L'incendie du Bazar de la Charité

Bien plus qu'un fait divers

À la fin du XIXème siècle, au printemps, le tout-Paris se pressait au Bazar de la Charité. Cette institution, créée douze ans plus tôt dans la France de la Belle Époque, avait pour mission de venir en aide aux plus démunis. Elle était en réalité un lieu mondain où l’on se rendait pour être vu.

Malheurs à ceux qui s’y rendirent le 4 mai 1897... car on ne les revit plus ! Ce jour-là se déclencha au Bazar de la Charité l’un des plus grands incendies du siècle. Et la vente de bienfaisance de se transformer en véritable cauchemar...

Charlotte Chaulin
La série événement !

L’incendie du Bazar de la Charité, fait divers assez méconnu révélateur de la société de la Belle Époque, a interpelé Catherine Ramberg et Alexandre Laurent, qui proposent dès le 18 novembre 2019, une série en huit épisodes de 52 minutes sur ce drame très visuel. L’Incendie du Bazar de la Charité met en scène Audrey Fleurot, Camille Lou, Josiane Balasko ou encore Antoine Duléry. Elle témoigne bien des mœurs du Paris du XIXème siècle même si, pour avoir de la matière, les principaux personnages ont été créés de toutes pièces.

Première co-production TF1-Netflix, cette série est un vrai défi pour TF1 qui diffusera par la suite les épisodes à l’international. Mais la bourgeoisie parisienne du XIXème siècle, ses tourments et ses passions, prise dans les flammes d’un incendie carnivore, risque d’assurer un succès certain à la série.

Si vous préférez la lecture aux écrans, l’historien Bruno Fuligni a réuni de très nombreuses archives de cet événement pour écrire un livre documenté, vivant et prenant aux éditions l’Archipel. Son narrateur ? Le diable en personne.

Affiche de la série Le Bazar de la Charité d'Alexandre Laurent, diffusée à partir du 18 novembre 2019 sur TF1 puis sur la plateforme Netflix.

« Un des lieux de rendez-vous les plus élégants et les plus aristocratiques »

Dans les années 1880, après la Commune d’un mouvement socialiste et alors que les anarchistes posaient des bombes dans Paris, la haute société prit conscience qu'elle devrait venir en aide aux nécessiteux.

Le Bazar de la Charité fut fondé en 1885 par des membres de la haute société catholique. Chaque année, au printemps, il réunissait des œuvres de charité telles que les Petites Sœurs de l’Assomption ou Les Oeuvres des enfants et des jeunes filles aveugles de Saint-Paul qui offraient généreusement divers objets.

Le public étant constitué des gens de la haute société, dont la plus remarquée de toute, la duchesse d’Alençon, sœur de l’impératrice d’Autriche, Sissi, il devint très vite « l’un des lieux de rendez-vous les plus élégants et les plus aristocratiques » d’après le journal l’Eclair.

En réalité, le Bazar de la Charité était un lieu d’apparences où l’on se rendait pour être vu, où l’aristocratie, accompagnée de ses serviteurs, pensait davantage à badiner qu’à l’égalité des classes sociales  : « Sous le couvert de la Charité, bien des choses étaient permises qu’en tout autre occasion prohibait le code mondain. Moyennant une poignée de louis, la jeune et jolie baronne de Z... laissait ses adorateurs déposer sur sa joue un baiser. “C’est pour mes pauvres”, disait-elle en rougissant de bonheur.» écrivait l’Eclair.

Le Bazar de la Charité avant la catastrophe du 4 mai 1897. Illustration parue dans Le Figaro du 6 mai 1897. @Le Figaro.

Ce n’est pas un grand magasin mais une structure provisoire qui accueillait cette vente de charité chaque année. En 1897, le Bazar se tint dans une baraque en bois. Un bois résineux hautement inflammable... Inauguré le 4 mai par une bénédiction papale, le Bazar offrait un décor attractif : une reconstitution d’une rue du Moyen Âge de 80 mètres de long provenant d’un théâtre. Elle présenta cette année-là une innovation de taille : un cinématographe.

Cette nouveauté attira les 1.200 visiteurs qui devaient débourser la modique somme de 50 centimes d’euros pour en profiter et visionner un film des frères Lumières.

Dans cette ambiance bonne enfant où l’aristocratie se divertit, les sourires sur les lèvres laissèrent place à des grimaces de peur et des hurlements d’angoisse. Car, vers 16 heures, un incendie se déclara.

