Carnaval

Le monde à l'envers

Le Narro, figure célèbre du carnaval de Villinger (Allemagne), appelée masquera jusqu'au XVIIIe siècle.Sortez vos masques, mettez vos costumes les plus fous, aujourd'hui tout est permis ! De nombreuses civilisations, à toutes les époques, ont cultivé un irrépressible besoin de transgression : quelques jours par an, à date fixe, on brise les codes, on se déguise, on oublie les bonnes manières et l’on inverse même les rapports hiérarchiques. Le maître sert le serviteur et le serviteur commande au maître.

Dans les sociétés occidentales de culture catholique, cette période d’exception est connue sous le nom de carnaval, c'est-à-dire « carne levare », enlever la viande et faire maigre, en référence aux quarante de jours de jeûne et de pénitence qu’elle annonce !

Finies la morale et les convenances, le vertige est de mise, le chaos est bienvenu, l'absurde est plébiscité. Une parenthèse attendue et finalement, indispensable.

Isabelle Grégor

Carnaval romain sous la Torre dei Conti, Vilh Rosenstand, 1877. Agrandissement : Carnaval, Fedor Adol'fovich Vogt, 1935, musée national d'art de la République de Biélorussie.

Perdre pied pour mieux renaître

D'où vient ce besoin, partagé dans nombre de sociétés à travers la planète, d'organiser des mascarades dans lesquelles chacun va faire son possible pour perdre toute personnalité ?

Carnaval à Venise, quai des Esclavons, Félix Ziem, XIXe siècle, musée des Beaux-Arts de la ville de Paris. Agrandissement : Participants costumés durant le carnaval de Venise. Le recours au masque, présent dès la Préhistoire, est un indice : en voilant la face du chamane ou du sorcier, il lui permet de perdre son humanité, d'entrer en contact avec des forces invisibles.

Dans les carnavals de Rio ou Venise, c'est toujours la même mutation qui s'opère, le même désir de sortir de nous-même, de nous choisir une apparence qui nous entraîne à la marge de l'humanité. Mais le phénomène de carnaval va plus loin en permettant à l'ensemble de la société concernée de souffler un peu.

Face à la monotonie d'un quotidien difficile, il lâche la bride à l'imaginaire, autorise de réaliser tous ses rêves. Vous vouliez être princesse ou pompier ? C'est le moment de devenir autre, comme un enfant qui joue. Et tant qu'à faire, « Fais ce que voudra ! ». Il sera temps ensuite de reprendre sagement sa place dans la société.

Carnaval à Paris, Paul Gavarni, 1840, Paris, BnF, Gallica. Agrandissement : Scène de débauche du Carnaval de Paris (un calque préparatoire de l'artiste est présent au musée d'Evreux).En floutant les rôles, il permet aussi de détruire l'ordre établi pour mieux reconstruire. Le thème du renouveau se cache par exemple derrière la mise en scène des rapports hommes-femmes. À la campagne, c'est l'Ours-Homme sauvage qui va chercher à séduire les filles avant de reprendre son apparence de beau jeune homme.

Mais dans le carnaval est aussi présente la peur de la mort qui parcourt chaque défilé bigarré. Que l’on songe à Orfeu negro (1959), film musical de Marcel Camus autour du festival de Rio, avec sa vision angoissante de la Mort.

Vivez, semblent dire les participants, profitez ! Cette période est en effet une sorte de rite de transition qui ouvre la voie à une nouvelle étape de l'histoire du monde : pour y accéder, il faut brûler l'hiver pour accéder au printemps, tout détruire pour mieux reconstruire. Dans « ce temps hors du temps », ce sont les sociétés qui se régénèrent. Cela vaut bien un coup de folie !

François Flameng, Le Carnaval de Venise, av. 1923. Agrandissement : Carnaval de Rio en 2014.

