moment, les nouveaux affranchis et leurs descendants vont nourrir la catégorie des gens de couleur libres. Le recensement de la Guadeloupe de 1699 distingue ainsi 349 nègres, mulâtres et sauvages libres (3%) à côté de 3 921 autres libres, réputés blancs (38%) et 6 185 esclaves (59%).
Au XVIIIe siècle, toutefois, des mesures ségrégatives vont être appliquées selon une chronologie particulière à chaque colonie d’Amérique et restreindre progressivement les prérogatives des affranchis et de leurs descendants.
C’est ainsi qu’une ordonnance royale du 10 juin 1705 déchoit de la liberté les nègres libres receleurs d’esclaves marrons. Ce texte rend suspensif l’affranchissement et précarise l’état de libre de couleur.
L’ordonnance du 4 juin 1720 leur interdit de porter des vêtements trop somptueux et les menace de la perte de leur liberté en cas de récidive. La déclaration royale du 5 février 1726 réforme les articles 56, 57 et 59 de l’édit de mars 1685 en interdisant aux esclaves affranchis et aux nègres libres de recevoir des donations de la part des blancs.
Enfin, la déclaration royale du 3 octobre 1730 instaure l’impôt de la capitation pour les libres de couleur aux Iles du Vent et en Guyane. La décision est appliquée progressivement et en douceur en Martinique.
En Guadeloupe, la réaction des libres de couleur est vive. En 1738, lors du rassemblement de trois compagnies de milice à Saint-François, Monsieur de Maisoncelle fait lire l’article de la déclaration du roi concernant la capitation. Il fait sortir des rangs l’un après l’autre huit hommes de couleur et leur demande s’ils payeront la capitation, ils répondent tous négativement. Ces huit hommes sont alors envoyés au cachot à la Martinique.
Dans le même temps, un procès est intenté aux mulâtres Babin et Laverdure pour avoir tenu des discours séditieux contre l’instauration de la capitation pour les libres de couleur. D’ailleurs, ils sont soutenus par certains blancs qui craignent que la capitation ne les atteigne un jour. Les protestations de ces derniers sont vaines et la taxe est établie.
Notons que dans les recensements, les Amérindiens libres restent exemptés comme les blancs créoles de la taxe et sont désormais dénombrés avec les blancs.
Le 3 mars 1764, il est interdit aux libres de couleur d’exercer la médecine et la chirurgie. Les peines prévues en cas de contravention à cette ordonnance sont une amende de 500 livres. Marc Pierre Castel, un chirurgien métis de Fort-Royal en Martinique, petit-fils d’une négresse, est dénoncé par un chirurgien européen. Le métis, fils naturel d’un membre du Conseil Supérieur de Martinique est soutenu par celui-ci. Pour lui permettre de conserver son statut de blanc, ses protecteurs l’aident à se forger une ascendance amérindienne et même « brésilienne », puisque les « Brésiliens [….] ont toujours été considérés comme Blancs quoiqu’ils soient de sang-mêlé ».
Le 8 janvier 1767, le secrétaire d’état à la marine et aux colonies affirme : « Les Indiens sont nés libres, et ont toujours conservé l’avantage de la liberté dans les colonies tandis que les nègres au contraire n’y ayant été introduits que pour y demeurer en l’état d’esclavage, première tache qui s’étend sur tous leurs descendants et que le don de la liberté ne peut effacer ».
Ainsi, les descendants d’Amérindiens qui bénéficiaient comme les blancs créoles de l’exemption de la capitation ne sont pas touchés de la « tache de l’esclavage » quoique certains de leurs ancêtres aient pu être esclaves. Cet exemple montre que les colons sont alors moins ségrégationnistes que la monarchie.
Les libres de couleur se voient malgré tout soumis à une réglementation de plus en plus stricte qui porte bientôt sur l’aspect le plus essentiel de l’identité, leur patronyme. Le 15 novembre 1763, il leur est interdit de porter le nom de leur ancien maître ou de leur père naturel s’ils sont blancs. Cette mesure ne s’applique pas aux enfants légitimes de couples mixtes. La raison invoquée à cette réglementation est le fait qu’il est préjudiciable pour certains blancs de porter le même patronyme que des sang-mêlé.
Cette décision est d’abord prise en Guadeloupe, puis en Martinique, le 3 janvier 1773 et à Saint-Domingue le 16 juillet de la même année. Les élites coloniales chez qui le préjugé de couleur se développe se rallient à la politique ségrégationniste de la monarchie, cela, notons-le, alors qu’en métropole, les élites aristocratiques et bourgeoises dissertent sur les droits de l’Homme !
