Le film Le discours du roi (2010) dresse d'elle un portrait peu flatteur et Madonna rêve de l'incarner au cinéma, mais qui était donc cette femme au destin romanesque ?
Intrigante, scandaleuse, ténébreuse, perverse... Le moins que l'on puisse dire, c'est que la légende de Wallis Simpson n'a rien d'une saga dorée sur tranche. Bien au contraire, elle apparaît aux yeux des Britanniques comme la Messaline de la Tamise.
Son crime ? Avoir manœuvré pour épouser le futur roi d'Angleterre, Édouard VIII, qui abandonna titre et couronne pour vivre son grand amour, en 1936. Délicieusement romantique mais très politiquement incorrect, ce qui forgea leur légende de couple transgressif pour des années.
Il faut dire que l'arrivée tonitruante de « la Wallis » dans la vie du prince est une véritable provocation pour l'Angleterre puritaine, corsetée dans sa morale victorienne depuis un siècle. Car la vie de la belle Américaine n'a rien d'un long fleuve tranquille, bien loin de l'éducation anglaise classique à laquelle les jeunes filles de la gentry devaient se conformer...
Sa naissance est déjà indigne pour l'époque, puisqu'elle vient au monde hors mariage en 1895, aux États-Unis (ses parents convoleront par la suite). Son père étant mort jeune, elle est élevée chichement par sa mère et sa tante, dans la bourgeoisie de Baltimore, et n'aura de cesse de prendre sa revanche sur la vie.
Elle fait un premier mariage raté avec un officier de marine alcoolique, par ailleurs espion des États-Unis, qu'elle accompagne jusqu'en Chine. On dit que c'est dans les bordels de Hongkong, où elle accompagnait parfois son époux volage, que Wallis apprend des techniques fort diverses qui fascineront plus tard son royal époux, par ailleurs très déficient sur ce point là.
Après l'échec de ce premier mariage, elle trouve réconfort auprès d'un courtier, Ernest Simpson, dont elle ampute largement la fortune par un train de vie sidérant. Mais la voilà à Londres, l'une des capitales les plus influentes de l'époque, et en fréquentant la bonne société, elle finit par croiser le destin du prince de Galles (*), futur roi d'Angleterre dès 1930. Elle a alors 35 ans.
Ce n'est pas le coup de foudre, mais Édouard remarque cette Américaine au caractère bien trempé. De soirées en sorties, ils se croisent et s'apprécient au point de ne plus se passer l'un de l'autre. Wallis a d'emblée compris qu'il ne demandait qu'à être dominé, ce qu'elle réussit à merveille, en agrémentant leurs tête-à-tête de jeux érotiques tordus.
Dès 1934, les amants ne se quittent plus, même s'ils sont toujours pris : elle dans un mariage, lui dans les bras de sa maîtresse d'alors, Lady Furness, qui fut d'ailleurs à l'origine de leur rencontre.
Pour le prince de Galles, rompre n'est qu'une formalité. Pour Wallis, qui commence à susciter l'intérêt des services secrets de l'Intelligence Service, l'opération est plus délicate. Le roi George V et son épouse sont horrifiés par son passé sulfureux, dont ils ont eu connaissance suite à une enquête menée par Scotland Yard, dont le fameux dossier chinois est la clef de voûte. Pour le monarque, « l'Américaine » n'est qu'une ambitieuse courtisane, ce que Winston Churchill résume à sa manière en l'appelant la « salope ».
De son côté, l'opinion publique pourrait accepter Wallis comme maîtresse quasi-officielle, à condition qu'Édouard épouse par ailleurs une future reine issue des grandes lignées britanniques.
Mais c'est là où tout dérape : le prince de Galles est sous l'emprise totale, physique et psychologique, de Wallis Simpson, de son caractère autoritaire, sa volonté de fer et de sa sexualité débridée - elle a notamment initié son amant aux pratiques fétichistes et sado-masochistes... Il ne s'agit pas d'une amourette, mais bien d'une passion.