Sous le masque

Outil indispensable de tout bon carnavalier, le masque est un objet qui n'a rien d'innocent. Utilisé dès la préhistoire, présent sur tous les continents, il est un moyen de séparer la simple humanité et le divin et d'aider le sorcier à devenir le porte-parole des esprits.

Figurine en terre cuite d'un masque de théâtre représentant Dionysos, vers IIe siècle av. J._C.Paris, musée du louvre. Agrandissement : Masque en forme de visage humain pour la mascarade Nyau, Malawi, XXe siècle, British Museum.Dans les sociétés africaines tribales, il permet de relier les deux mondes, celui des vivants et celui des morts, et de mettre en scène la création du monde ou les hauts gestes des héros. Masques anthropomorphes ou zoomorphes, monumentaux ou en feullages, c'est toute la richesse de l'Afrique qui transparaît dans leur diversité.

L'aspect spirituel est également présent dans l'utilisation du masque au théâtre aussi bien en Asie que dans l'Europe antique, par exemple en Grèce où il est appelé « persona ». Il poursuit sa carrière sur les planches pour permettre de reconnaître en un coup d'oeil les Arlequins ou Polichinelles de la commedia dell'arte.

La vendeuse d'odeurs, Pietro Longhi, 1756, musée du XVIIIe siècle vénitien. Agrandissement :Carnaval-longhi : Pietro Longhi, Colloque entre masques, 1760, venise, Ca' Rezzonico.C'est aussi en Italie qu'apparaît le mot qui a donné « masque » : il s'agit de « maschera » (de « maska », noir), terme créé par Boccace en 1348 au moment de la grande Peste. Dans son Décaméron, il raconte comment de jeunes confinés se servent de tissus noirs pour dissimuler leurs traits. Cela vous rappelle quelque chose ?

La crise de la Covid19 a en effet redonné une nouvelle jeunesse au masque, rappelant qu'il est aussi censé nous protéger. Il est là pour préserver notre santé bien sûr, mais aussi dans d'autres circonstances notre identité ou notre réputation. D'objet de fantaisie apprécié lors des bals masqués ou les fêtes d'Halloween, il est devenu en quelques semaines objet de contrainte et, pour certains, symbole liberticide, bien loin de son rôle initial.

Une pause bienvenue dans la monotonie des jours

La tradition carnavalesque est intimement liée au calendrier. Le cycle des saisons qui offrent un prétexte, tous les ans, à une césure dans la fuite des jours, en général à la fin de l'hiver.

Déjà, dans la Babylone du IIe siècle av. J.-C. avait lieu un étrange phénomène : le temps s'arrêtait. Le calendrier comprenait en effet quelques journées qui laissaient le défilement du temps en suspens, pour permettre à la société de se régénérer avant de recommencer sereinement un nouveau cycle.

Pendant les cinq jours de la fête des Sacées, les hiérarchies étaient donc bouleversées et on voyait les esclaves prendre le pouvoir. C'est même un prisonnier qui siégeait sur le trône et profitait des charmes des épouses royales ! Puis tout rentrait dans l'ordre, et le roi par intérim était empalé...

Ces réjouissances ont dû plaire aux envahisseurs perses puisqu'ils s'empressèrent de les reprendre à leur compte avant d'en donner l'idée à la diaspora juive. Instaurée par les rabbins, la fête de Pourim devient dès lors l'occasion de quelques originalités, notamment l'échange de vêtements entre hommes et femmes.

Fête de Pourim, Moritz-Daniel Oppenheim, 1873, New York, The Jewish Museum. Agrandissement : Carnaval-pourim : Pourim hassidique à Safed, XIXe s.

Quand Dionysos s'en mêle

Si, en Égypte, c'est autour d'un bœuf que les participants déguisés célébraient le réveil de la végétation, pour les Grecs c'est bien entendu le dieu jouisseur Dionysos qui symbolisait le mieux la fertilité. Et rien n'était trop extravagant pour plaire à ce bon-vivant : costumes de satyres ou d'animaux, masques, jeux obscènes... Même les femmes, pieds nus et les cheveux libres, se mêlaient à la fête !

