Histoire génétique de l'humanité

La civilisation de l’Indus éclairée par la génétique

La civilisation de l’Indus est l’une des plus mystérieuses de l’Antiquité : elle a prospéré au IIIe millénaire avant notre ère avant de s’effondrer assez brutalement pour des raisons mal expliquées. Qui étaient ses habitants et que sont-ils devenus ? La génétique va nous permettre de répondre en partie à cette question.

Les mystères de la civilisation de l'Indus

Rappelons la situation géographique. La plaine de l’Indus s’étend majoritairement dans l’actuel Pakistan. Elle est largement désertique mais est enrichie par les alluvions du fleuve. Il s’agit donc d’un environnement très similaire à celui de l’Egypte et de la Mésopotamie, favorable à la culture de l’orge et du blé domestiqués dans le Croissant Fertile.

L’agriculture traverse rapidement les plateaux arides de l’Iran d’ouest en est jusqu’à arriver sur le site de Mehrgarh vers 6000 av JC. De là, l’agriculture se diffuse plus tardivement vers le reste de la plaine.

Statuettes féminines de l'art du Mehrgarh, vers 3000 av. J.-C., Pakistan. Agrandissement : Portrait d'un homme Harappa, musée national de New Dehli.La génétique apporte une information très intéressante sur ce premier évènement : l’ADN Y transmis par les hommes montre une expansion du groupe J2 originaire des montagnes du Croissant Fertile à travers tout l’Iran. A l’approche de l’Indus, il se mélange au groupe L local qui est beaucoup plus ancien. Autrement dit, il ne s’agit pas d’une simple diffusion des pratiques agricoles, mais bien d’une migration massive depuis le Croissant Fertile en lien avec l’agriculture. Au niveau de l’ADN Y, la plaine de l’Indus apparaît dissociée du reste de l’Inde qui est dominé par l’haplogroupe H.

Qu’en est-il de l’ADN mitochondrial transmis par les femmes ? La plaine de l’Indus apparaît comme un carrefour entre l’aire génétique de l’Iran et celle de l’Inde qui est majoritaire. Les Indusiens étaient donc les héritiers du Croissant Fertile par la voie masculine mais se rattachaient davantage à l’Inde par la voie féminine. Il est difficile de savoir à quoi ils ressemblaient car la génétique a été ensuite modifiée par l’expansion indo-aryenne, mais ils n’étaient peut-être pas très différents des Sindhi actuels.

L’augmentation démographique dans la plaine de l’Indus finit par déboucher sur une civilisation urbaine très prospère à partir de 2600 av JC. Son apogée survient vers 2300 av JC, au moment de l’empire d’Akkad en Mésopotamie et de l’Ancien Empire égyptien. L’usage de briques standardisées montre une certaine forme de centralisation, mais l’absence de palais remet en question l’existence d’une élite dirigeante. Notons qu’une hypothétique capitale reste peut-être encore à découvrir : en effet, la topographie suggère qu’un 2e fleuve coulait en parallèle, que certains assimilent au Sarasvati des Veda, et qui s’est ensuite asséché. Il est donc possible que des vestiges demeurent enfouis sous le sable.

Cette civilisation est caractérisée par une architecture urbaine très aboutie. Des échanges sont réalisés avec la civilisation de l’Oxus, de l’Helmand et de Jiroft, qui servent d’intermédiaires avec la Mésopotamie via la civilisation élamite. Elles sont elles aussi habitées par le groupe J2 venu de l’ouest : c’est comme si l’origine commune de ces populations s’était maintenue dans ce vaste réseau très dynamique.

Hache cérémonielle, vers 3000 av. J.-C., nord de l'Afghanistan, Bactriane, New York, Metropolitan Museum of Art Agrandissement : Poids en chlorite de la culture de Jiroft.