Plus grave, Mme Simpson, qui fut un temps la maîtresse du comte Ciano, gendre de Mussolini, ne cache pas sa sympathie pour le fascisme.
Au scandale moral s'ajoute de ce fait une crise politique : pour la famille royale britannique, d'origine allemande, pas question de donner l'impression de se rapprocher des dictatures, au moment où les démocraties occidentales doivent se serrer les coudes face à la montée des totalitarismes. Les politiques, les diplomates, les services secrets - avec lesquelles Mme Simpson a toujours des accointances - entrent alors dans un ballet subtil pour soutenir soit Édouard, soit son frère George, en fonction de leurs convictions ou de leurs directives...
Au travers des deux frères soudain mis en concurrence, l'un proche des fascistes, l'autre plus facilement manoeuvrable et fidèle aux alliances britanniques, c'est un véritable imbroglio politico-sentimental qui vient empoisonner l'une des plus vieilles monarchies du monde. Le Premier ministre fait vite son choix : pour lui, s'il le faut, ce sera George, même s'il a beaucoup moins d'envergure que son aîné.
Les événements s'enchaînent très vite : le roi George V décède le 20 janvier 1936, à 60 ans. Le prince de Galles devient à 41 ans Édouard VIII, roi de Grande-Bretagne et d'Irlande, Empereur des Indes. Il s'affiche ouvertement avec Wallis, toujours mariée, montrant ainsi que Mme Simpson est bien la femme de sa vie. Le peuple n'accueille pas si mal le choix osé et moderne de leur nouveau roi, mais pour l'establishment, la pilule ne passe pas. La panique s'installe, il faut trouver une solution. L'Église anglicane refuse le mariage du roi avec une femme divorcée. D'autre part, le Commonwealth doit donner son accord à toute altération de la loi de succession au trône, ce qui complique d'emblée l'affaire.
On avance l'idée d'un mariage morganatique, une sorte d'« union tolérée » entre un prince et une personne de rang inférieur, qui induit que leurs éventuels enfants ne pourraient monter sur le trône. C'est ce qui finalement importe le plus aux yeux des irréductibles. Mais le roi refuse.
Wallis, qui entre-temps a demandé le divorce, propose courageusement de se retirer de la scène pour calmer le jeu. Nouveau refus du roi qui a une entrevue extrêmement houleuse avec le Premier ministre conservateur Stanley Baldwin : celui-ci lance au monarque que Wallis n'est pas une de ces femmes « dont on fait une reine », ce à quoi Édouard réplique : « Alors, je puis l'avoir comme maîtresse, mais pas comme épouse, belle mentalité ! ». La réponse de Baldwin fuse : « Si le roi veut coucher avec une putain, c'est son affaire. Mais s'il veut en faire une Reine, cela concerne l'Empire ».
Le 10 décembre 1936, le roi finit par abdiquer en faveur de son frère le duc d'York, futur George VI, non préparé, à qui il incombera de garder le trône dans une Europe à feu et à sang. En apprenant la nouvelle, ce dernier manque de défaillir.
C'est un véritable séisme, notamment quand Édouard s'explique à la radio, dès le lendemain, dans une allocution à ses sujets : « J'ai estimé impossible de porter le lourd fardeau de responsabilités et de remplir les devoirs qui m'incombent en tant que roi, sans l'aide et le secours de la femme que j'aime ». Le peuple est subjugué par cette histoire d'amour totale, sans borne ; quant à la haute société britannique, elle n'accepte pas de voir Édouard préférer cette femme au trône, d'abandonner l'Angleterre pour son bonheur personnel, et de mettre ainsi en péril la monarchie. Toute cette haine se reporte alors définitivement sur Wallis Simpson, ce dont elle a pleinement conscience.
Le nouveau roi George VI, jusqu'ici falot et timide, atteint depuis l'enfance par un bégaiement très handicapant, prend malgré lui les rênes du pouvoir. Aux côtés de son épouse Elizabeth, née Bowes-Lyon, il s'acquittera de ses responsabilités avec un grand courage et dans l'honneur...
