Que sait-on d’Homère ? Rien, ou peu de choses, si ce n'est qu'il est reconnu comme l'auteur des deux plus grands poèmes épiques de tous les temps, L'Iliade et L'Odyssée. Nous n'avons de certitude ni sur ses dates de naissance et de mort (les dates ci-dessus sont pure hypothèse), ni sur son lieu de naissance, ni même sur son existence.
Célébré depuis des siècles comme le « Prince des poètes », il est aussi le plus mal connu. Une petite enquête s’impose.
« Le monde naît, Homère chante. C’est l’oiseau de cette aurore » (Victor Hugo)
Commençons par nous pencher sur la chronologie.
Il ne semble pas difficile de connaître l’époque à laquelle vivait Homère, il suffit de pister les indices qu’il a laissés dans ses œuvres.
Par exemple, le casque d’Ulysse, en dents de sanglier, date sans aucun doute du XIVe siècle avant J.-C. Pour le décrire, Homère devait être son contemporain. Mais ce serait trop simple !
Les pratiques relatées pour les funérailles de Patrocle, elles, ne datent pas d’avant le XIe siècle avant J.-C.
Les historiens se sont arraché les cheveux : Homère ne peut avoir vécu du XVIe au VIIIe siècle avant J.-C. Une hypothèse s’impose donc : il y aurait plusieurs Homère. Plus précisément, l’œuvre d’un même poète aurait été modifiée et enrichie au cours des siècles, au fil de la transmission orale.
La seule certitude, c’est que l’œuvre d’Homère a été rédigée à partir du VIIIe s. avant J.-C., c’est-à-dire qu’elle date de l’aube de notre civilisation.
De partout et de nulle part
Si les dates varient, la localisation géographique serait-elle plus précise? Malheureusement, les sources ici aussi sont discordantes. Certes, Homère est grec, mais est-il né à Smyrne (aujourd’hui Izmir, en Turquie), comme l’affirme Hérodote, à Chios, une des îles de l’archipel ou même à Babylone, si l’on en croit Lucien de Samosate (IIe siècle avant J.-C.) ?
La guerre entre les villes a longtemps fait rage pour s’attribuer la paternité du poète, comme l’a noté le poète anglais Thomas Heywood : « Sept cités se disputaient Homère mort, / Lui qui, vivant, n’eut pas un toit sur sa tête ».
Finalement, Chios a gagné la bataille, arguant que sa langue correspondait à celle utilisée dans l’œuvre homérique. On peut même aujourd’hui aller y voir la pierre sur laquelle « le citoyen du monde » (Proclus) aurait aimé chanter !
Homère est le plus connu des aèdes, poètes qui se déplaçaient de ville en ville pour animer les festins de la haute société. Ces artistes, dont le nom vient du mot grec signifiant « rossignol », chantaient des vers qu’ils avaient souvent écrits eux-mêmes. Ils s’accompagnaient d’une phorminx, sorte de cithare ou de lyre que l’on disait inventée par Hermès à partir d’une carapace de tortue.
Leurs sujets de prédilection étaient bien sûr les multiples aventures des dieux, mais aussi les épopées mettant en scène les héros en proie à des dangers toujours renouvelés. L’aède Homère aurait donc eu l’habileté de réunir un certain nombre d’histoires guerrières et mythologiques pour former son œuvre. C’est grâce à ces poètes que celle-ci fut d’abord diffusée oralement et parvint jusqu’à nous.
Dès l’Antiquité, les écrivains ont relevé le défi de reconstituer la vie d’Homère. Il en résulte un ensemble d’anecdotes et de clichés qui permettent de dresser un portrait idéal de notre aède.
Selon Hérodote, Homère serait donc né à Smyrne, de père inconnu. Sa mère, Kréthéis, a accouché près du fleuve Mélès, qui a donné son nom à l’enfant, Mélésigénès, vite recueilli par le maître d’école Phémios.
Ayant repris cette charge, le jeune homme se lance dans un tour de la Méditerranée, s’arrêtant notamment à Itaque où il entend l’histoire d’Ulysse. Au cours de ce voyage, il perd la vue, devenant pour la postérité « Homère », qui signifierait « l’otage ».
Dès lors, il récite des poèmes pour gagner sa vie, errant de ville en ville. Malade, il meurt dans l’île d’Ios, où il est inhumé.
Toutes les sources s’accordent sur le handicap dont souffrait Homère : aucun doute, il était aveugle. La belle Hélène se serait vengée de voir sa vie privée étalée à longueur d’épopée. Pour d’autres, le poète aurait été ébloui par les armes d’Achille lorsqu’il visita sa tombe. Mais la métaphore du poète aveugle est plus forte que la légende : en perdant la vue, Homère acquérait le don de la poésie, qui lui permettait de voir plus loin que les hommes ordinaires et se rapprocher des dieux. Comme son double, ce Démodocos qui chante devant Ulysse, la Muse « lui a pris ses yeux mais donné la douceur du chant » (chant VIII de L’Odyssée).
Quelle que soit la part de vérité, Homère est vite devenu un des symboles incontournables de la Grèce. Autour de lui s’est forgée toute l’identité du pays. Au niveau littéraire et artistique, bien sûr : on ne compte plus les reprises ou représentations des épisodes de L’Iliade et de L’Odyssée. Mais la politique n’est pas en reste puisque Homère a souvent été évoqué pour resserrer le lien entre des cités trop souvent rivales.
Alexandre le Grand lui-même a multiplié les actions symboliques pour rallier autour de lui les Grecs, au moment de partir en guerre contre les Barbares. Ne se présentait-il pas à ses troupes comme le nouvel Achille, allant jusqu’à rendre hommage à son héros sur sa tombe, non loin de Troie ? Aujourd’hui encore, Homère reste le Père de la Grèce.
Le 27 avril 1772, La Gazette de France publie cette nouvelle incroyable :
« On a reçu les détails suivants sur la découverte du tombeau d’Homère. […] C’est un sarcophage de quatorze pieds de haut et sur sept de large, composé de six pierres sur l’une desquelles est inscrite une inscription grecque : c’est probablement la même qui est rapportée par Hérodote et qui, suivant cet historien, fut mise sur le tombeau d’Homère longtemps après sa mort. Le squelette de ce poète célèbre a été trouvé assis dans l’intérieur ; mais la première impression de l’air extérieur l’a fait tomber en poussière ».
Vos réactions à cet article
Recommander cet article
André MARTIN (12-06-2012 10:27:43)
Bonjour,
L'indication des sources des illustrations ne manquerait pas d'intérêt, surtout lorsqu'elles sont opportunes & de qualité.