La culture de Helmand disparaît la première vers 2350 av JC, puis celle de Jiroft vers 2150 av JC, sans doute en raison de la désertification des plateaux iraniens. Les civilisations de l’Oxus et de l’Indus sont davantage préservées grâce à l’irrigation des grands fleuves, mais elles s’effondrent toutes deux rapidement vers 1800 av JC. Cette fois, cela a sans doute un lien avec l’arrivée des Indo-Iraniens.

Cette migration massive depuis l’Asie Centrale est attestée depuis longtemps par la linguistique : de nombreux peuples d’Inde et d’Iran parlent encore aujourd’hui des langues voisines qui découlent de cette origine commune remontant à la fin du IIIe millénaire avant JC. A l’ouest, cela concerne de nombreux peuples tels que les Perses, les Kurdes ou les Pachtounes ; à l’est, cela concerne des langues telles que l’hindi, le bengali, le cinghalais et bien d’autres.

Le remplacement indo-aryen a largement effacé les anciennes langues, notamment les langues dravidiennes qui ne subsistent que dans le sud de l’Inde. Jusqu’où s’étendait exactement le domaine des Dravidiens avant ce remplacement ? Habitaient-ils également la plaine de l’Indus ? Il existe un peuple qui attire aujourd’hui l’attention : il s’agit des Brahuis, qui forment une enclave dravidienne au cœur des montagnes du Pakistan. Il existe 2 thèses à leur sujet : ou bien ils forment une relique des anciennes populations locales, ou bien ils sont arrivés plus récemment à la suite d’une migration d’est en ouest.

Rencontre d'intellectuels brahuis à l'Université du Baloutchistan. Agrandissement : Baloutches, à Kalat, au Pakistan. Les Baloutches parlent le brahui.

Là encore, la génétique apporte un solide élément de réponse. Tout d’abord, elle confirme l’ampleur de la migration indo-iranienne : les anciennes populations en Asie Centrale, au Pakistan et au nord de l’Inde, sont largement remplacées par le groupe R1a à la charnière des 3e et 2e millénaire avant JC. Seuls les plateaux iraniens sont un peu plus préservés.

Au Pakistan, cette grande vague du R1a n’a pas complètement écrasé le J2 et le L préexistants. Ce qui est intéressant, c’est que les Brahuis de langue dravidienne possèdent une forte proportion de J2 et pratiquement pas de H qui est caractéristique du sous-continent indien. Autrement dit, ils apparaissent issus des anciennes populations locales et non d’une migration venue de l’est. Cela suggère que les Indusiens antiques parlaient peut-être des langues dravidiennes. Notons que cela n’exclut pas une cohabitation de plusieurs langues comme en Mésopotamie.

En résumé, les Indusiens de l’Antiquité étaient connectés à l’Inde par leur langue et par leurs gènes d’origine féminine, mais ils étaient davantage rattachés au Croissant Fertile par leur héritage masculin. L’arrivée massive des Indo-Européens vers 1900 av JC a ensuite eu raison de cette civilisation, même s’il n’existe aucun témoignage archéologique d’une invasion guerrière. Ils ont peut-être profité d’une désorganisation due à l’ensablement du Sarasvati, et leur implantation massive aurait ensuite empêché tout espoir de rétablissement.

Ruines archéologiques de Mohenjo Daro au Pakistan. Agrandissement : le Roi-Prêtre de Mohenjo-daro.

C’est un cas unique dans le Monde d’une civilisation majeure qui s’éteint sans laisser d’héritage visible. A cette époque, les civilisations héritières du Croissant Fertile se rétractent complètement vers l’ouest et vont finalement trouver leur développement en direction de la Méditerranée. Quant à la civilisation indienne, elle n’émergera que 1300 ans plus tard et semble avoir peu de lien avec l’ancienne civilisation de l’Indus.

En l’absence d’écriture déchiffrée, celle-ci reste une énigme, mais on voit que la génétique ouvre le voile sur les causes de son essor et de sa disparition.

Vincent Boqueho
Publié ou mis à jour le : 2023-10-27 16:40:52

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