La vie sociale des libres de couleur est aussi entravée par l’ordonnance du 9 février 1765 qui leur interdit de s’assembler et de se regrouper entre eux sous prétexte de noces, festins ou danses. Les infractions sont punies d’amendes de 300 livres et même de la perte de la liberté en cas de récidive.
Les droits des libres de couleur varient d’une île à l’autre. Les règles discriminatoires varient d’une colonie à l’autre et ne sont pas toutes appliquées en même temps. L’infériorité juridique des libres de couleur est renforcée par toute une série de signes extérieurs humiliants. Il est bientôt interdit aux libres de couleur de se faire appeler « sieur » ou « madame ». Aussi sont-ils toujours mentionnés comme « le nommé » ou « la nommée » dans les minutes notariales et les registres paroissiaux avec indication de leur couleur. C’est d’ailleurs autour de 1775 que cette pratique se généralise dans les documents officiels.
À la même époque, en Martinique, le 4 mars 1774, il est ordonné aux libres de couleur de joindre à leur nom leur qualification de gens de couleur. Ces mesures entraînent une discrimination dans la dénomination de ces derniers dont le prénom et le nom sont accompagnés de mention comme « mulâtre libre, métis libre… ».
Il leur est interdit de porter l’épée. « Les gens de couleur libres ne jouissent point du port d’armes parce qu’obstruction faite mêmes des couleurs ils sont dans une classe qui ne peut être honorée d’un pareil privilège, surtout étant presque généralement bâtards », écrit Moreau de Saint-Méry. Le port des armes comme l’accès aux loges maçonniques leur est interdit. Les libres de couleur ont des écoles différentes, des places séparées dans les églises, les théâtres et les cimetières. Dans les premières, ils ne peuvent « enchérir que sur les derniers bancs, depuis la grande porte jusqu’au tiers de la nef ». La ségrégation sociale et culturelle, conséquence de l’inégalité juridique est particulièrement forte.
Au fil du siècle – le Siècle des Lumières ! -, la ségrégation juridique dans laquelle sont placés les libres de couleur s’amplifie au rythme des règlements. En effet, à chaque fois qu’une ordonnance est prise, des modalités d’applications différentes sont toujours prévues pour les libres de couleur. Une politique d’amoindrissement et de mise à l’écart des sang-mêlé se met progressivement en place au fur et à mesure que leur nombre augmente. Les motifs invoqués pour justifier cette inégalité juridique dans les préambules des règlements pris sont la nécessité d’empêcher toute confusion entre blancs et gens de couleur.
En 1776, un membre de l’administration coloniale, Malouet, écrit un texte justifiant cette ségrégation par la peur de la dissolution des familles blanches par le métissage : « Si ce préjugé est détruit, si l’homme noir est parmi nous assimilé aux blancs, il est plus que probable qui nous verrions incessamment des Mulâtres nobles, financiers, négociants, dont les richesses procureraient bientôt des épouses & des mères à tous les ordres de l’État : c’est ainsi que les individus, les familles, les nations s’altèrent, se dégradent & se dissolvent » (Du traitement & de l’emploi des Nègres dans les colonies).
Libres de couleur, blancs, esclaves : des appartenances subjectives
Les affranchis et leurs descendants forment ainsi la catégorie des libres de couleur sans avoir les mêmes droits que les blancs. Il n’empêche que l’appartenance à une catégorie de couleur est davantage une convention socioculturelle qu’une réalité généalogique. Nos travaux ont montré que de très nombreux blancs des colonies avaient une ascendance où se mêlent Européens, Africains et Amérindiens. « Par un assez petit nombre de générations, la couleur noire disparaît tout à fait ; j’ai vu des quarteronnes qui rivalisaient de blancheur avec les plus belles créoles ; et combien, à la Guadeloupe même, la fortune et le temps en ont-ils fait passer de cette classe dans celle des Blancs ! » écrit ainsi Félix Longin en 1848 (Voyage à la Guadeloupe).
Les libres de couleur n’ont pas le droit de porter le titre de Monsieur ou de Madame, ils sont écartés de certaines fonctions (membre du conseil supérieur, officiers) et de certains métiers (avocats, médecin, pharmacien). Ils sont soumis à des arrêts somptuaires). Tout comme les « blancs » nés en Europe, ils ne bénéficient pas de l’exemption de l’impôt de la capitation que détiennent les « blancs créoles » (ces « blancs créoles », nés dans les colonies, ont la réputation d’avoir une ascendance formée uniquement d’Européens).
L’ensemble de ces mesures ségrégatives constitue ce qui est alors appelé le « préjugé de couleur ». Celui-ci fonctionne comme le préjugé de noblesse dans la France d’Ancien Régime (note) : à l’instar de la noblesse formée majoritairement d’anoblis, la catégorie juridique des blancs est largement formée de métissés, descendants à la fois d’Européens et de femmes amérindiennes, indiennes ou africaines. Ceux qui sont réputés blancs rejettent ceux qui n’ont pas franchi la barrière de la couleur.