Pendant les Saturnales, les Romains offraient des oscilla, effigies à têtes humaines, à la place des vraies têtes, musée d'art et d'histoire de Genève. Agrandissement : Antoine Callet, Saturnales, 1783.La coutume d'organiser un joyeux désordre perdura chez les Romains sous la forme des Lupercales, cérémonie de purification et de fécondation organisée le 15 février qui amenait des prêtres maquillés de sang à parcourir les rues.

Citons également les Saturnales qui se déroulaient en hiver, en plein solstice. Il s'agissait de rendre hommage, par des échanges de cadeaux et des excès alimentaires contrebalancés par quelques danses bienvenues, au dieu des semailles Saturne.

Et puisque le vin coulait à flot et que l'orgie n'était pas loin, les contraintes disparaissaient : les esclaves avaient la permission de critiquer leurs maîtres, les travailleurs ne pensaient plus qu'au plaisir. C'est dire si ce défoulement généralisé était populaire !

Diascoride de Samos, Musiciens, mosaïque de Pompéi, 1er siècle.

Quel gamin, ce Saturne !

Voici comment Saturne décrit lui-même le déroulement des fêtes qui lui sont consacrées :
« Durant cette semaine, il ne m’est permis de m’occuper d’aucune affaire soit publique, soit privée. Boire, m’enivrer, crier, plaisanter, jouer aux dés, choisir les rois du festin, régaler les esclaves, chanter nu, applaudir en chancelant, être parfois jeté dans l’eau froide la tête la première, avoir la figure barbouillée de suie, voilà ce qu’il m’est permis de faire » (Lucien, Saturnales, IIe siècle).

De Mardi gras à Carême

Avec l'arrivée du christianisme, il faut remettre un peu d'ordre dans tout cela, à commencer par le calendrier. Désormais, c'est Pâques qui va servir de pivot à la liturgie. N'est-elle pas la seule fête célébrée par les premiers croyants ?

Mais comme le peuple s'obstine à se couvrir de déguisements et à banqueter joyeusement, mieux vaut en prendre son parti et accepter cette période de relâchement. Comme par un tour de passe-passe, danses, agapes et défilés masqués vont glisser de la fin de l'année solaire, marquée par les Saturnales puis Noël, à la fin de l'année lunaire, avec Pâques comme repère.

Costume de Gilles de Binche, Marseille, MuCEM. Agrandissement : Les Gilles portant leur chapeau à plumes d'autruche le mardi gras, Binche (Belgique).Cela tombe bien ! Au IVe siècle a été instituée une période de jeûne et de prière, le carême : autant profiter des jours qui le précèdent pour vider les réserves de nourriture périssable et se défouler avant d'entrer en pénitence ! Il sera toujours temps ensuite de faire carnaval, c'est-à-dire « carne levare », enlever la viande et faire maigre. Et revoilà les masques de sortie...

Pour les chrétiens, les 40 jours précédant Pâques et sa célèbration de la résurrection du Christ est une période consacrée à la prière et la pénitence : le Carême. Mais avant d'entrer dans ce temps de frugalité, ils s'accordent quelques jours de liberté en organisant des carnavals.

À la fin de celui-ci, il ne leur reste plus qu'à vider leurs placards pour préparer crêpes et beignets à partager en famille ou entre amis : c'est le très attendu Mardi gras qui vient clôre toute cette période festive.

Quel succès ! En Europe occidentale, dans les villages qui poussent comme des champignons, de joyeux plaisantins escortent Sa Majesté Carnaval, mannequin de paille destiné à finir en fumée en compagnie des mauvais esprits qui traînent.

En ville, s'en donnent à cœur joie les corporations de métiers ou d'étudiants et les confréries de jeunesse baptisées du doux nom de « Étourdis » à Douai ou de « Gaillardies » à Châlons-sur-Saône. À Rouen, les « Conards » [sic] juchent sur un âne un « cardinal-abbé » vêtu d'un costume enfariné : gare aux égarés dont il est invité à embrasser le derrière !