Alors que le projectionniste changeait l’ampoule du cinématographe, son assistant craqua une allumette pour éclairer la pièce. Mauvaise idée... l’appareil fonctionnait à l’éther et la pellicule, inflammable aussi, provoqua l’effet d’une bombe.

Une du Petit Journal illustré au lendemain de l'incendie du Bazar de la Charité du 4 mai 1897. L'incendie se propagea à toute allure à l'ensemble de la halle. Les visiteurs furent pris au piège, les portes-tambours ne s’ouvrant que vers l’intérieur. La panique fut générale, le feu étant de tous les côtés. Les jupons des dames les ralentirent, et pire encore, leurs chapeaux de paille firent d’elles de véritables torches humaines. La température grimpa si haut que les graisses se mirent à fondre. Des survivants raconteront ensuite que, tandis qu'ils essayaient de sauver leurs camarades d'infortune, les gens leur glissaient des mains.

Dans cette bousculade, l’entraide se fit rare. Les hommes mirent de côté leur honneur pour sauver leur peau, au détriment de celle des dames qu’ils courtisaient encore quelques minutes plus tôt. Certains n’hésitèrent pas à taper à coup de canne et de bouteille de champagne sur ces pauvres demoiselles en détresse. Littéralement piétinées, beaucoup d’entre elles s’évanouirent.

En vingt minutes, 112 personnes périrent, brûlées vives, dans d’atroces souffrances. Parmi elles, la duchesse d’Alençon, qui n’avait pas voulu laisser derrière elle les jeunes filles de son entourage. Le bilan s’alourdira de ceux victimes de leurs blessures.

95% des victimes furent des femmes, gênées par leurs robes dans leur fuite.

Devant le bâtiment en flammes, cochers, plombiers et tous les passants intervinrent. Ils parvinrent à sauver difficilement quelques personnes.

Les secours arrivèrent de tous les côtés. En face du Bazar, au numéro 20 de la rue, se trouvaient les écuries du baron de Rothschild. L’établissement ouvrit ses portes aux malheureux en flamme et les rescapés se jetèrent dans le bassin servant à faire boire les chevaux. Le chaos régnait alors rue Jean-Goujon.

Les familles des victimes se recueillent sur les corps carbonisés. Rue des Archives/©Rue des Archives/RDA

« Ce jour-là, les hypocrisies de la Belle Epoque sont parties en fumée. » explique Bruno Fuligni dans son ouvrage L’incendie du Bazar de la Charité (paru le 9 octobre 2019 aux éditions l’Archipel). Il insiste sur l’hypocrisie de ce rendez-vous mondain « sous couvert de charité » où l’on dépense plus pour les habits que l’on porte en y allant que pour les pauvres.   

Paul Morand décrit l’incendie du Bazar de la Charité

 « Clovis se retourna et vit une flamme se dresser sur l’estrade. Elle s’enrubanna autour du cinématographe qui, dans un grésillement instantané, se mit à fondre avec toutes ses pellicules. Les gestes qu’on pouvait faire pour se protéger ou pour fuir arrivaient trop tard, car l’incendie avait déjà lancé son coup de gueule au ciel, ses griffes à travers la foule.

Le vélum tendu au-dessus du Bazar se gonfla d’air chaud comme une montgolfière, fit craquer ses cordages, tendit une vaste bannière mouchetée de jaune, puis de roux, enfin de noir, qui se perfora, avant de se déchirer. Les têtes levées, aveuglées par le soleil, ne voyaient pas que le plafond de toile brûlait ; ce ne fut que lorsqu’il eut cédé au passage de l’appel d’air, qu’il fléchit sous son poids et se rabattit sur les assistants.

Avant de comprendre qu’ils allaient être rôtis, avant de chercher une issue, ceux-ci reçurent l’averse de feu sur les épaules. Les ruchési et les festonnés, la paille des grands chapeaux, la mousseline des robes, le taffetas des volants et la soie des ombrelles, les voilettes, les rubans et les plumes, l’organdi et la percale, tous les tissus légers comme des vapeurs qui habillaient les corps des femmes, heureuses de s’abandonner à un précoce été, s’allumèrent comme des feux de joie, flambèrent dans l’air tiède, imprégné de parfums exquis et de lotions ambrées. »

Paul Morand, Bazar de la Charité, 1944

Un fait divers révélateur d’une époque

Un service funèbre fut célébré à Notre-Dame le 8 mai en présence du président Félix Faure.