Ce phénomène est accentué par l’arrivée massive de pauvres immigrants blancs dans les colonies qui estiment que leur couleur est un privilège. Le préjugé de couleur devient ainsi un moyen pour les autorités coloniales d’opposer deux catégories de propriétaires pour les empêcher de s’unir dans la révolte.
Si la proportion de libres de couleur reste stable entre 3 et 5%, leur nombre augmente en fonction de la croissance de la population des colonies.
| Année | Population | Réputés blancs | Libres de couleur | Esclaves |
Saint-Domingue | 1789 | 500 000 et + | 6% | 5% | 89% |
Guadeloupe | 1789 | 100 000 et + | 13% | 3% | 84% |
Martinique | 1789 | 100 000 et + | 11% | 5% | 84% |
Île Bourbon | 1788 | ≈ 50 000 | 10% | 5% | 85% |
Île de France | 1788 | 40 000 et + | 17% | 2% | 81% |
Guyane | 1789 | 12 000 et + | 10% | 4% | 86% |
NB : l'île Bourbon est aujourd'hui La Réunion et l'île de France est Maurice.
Les libres de couleur peuvent acquérir terres et esclaves. À Saint-Domingue, ils possèdent environ un quart des plantations ; en Guadeloupe, en 1789, ils détiennent 5% des esclaves. Le concubinage des maîtres avec des femmes de couleur et la reconnaissance implicite par l’affranchissement des enfants naturels qu’ils ont avec elles, ainsi que les besoins de défense des colonies ont entraîné un développement de la classe juridique des libres de couleur.
Cet essor est démographique, mais aussi économique, les libres de couleur ont une part croissante dans la prospérité coloniale. Leur accroissement commence à être ressenti comme une menace. Le pouvoir royal demande continuellement aux administrateurs de limiter les affranchissements. Pourtant, la population des gens de couleur libres ne cesse de croître durant le XVIIIe siècle. Le pouvoir royal ne parvient pas à endiguer la volonté des maîtres d’accorder la liberté à leurs fidèles serviteurs, leurs concubines et leurs enfants.
Les libres de couleur en quête d’émancipation
Les libres de couleur sont la troisième partie dans un système construit pour deux. De ce fait, leur place dans l’ordre colonial est ambiguë. Ils ne sont plus esclaves, mais ils sont enfermés dans un statut juridique inférieur et ne peuvent être considérés comme des Français de plein droit. L'existence même des libres de couleur est un germe de l'abolition. En effet, l'autorité coloniale reconnaît qu'un individu peut être de couleur et libre.
La participation de la France à la guerre d’indépendance américaine à partir de 1778 et le recours à des corps de volontaires formés de libres de couleur développent chez ces derniers des velléités revendicatives en matière d’égalité. Julien Raimond, fils légitime du colon blanc originaire du Languedoc, Pierre Raymond et de la mulâtresse libre Marie Begasse, propose en 1782 des réformes civiles aux administrateurs coloniaux.
À l’été 1789, il s’embarque pour Paris et rejoint un groupe de libres de couleur dont la plupart sont, comme lui, originaires de Saint-Domingue. Avec l’aide de la Société des amis des noirs, ils font pression sur l’Assemblée pour obtenir l’égalité politique avec les colons blancs auxquels s’applique la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen. Les représentants des colons blancs à Paris parviennent à retarder toute prise de décision.
Vincent Ogé, un libre de couleur, tente une première révolte à Saint-Domingue, à la fin de 1790 qui se solde par un échec et son exécution. Durant l'été 1791, les libres de couleur s'insurgent à nouveau, sous la direction d'André Rigaud. Dans le même temps, les esclaves de Saint-Domingue se révoltent. Notons que certains esclaves évoquent la vengeance d'Ogé comme motif de l'insurrection. À la fin de 1791, libres de couleur et blancs signent la fin des hostilités et l'Assemblée Législative adopte une loi garantissant l'égalité des libres quelle que soit leur couleur, le 28 mars 1792.
Désormais, les hommes de couleur libres peuvent accéder aux plus hauts postes de l’armée et de l’administration. L’abolition de l’esclavage par la Convention en 1794 et surtout la guerre avec la Grande-Bretagne affaiblit considérablement le poids politique et démographique des blancs dans les colonies.