Pieter Brueghel l'Ancien, Le Combat de Carnaval et de Carême, 1559, Vienne, Kunsthistorisches Museum.

« La fête des fous » de Quasimodo

Victor Hugo, dans Notre-Dame de Paris (1831), décrit la population éclectique et joyeuse qui s'est rassemblée ce 6 janvier 1482 dans la grande salle du palais de Justice de la capitale. Il s'agit de profiter à la fois d'une représentation d'un mystère religieux et de l'élection du pape des fous, qui verra le triomphe de Quasimodo.
« [Le] cortège [du cardinal], ce que nous appellerions aujourd'hui son état-major d'évêques et d'abbés, fit irruption à sa suite dans l'estrade, non sans redoublement de tumulte et de curiosité au parterre. C'était à qui se les montrerait, se les nommerait, à qui en connaîtrait au moins un […]. Quant aux écoliers, ils juraient. C'était leur jour, leur fête des fous, leur saturnale, l'orgie annuelle de la basoche et de l'école. Pas de turpitude qui ne fût de droit ce jour-là et chose sacrée. Et puis il y avait de folles commères dans la foule, Simone Quatrelivres, Agnès la Gadine, Robine Piédebou. N'était-ce pas le moins qu'on pût jurer à son aise et maugréer un peu le nom de Dieu, un si beau jour, en si bonne compagnie de gens d'église et de filles de joie ? Aussi ne s'en faisaient-ils faute ; et, au milieu du brouhaha, c'était un effrayant charivari de blasphèmes et d'énormités que celui de toutes ces langues échappées, langues de clercs et d'écoliers contenues le reste de l'année par la crainte du fer chaud de saint Louis. Pauvre saint Louis, quelle nargue ils lui faisaient dans son propre palais de justice ! » (Notre-Dame de Paris, 1831).

Retour au sérieux

Dans les troubles et les guerres qui marquent la fin du Moyen Âge, des prophètes de malheur s’élèvent ici et là contre les outrances du carnaval, prétextes à moquer l’Église et son clergé défaillant.

À Florence, le moine Savonarole remplace les fêtards par des pénitents et fait brûler masques et costumes. C’est finalement lui qui finit sur le bûcher et cette triste fin rend aux Florentins leur joie de vivre.

Il en va autrement de l’autre côté des Alpes, où la prédication de Luther et Calvin conduit les populations à une quête de pureté incompatible avec la débauche du carnaval. Il s’ensuit que dès lors, le carnaval et ses joyeuses transgressions vont se cantonner au monde catholique.

Scène de carnaval, d'après Jérôme Bosch, vers 1600, Amsterdam, Rijksmuseum.

Fête des fous, fête du diable !

La nef des fous (Fragment de l'aile gauche d'un triptyque), Jérôme Bosch, XVe siècle, Paris, musée du Louvre.Tout le monde n'apprécie pas la fête, et notamment ces fêtes des fous qui ridiculisent le clergé. Au XVe siècle, à l'aube de la Réforme, Sébastien Brandt publie La Nef des fous qui fustige les mauvais chrétiens, en particulier les adeptes du carnaval. Érasme s'en souviendra lorsqu'il décrira, dans son Éloge de la folie (1511), les vices de ses contemporains.
« Et voici d'autres fous qui fêtent carnaval et gardent leur bonnet le plus longtemps qu'ils peuvent. Au début du carême, ils continuent encore à agacer chacun : ils sortent dans les rues la figure noircie et le corps travesti, ils courent et gambadent comme des farfadets, ils font des pirouettes à se casser le nez […]. L'idée que carnaval est fait pour d'amuser est invention du diable ou bien de la folie. Quand on devrait songer au salut de son âme, les fous entrent en scène et veulent vous bénir par leurs festivités […] Bien peu nombreux sont ceux qui présentent leur front avec grande piété pour recevoir les cendres […], les insignes du diable leur plaisent mieux sans doute que l'insigne de Dieu » (Sébastien Brant, La Nef des fous, 1494).

