Lâentrée dans le IIIe millénaire se signale par un nouveau fléau qui frappe les classes populaires blanches aux Ãtats-Unis en attendant mieux. Câest la « mortalité de désespoir ». Elle a été mise en évidence par un couple dâéconomistes, Anne Case et Angus Deaton (Nobel dâéconomie 2015) dans un livre paru en mars 2020, Deaths of despair and the future of capitalism. La démographe Michèle Tribalat lâa lu et nous en fait lâanalyseâ¦
Les morts de désespoir dont parle ce livre sont celles liées à la drogue, lâalcool et aux suicides qui ont beaucoup augmenté aux Etats-Unis depuis la fin du 20ème siècle parmi les Blancs non hispaniques dââge moyen qui ne sont pas diplômés du supérieur. Les auteurs en ont eu la révélation en 2014 dans le comté de Madison où ils passaient leurs vacances dâété. Ils ont constaté un taux de suicide quatre fois plus élevé que dans le New Jersey où ils habitent le reste de lâannée.
Cette mortalité, devenue massive, compromet lâamélioration de lâespérance de vie aux Ãtats-Unis. Elle est en premier lieu due à un système de santé ultralibéral à la fois très coûteux, inefficace et inégalitaire. En deuxième lieu à la prescription forcenée dâopiacées (antidouleurs à base dâopium) sous la pression des laboratoires pharmaceutiques. En troisième lieu à lâaggravation des inégalités avec la disparition des métiers dâouvriers qualifiés et leur remplacement par des emplois précaires.
Les auteurs consacrent un chapitre au système de santé américain qui « détruit des vies », malgré son coût : 18 % du PIB en 2017, contre 5 % en 1960 (trois fois ce qui est dépensé pour lâéducation), devant la Suisse (12,3 %) et la France (11,5 %). Malgré cela, lâespérance de vie à la naissance est supérieure en Suisse de 5,1 ans et en France de 3 ans à ce quâelle est aux Ãtats-Unis. Cuba elle-même affiche une espérance de vie et une mortalité infantile plus satisfaisantes que les Ãtats-Unis.
Si les autres pays développés sont pour lâinstant épargnés par lâépidémie de mortalité du désespoir qui reflète les politiques et les circonstances américaines, les Ãtats-Unis peuvent néanmoins leur servir dâavertisseur. Certains pays voient déjà décliner leurs services publics et notamment celui de la santé. Ils sont frappés par la même métamorphose du marché du travail. « Le Sheriff de Nottingham sâest installé à Washington, les flics ont quitté la ville et aucun Robin des bois nâest en vue » écrivent-ils.
Comment mieux illustrer l'absurdité des indicateurs économiques qui célèbrent la très forte croissance du PIB américain alors même que cette croissance produit inégalités, désespoir et morts prématurées ?
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