Dans les années qui suivent, les libres de couleur gouvernent les colonies : Toussaint Louverture, le Nord de Saint-Domingue ; André Rigaud, le Sud ; Magloire Pélage, la Guadeloupe. Et ce sont eux qui prennent la tête des luttes contre les expéditions envoyées en 1802 par le premier consul Napoléon Bonaparte pour rétablir l’esclavage : Henri Christophe et Alexandre Pétion à Saint-Domingue, Louis Delgrès et Joseph Ignace à la Guadeloupe.
Après 1802, le destin des colonies diverge. La lutte armée aboutit à l’indépendance d’Haïti (ancien nom amérindien de Saint-Domingue), proclamée le 1er janvier 1804. Les premiers chefs et cadres de l'état haïtien sont des libres de couleur comme Henri Christophe ou Alexandre Pétion.
Mais en Guadeloupe, après la défaite des rebelles, l’esclavage et le préjugé de couleur sont rétablis en 1802-1803. La répression frappe durement les libres de couleurs qui avaient pris la tête de la résistance contre Napoléon. Certains sont exécutés, d’autres déportés ou contraints à l’exil. Les affranchissements postérieurs à 1789 sont remis en cause. Toutefois, à partir de 1815, certains règlements tombent en désuétude : ainsi la défense de s’habiller comme les blancs, de vendre en gros, d’exercer une profession mécanique, de porter des armes… De 1802 à 1818, les libres de couleur n'ont pas le droit de mettre le pied sur le sol français.
Malgré ces adoucissements, l’élite de couleur vit de plus en plus mal les restrictions politiques dont elle fait l’objet. En Martinique, qui, occupée par les Britanniques dès 1794, n’a pas connu l’abolition de l’esclavage en 1794, la catégorie des libres de couleur a poursuivi son ascension économique et démographique. C’est là que les revendications politiques sont les plus fortes, sans toutefois remettre en cause le système esclavagiste comme le montre la participation des libres de couleur à la répression de la révolte des esclaves du Carbet en 1822.
Passée la tourmente révolutionnaire et à mesure que l’ascension économique des libres de couleur martiniquais progresse, l’animosité des colons blancs à leur égard augmente. En janvier 1824, le métis Charles Cyrille Bissette, dont la mère est la demi-soeur de Joséphine de Beauharnais, est condamné aux galères à perpétuité parce qu’on a trouvé chez lui une brochure pourtant modérée imprimée en France, De la situation des gens de couleur libres aux Antilles françaises, ainsi que diverses pétitions.
Malgré son intention de se pourvoir en cassation, Bissette est marqué au fer rouge des lettres GAL (comme galérien). Après trois ans de procédure, le jugement est cassé et un nouveau procès a lieu en Guadeloupe. Bissette est condamné à dix ans de bannissement des colonies françaises. Dans le même temps, plus de 200 libres de couleur de la Martinique sont déportés en métropole. L’affaire Bissette marque le divorce entre les colons blancs et les libres de couleur.
Ces derniers associent dès lors leurs revendications au combat antiesclavagiste. Le 14 décembre 1829, des libres de couleur martiniquais adressent une pétition au Parlement. Ils réclament l’égalité des droits avec les blancs, le retour des libres de couleur proscrits en 1824, mais aussi la fin de la traite clandestine des nègres et l’amélioration de la condition des esclaves.
Les affranchissements sont facilités par l’ordonnance royale du 12 juillet 1832 : 7 284 esclaves sont affranchis à Bourbon [La Réunion] entre 1830 et le 20 décembre 1848, 2 235 pour la Guyane de septembre 1833 à août 1848, 26 560 en Martinique de 1830 à 1848, 16 111 en Guadeloupe de 1830 à 1847 et 554 à Gorée et Saint-Louis du Sénégal entre 1839 et 1848. A la veille de l’abolition de l’esclavage de 1848, une personne de couleur sur trois est libre dans les colonies françaises.
Sur le plan de l’égalité des droits avec les blancs, cependant, tout n’est pas joué : la loi du 24 avril 1833 rend les libres de couleur électeurs et éligibles aux mêmes conditions que les blancs. Mais, la loi électorale votée le même jour les écarte de fait de la vie politique. Le montant de l’impôt qu’il faut payer pour être électeur est de 300 francs dans les colonies alors qu’il n’est que de 200 francs en France. Lors des élections de 1834 en Martinique, 97 % des électeurs sont blancs. De ce fait, il faut attendre 1845 pour voir le premier élu de couleur au conseil colonial de la Martinique.
Après l'abolition de l'esclavage de 1848, les descendants des anciens libres de couleur vont conserver une certaine prééminence politique et sociale, en partage avec les blancs créoles, pendant encore plusieurs générations. Les parlementaires guadeloupéens les plus notables de la fin du XIXe siècle, Gerville Réache ou Alexandre Isaac sont issus de familles de gens de couleur libres.
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