Entrez dans la ronde !

En Italie, le carnaval ne se laisse pas faire ! Il profite de la protection amusée des puissants, qu’il s’agite de Laurent de Médicis, à Florence, ou de sa lointaine cousine Catherine de Médicis, qui introduit la tradition des bals masqués à la cour de France. L’aristocratie s'entiche alors des troupes de commedia dell'arte dont les farces animent les jours de fête.

À Versailles, Molière, dans son Malade imaginaire créé en 1673 en plein carnaval, n'oublie pas de faire monter sur scène faux Mores et médecins masqués.

Mais c'est bien sûr à Venise que les réjouissances vont perdre toute mesure, allant jusqu'à durer l'hiver entier ! Dans les bals masqués qui marquent l’entrée en carême, on ne sait plus qui est bourgeois ou gentilhomme et l'on chercherait en vain à repérer un certain Casanova...

Le Menuet, Tiepolo, 1756, Barcelone, Musée National d'Art de Catalogne. Agrandissement : Scène de carnaval, Tiepolo, Paris, musée du Louvre.

Casanova, séducteur masqué

À Venise au XVIIIe siècle, les religieuses aussi ont droit de profiter du carnaval. Casanova le sait bien...
« À Venise, pendant le carnaval, on permet cet innocent plaisir dans les couvents des religieuses. Le public danse dans le parloir et les sœurs se tiennent dans l’intérieur, à leurs amples grilles, spectatrices de la fête. À la fin du jour, le bal finit, tout le monde sort et les pauvres recluses sont longtemps heureuses du plaisir des yeux. [...]
J’entre. Le parloir était plein ; mais je dus à mon accoutrement que chacun s’empressa de me faire place ; car à Venise il est extrêmement rare de voir un Pierrot. Je m’avance, marchant en nigaud, selon le caractère exigé du costume, et je vais me placer dans le cercle où l’on dansait. Après avoir considéré les Polichinelle, les Pantalon, les Arlequins et les Scaramouche, je m’approchai des grilles, et je vis toutes les religieuses et les pensionnaires, les unes assises, les autres debout [...].
Je m’attachai à une jolie Arlequine en lui prenant nigaudement la main pour lui faire danser un menuet »
(Histoire de ma vie, 1789-1798).

Eugène Lami, Scène de carnaval : dans une calèche divers personnages costumés, XIXe siècle, Paris, musée du Louvre. Agrandissement : Bal masqué à l'opéra, Edouard Manet, 1873, Washington, National Gallery of Art.

Réticences bien-pensantes

En France, la Révolution et son refus des débordements « païens » ne peut rien contre ces liesses populaires, mais tout change au XIXe siècle avec la bonne société qui les regarde d'un œil quelque peu dégoûté.

Alors que monte la méfiance à l'égard des « classes dangereuses », on n'accepte plus ses débordements qui choquent la morale : comment peut-on se laisser aller ainsi ?

Seul est toléré à Paris le défilé du « Boeuf gras » organisé par les bouchers et subventionné par la mairie. Manquant de spontanéité, la fête disparaît après 1870, tout comme l'élection de la « reine de la mi-carême », trop ostensiblement financée par les notables.

Illustration xylographique pour le programme officiel du cortège du B?uf Gras 1861 à Paris.  Agrandissement : le cortège du Boeuf Gras, Le Petit Journal, 5 avril 1903.

Carnaval, doucement mais sûrement tué par les élites, disparaît des rues de Paris. Dans le reste de la France qui voit l'ascension de la bourgeoisie, le carnaval devient un outil de promotion permettant aux personnalités et industriels d'afficher leur prestige grâce à des chars de plus en plus grandioses.

