Janvier 2010 : Tsar, film de Pavel Lounguine, donne une image du tsar Ivan IV le Terrible à l'opposé de l'hagiographie d'Eisentein. Un émule de Staline...
Le 13 janvier 2010 sort sur les écrans français le film Tsar du cinéaste Pavel Lounguine, déjà célèbre pour des films empreints de mysticisme (L'île, Le pope).
Nous avons vu en avant-première pour vous cette fresque violente. Elle évoque un épisode particulièrement sombre du règne d'Ivan IV le Terrible (Grozny) (1547-1580) : l'affrontement avec son ancien ami d'enfance, Philippe, qu'il a hissé à la tête de l'Église russe.
Dans cette oeuvre ambitieuse, le réalisateur s'interroge sur les origines de l'autocratie russe, qui s'est perpétuée d'Ivan le Terrible à Staline...
Le film raconte deux années terribles (1567-1569) durant lesquelles le souverain, écartelé entre mysticisme et violence, entre en conflit avec le métropolite de Moscou, son ancien ami d'enfance, Philippe.
Sur le trône depuis déjà une vingtaine d'années, le souverain, d'une méfiance pathologique, confie sa protection rapprochée à une bande de seigneurs brutaux, qui s'arrogent droit de vie et de mort sur toute la population, les «chiens du tsar» (ils portent une tête de chien à la selle de leur cheval !)...
Le précédent chef de l'Église orthodoxe s'étant enfui sous l'effet de la terreur, laissant le peuple sans guide spirituel, le tsar oblige Philippe à quitter son monastère du bout du monde et le hisse de force à la plus haute place du clergé orthodoxe.
Philippe, atterré, découvre que, pour le tsar et ses sbires, il ne suffit pas d'exécuter les suspects, il faut les torturer au point de leur faire avouer des complots imaginaires. Ainsi les malheureux peuvent-ils espérer une mort libératrice ! Cette pratique du pouvoir sera reprise avec le succès que l'on sait par un émule de Grozny, Staline lui-même...
Le métropolite marque sa réprobation et le tsar, de lassitude et d'exaspération, dépose son ami. Il l'enferme dans un monastère et pour finir, commande à l'un de ses hommes de main de l'étouffer. Notons que l'Église orthodoxe a plus tard béatifié Philippe, ce qui n'est que justice.
Pavel Lounguine porte au crédit d'Ivan IV le Terrible («Grozny» en russe) le renforcement de la centralisation de l'État russe et les premières percées vers l'Asie. Il lui accorde un seul titre de gloire, la conquête de Kazan. Mais après ce succès de jeunesse, le tsar a perdu toutes ses guerres, en particulier le conflit de 25 ans contre les Polonais. Il a dû renoncer aux pays baltes et Moscou a été brûlée deux fois sous son règne.
Le tsar tue son fils aîné et, à sa mort, laisse la Russie affaiblie. La population du pays aurait ainsi diminué d'un tiers sous son règne du fait des punitions collectives et des violences occasionnées par les «chiens du tsar».
Le réalisateur s'étonne dans ces conditions du mythe qui s'est bâti au XXe siècle autour de la grandeur d'Ivan IV et a été entretenu par le chef-d'oeuvre cinématrographique d'Eiseinstein (1943), une commande de Staline, désireux de réveiller le patriotisme russe face à l'invasion allemande.
Padel Lounguine nous montre un tsar aux allures d'ascète, dents gâtées et silhouette creuse, bien plus vieux que son âge réel à l'époque des faits (37 ans). Ce choix esthétique rend plus palpables les contradictions et les doutes qui agitent le personnage. Faut-il le préciser ? Riche en scènes de tortures, le film Tsar ne s'adresse pas aux enfants ni aux personnes sensibles.
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