« Fut-il jamais catastrophe plus horrifiante ? » s’interrogea le supplément illustré du Petit Journal le 16 mai 1897. Catastrophe horrifiante dont les victimes ne furent pas seulement la centaine de morts dans l’incendie. « Le feu n’est plus circonscrit à un quartier de Paris, c’est tout le pays qui s’embrase. » explique l’historien Michel Winock.

Sophie-Charlotte en Bavière, duchesse Ferdinand d'Alençon. L’incendie du Bazar de la Charité, qui survint en plein pendant l’Affaire Dreyfus, témoigne de la pregnance de l’antisémitisme dans les esprits en cette fin du XIXème siècle.

Pour compenser les pertes dues à l’incendie, Le Figaro prit l’initiative d’organiser une souscription. Ce fut un succès dès le premier jour. Mais un donateur anonyme adressa un jour près d’un million de francs, le produit exact de la vente de l’année précédente.

Après quelques jours d’incertitude, Le Figaro révéla que le don exceptionnel provenait de la baronne Hirsh - c’est-à-dire d’une juive. Mais celle-ci démentit aussitôt.

Le 19 mai, le journaliste politique Paul de Cassagnac signa, dans le journal L’Autorité, un article intitulé « Trop, trop de juifs » : « Les juifs ne sont pas plus généreux que les chrétiens : ils sont tout simplement plus riches. Mais puisqu’on sait que cet argent est d’origine chrétienne, alors l’attitude du Figaro est odieuse, d’avoir voulu exalter les juifs et ravaler le mérite des catholiques ». 

Retournement brutal de situation, on apprit finalement que le don était en provenance d’un catholique, Madame Lebaudy. Une aubaine pour La Libre parole de Drumont, vecteur principal de l’antisémitisme français.

Après avoir reproché aux Juifs leur richesse, voilà qu’on exalta la charité chrétienne ! Un auteur anonyme vanta dans La Libre parole cette valeur si digne « de notre race » et conspua « la charité ostentatoire de la haute juiverie, transformant en almanach du Golgotha les colonnes du Figaro et de déchirer à pleine dents cette cynique ploutocratie de l’or...».

L’incendie du Bazar de la Charité fut aussi, pour certains, la preuve éclatante que Dieu n’existait pas ! Car l’incendie survint quelques minutes seulement après la bénédiction papale.

D’autres vont plus loin encore, en interprétant l’événement comme un signe métaphysique. En cette fin du XIXème siècle, siècle de la science, les résistances au Progrès ont profité au développement des sciences occultes.

Dans les jours qui suivirent l’incendie, toute la presse se fit l’écho d’« un singulier phénomène ». Le matin du désastre, la sœur Marie-Madeleine, de l’orphelinat des Jeunes Aveugles, avait affirmé à ses amies : « Vous ne me reverrez plus ; on me rapportera brûlée vive. » La religieuse a en effet perdu la vie dans l’incendie l’après-midi. D’autres cas de ce type furent rapportés.

C’est dire si l’incendie a des répercussions dans tous les domaines car la science, elle aussi, connut des avancées importantes, notamment en médecine légale. Les corps carbonisés étant impossible à identifier, c’est à ce moment-là que fut mise au point la reconnaissance des corps par la dentition.

Et c’est le sacrifice de la duchesse d’Alençon qui permit cette avancée scientifique. Car en examinant les corps quelqu’un découvrit sur un squelette des dents égales et bien rangées. Le dentiste de la duchesse reconnu formellement sa dentition. Un procès-verbal fut dressé et le dentiste prêta serment. C’est la première fois que l’odontologie légale fut reconnue de manière officielle.

Rappelons aussi que c’est notamment après cet incendie que les Frères Lumières eurent l’idée de mettre au point un projecteur électrique. Une idée lumineuse pour éviter de s’enflammer !

Ce drame, bien plus qu’un fait divers, révèle les dessous de la bienséance de l’époque. L’honneur masculin laissant place à un égocentrisme féroce. Entre sexisme et mépris de classe, l’incendie du Bazar de la Charité, au-delà de son époque, témoigne de la face la plus sombre de l’être humain...

Image provenant de la série TF1/Netflix Le Bazar de la charité.  © Quad Television/TF1 Studio

Publié ou mis à jour le : 2019-11-13 16:12:41

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