Toutes les couleurs du carnaval

Aujourd'hui, le carnaval s'est implanté dans une bonne partie du monde, mais reste cantonné pour l’essentiel aux sociétés de tradition catholique. C'est ainsi que vous le trouverez notamment au Québec et à la Nouvelle-Orléans, héritage des Français, mais aussi à Goa, en Amérique du sud et dans les Caraïbes, où il a suivi les colons portugais, espagnols et français.

Très souvent d'ailleurs, ce sont les esclaves associés aux préparations des réjouissances ou à la musique qui ont adopté la coutume, profitant au sein de leur propre communauté de cette parenthèse de liberté transgressive.

L'autre zone où le carnaval reste à la fête se trouve dans le Nord de la France et la Belgique. Depuis le XVIIe siècle, les carnavaleux de Dunkerque rivalisent d'imagination pour fêter « les Trois Joyeuses », ces journées qui précédaient le départ en mer des pêcheurs de morue. Et volent les harengs !

Busó de Mohács, Hongrie. Agrandissement : Le Bouljoud, Maroc.À Binche, l'apparition des fameux « Gille » remonterait au XVIIIe siècle, sans que l'on sache pourquoi ils arborent chapeaux de plumes, costume de jute, grelots et masque de cire à lunettes vertes. Plus au sud, à Nice, ce n'est qu'à partir de 1873 qu'un comité de notables et de riches résidents étrangers invite à la démesure avec sa parade de personnages en carton-pâte.

D'autres régions de l'Europe ne sont pas en reste, prolongeant la tradition païenne de « 'Homme sauvage ». C'est le cas à Busó de Mohács en Hongrie où des hommes couverts de grands manteaux de laine et de masques en bois cherchent à effrayer passants et mauvais esprits. On retrouve ces traditions notamment dans les Balkans et en Roumanie.

Notons que si le carnaval n'est pas réservé aux communautés catholiques, puisqu'il est célébré parmi les Grecs orthodoxes, l'Apokrià, on remarque qu'il n'a pas d'écho dans les pays protestants et dans une grande partie de l'Afrique. Si celui de Notting Hill, à Londres, est devenu célèbre, il le doit à la forte communauté caribéenne qui l'a lancé.

Si, bien sûr, le carnaval est aussi absent sous sa forme traditionnelle en pays musulman, on peut cependant encore assister à des festivités voisines, héritées de l'époque pré-islamique. Le Bouljoud (« père des peaux ») dans le nord du Maroc en est un exemple : des hommes dansent, dissimulés sous des masques et des peaux de mouton, symboles du sacrifice de l'Aïd el Kébir. Traditions païennes millénaires et rites religieux se mélangent donc ici encore.

Dans le monde hindou, notons la fête hindoue de Holi, où alcool et cannabis sont abondamment consommés dans une atmosphère de chaos, de transgression de castes et de sexes.

La tradition des déguisements se retrouve en Chine avec la fête du Nouvel An mais sur un mode semble-t-il peu transgressif.

 Carnaval à l'hôtel Ferraille, 1901, Roubaix, La Piscine.

Et demain ?

Après une période en demi-teinte dans la seconde moitié du XXe siècle, le carnaval semble résister à travers le monde. On peut cependant craindre les méfaits d'une exploitation mercantile à outrance, comme celle qui a fait du carnaval de Venise un simple argument touristique.

De l'autre côté de l'Atlantique, il faut désormais payer pour assister au défilé des écoles de samba de Rio dans une sorte de stade, le sambadrome. Le carnaval serait-il devenu trop sage ? Peut-être dans les années qui viennent faudra-t-il se tourner vers d'autres manifestations, comme la provocante Gay Pride, pour assouvir notre besoin d'émerveillement, de transgression et de lâcher-prise.

Publié ou mis à jour le : 2022-02-04 19:52:11
Gramoune (31-03-2022 14:41:26)

Vous oubliez l'Allemagne et la Suisse alémanique bien
protestante, où le Carnaval ou Fastnacht est bien
actif et très suivi.

Utopia planitias (07-02-2022 22:13:32)

Le carnaval c’est le théâtre social inversé.

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