02 avril 2020

La mortalité de désespoir, un fléau américain

DEATHS OF DESPAIR AND THE FUTURE OF CAPITALISM

ANNE CASE & ANGUS DEATON

Princeton University Press

Princeton & Oxford

Mars 2020L’entrée dans le IIIe millénaire se signale par un nouveau fléau qui frappe les classes populaires blanches aux États-Unis en attendant mieux. C’est la « mortalité de désespoir ». Elle a été mise en évidence par un couple d’économistes, Anne Case et Angus Deaton (Nobel d’économie 2015) dans un livre paru en mars 2020, Deaths of despair and the future of capitalism. La démographe Michèle Tribalat l’a lu et nous en fait l’analyse…

Les morts de désespoir dont parle ce livre sont celles liées à la drogue, l’alcool et aux suicides qui ont beaucoup augmenté aux Etats-Unis depuis la fin du 20ème siècle parmi les Blancs non hispaniques d’âge moyen qui ne sont pas diplômés du supérieur. Les auteurs en ont eu la révélation en 2014 dans le comté de Madison où ils passaient leurs vacances d’été. Ils ont constaté un taux de suicide quatre fois plus élevé que dans le New Jersey où ils habitent le reste de l’année.

Cette mortalité, devenue massive, compromet l’amélioration de l’espérance de vie aux États-Unis. Elle est en premier lieu due à un système de santé ultralibéral à la fois très coûteux, inefficace et inégalitaire. En deuxième lieu à la prescription forcenée d’opiacées (antidouleurs à base d’opium) sous la pression des laboratoires pharmaceutiques. En troisième lieu à l’aggravation des inégalités avec la disparition des métiers d’ouvriers qualifiés et leur remplacement par des emplois précaires.

Les auteurs consacrent un chapitre au système de santé américain qui « détruit des vies », malgré son coût : 18 % du PIB en 2017, contre 5 % en 1960 (trois fois ce qui est dépensé pour l’éducation), devant la Suisse (12,3 %) et la France (11,5 %). Malgré cela, l’espérance de vie à la naissance est supérieure en Suisse de 5,1 ans et en France de 3 ans à ce qu’elle est aux États-Unis. Cuba elle-même affiche une espérance de vie et une mortalité infantile plus satisfaisantes que les États-Unis.

Si les autres pays développés sont pour l’instant épargnés par l’épidémie de mortalité du désespoir qui reflète les politiques et les circonstances américaines, les États-Unis peuvent néanmoins leur servir d’avertisseur. Certains pays voient déjà décliner leurs services publics et notamment celui de la santé. Ils sont frappés par la même métamorphose du marché du travail. « Le Sheriff de Nottingham s’est installé à Washington, les flics ont quitté la ville et aucun Robin des bois n’est en vue » écrivent-ils.

Comment mieux illustrer l'absurdité des indicateurs économiques qui célèbrent la très forte croissance du PIB américain alors même que cette croissance produit inégalités, désespoir et morts prématurées ?


En savoir plus avec Le Blog de Michèle Tribalat

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