En attendant, il accorde à son frère le titre de duc de Windsor mais en précisant que ni ses éventuels enfants ni la Duchesse n'auront le titre d'Altesses royales, et ce malgré l'insistance d'Édouard.
Les amants terribles trouvent refuge sur les terres républicaines de France, ce qui ne manque pas d'ironie. Ils se marient le 3 juin 1937 au château de Candé en France, propriété d'un proche des nazis, et se distinguent par un voyage de noces maladroit en Autriche et dans l'Italie mussolinienne, où l'on voit le duc faire le salut fasciste.
Dès lors la rupture est consommée entre les deux clans familiaux. La famille royale britannique se montre d'une rare mesquinerie avec le duc et la duchesse de Windsor. Le roi menace même de couper les vivres à son frère s'il remet les pieds en Angleterre sans y être convié. Sa fille, qui lui succède le 6 février 1952 sous le nom d'Elizabeth II, ne change rien à la règle, évitant tout contact avec Wallis - elle ne sera jamais invitée au palais de Buckingham sauf lors du décès de son époux - et s'efforçant de bannir de l'Histoire ce couple brouillon et aux idées politiques trop marquées.
De leur côté, Édouard et Wallis n'arrangent pas leur image en rendant visite à Hitler en 1937 puis en trouvant refuge chez Franco pendant la guerre.
Après un poste honorifique au Bahamas, où Édouard est nommé gouverneur jusqu'en 1945 - une façon habile de l'éloigner des enjeux du conflit mondial -, les Windsor mènent une vie furieusement mondaine, riche et oisive, dont Wallis est la reine, prenant parfois plaisir à humilier un ex-roi qui l'aime encore plus en retour.
Ils reçoivent dans leur somptueux hôtel particulier du bois de Boulogne, dans lequel ils s'installent en 1953, voyageant entre Londres, New York et le midi de la France, et prenant volontiers la pose sur papier glacé. Un tourbillon de luxe mais le règne du vide.
Grâce à une liste civile bien négociée par Édouard à son abdication, ainsi qu'à des placements avisés, ils ne manquent de rien : après leur mort, la vente des seuls bijoux de la comtesse rapporte 51 millions de dollars. Coqueluche des magazines de mode, Wallis se distingue par sa rare élégance et une intelligence manifestement supérieure à son époux.
Ils vivent sans enfant pendant 36 ans avec pour seule compagnie des chiens carlins, leur trente domestiques, une cour d'amis et d'inévitables flatteurs, au milieu des candélabres précieux, des tableaux de maître et des chinoiseries bleues de leur palais parisien.
Des princes en exil, dans un tout petit royaume, avec sans doute ce regret - ou cette aigreur pour elle - d'avoir simplement frôlé le trône d'une majestueuse dynastie. « Je hais ce pays, lance parfois la Duchesse en parlant de l'Angleterre, je le haïrai jusqu'à ma mort ». Ils mettront un point d'honneur à faire marquer tous leurs objets aux armes royales, de leurs mouchoirs aux tapis de bains, sans oublier la centaine de malles de voyages qui suivent leurs escapades, comme le dernier décorum d'un rêve évanoui.
Après la mort du duc, en 1972, la duchesse gardera toute sa dignité, vivant de plus en plus recluse dans son pied à terre parisien. En 1986, à sa mort, la reine Elizabeth II tiendra parole et consentira à ce qu'elle soit enterrée auprès de son époux, près du château de Windsor. À ce moment-là, la saga de leur sulfureuse histoire d'amour est désormais bien loin : la reine a bien d'autres soucis en tête et ne sait comment gérer et éviter le divorce désormais inéluctable de Charles et Diana, les futurs souverains...
On peut lire sur l'histoire de la famille royale : La maison Windsor, par Kitty Kelley (Pocket) et, plus précisément, sur le destin sulfureux de Wallis : La scandaleuse duchesse de Windsor, par Charles Higham (JC Lattès).
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