Plus qu'un monstre sacré, Jean Alexis Moncorgé, dit Jean Gabin, est un mythe du cinéma mais aussi un mythe du XXe siècle qu'il a traversé en plan large et en gros plan. Mieux que quiconque, il a incarné la France. Il pouvait tout jouer et il a tout joué. Toujours crédible, toujours juste, qu'il soit ouvrier, militaire, artiste, clochard ou qu'il préside aux destinées de la République.
Plus de quarante ans après sa mort, le 15 novembre 1976, l’acteur reste une figure emblématique du cinéma, en qui la France se reconnaît. Il représente une certaine idée de notre culture nationale, dans le contexte d'une transformation du pays qui s’est accélérée à partir des années 1950. Plus que tout autre, il a porté cette résistance cocardière face aux changements qui ont bouleversé notre société et a su restituer à l’écran tout un milieu populaire qu’il a assimilé pendant son enfance, à Mériel, et son adolescence à Paris...
Paris ouvre les bras au talent du jeune Gabin
Né le 17 mai 1904, le petit Jean Alexis Moncorgé passe son enfance sur les bords de l’Oise, à Mériel. Fils d’un chanteur de café-concert qui rentre tard, chaque soir, et d’une mère d’une santé fragile, il avouera plus tard s’être élevé tout seul, préférant le braconnage et le vagabondage aux bancs de l’école communale.
Ses souvenirs de Mériel et son adolescence à Montmartre l’aideront à trouver, à chaque fois, le geste approprié, la bonne posture, le costume adéquat et enfin l’expression qui convient, comme dans une forme de mimétisme social.
En 1930, il interprète son premier grand rôle dans Chacun sa chance. Il sait chanter, une qualité bien utile au cinéma qui vient de devenir parlant. Pendant les trois ans qui suivent, le Mériellois fait ses classes et ses gammes dans une quinzaine de films mineurs qui sont le reflet des productions de l'époque.
En 1934, il rencontre Julien Duvivier qui lui propose le rôle de François Paradis dans Maria Chapdelaine. Tous les films qui vont suivre reflètent tour à tour la crise, la montée puis la chute du Front populaire et la menace grandissante de la guerre.
En face, un autre cinéma se caractérise par son engagement militant et révèle un état d’esprit fait d’optimisme et de combativité. Pour le comédien, la rencontre avec Jean Renoir est à cet égard déterminante, avec Les Bas-fonds (1936) et La Grande illusion (1937).
Après la défaite, l’occupant allemand voudrait que Gabin continue à jouer dans les films qu’il veut produire pour inonder le marché européen sous sa botte, rêvant d'avoir avec lui le héros national. À contrecœur, l’acteur quitte la France à la mi-février 1941 et débarque à New-York avec son vélo et son accordéon.
Le 3 avril 1943, il rejoint les Forces navales françaises libres et se retrouve en 1945 dans la 2e DB et, à bord d'un char, il combat en Moselle avant de participer à la libération de la poche de Royan. Ce parcours le conduira jusqu'au nid d'aigle d'Hitler, à Berchtesgaden. À la Libération, Jean a prématurément vieilli. À quarante ans à peine, il a déjà des cheveux blancs. Impossible pour lui de retrouver les rôles de séducteur qui ont fait sa gloire passée.
Un emblème national
Un nouveau Gabin apparaît et va alors s’accomplir durant les « Trente Glorieuses ». Les films qu’il interprète montrent une France en pleine mutation et les personnages traduisent chez lui une crise d’identité majeure. Les titres de l’époque sont en cela significatifs : La Nuit est mon royaume, La Minute de vérité, Leur dernière nuit, Voici le temps des assassins, Le Sang à la tête, Le Désordre et la nuit, En cas de malheur, etc.
Le genre policier lui offre une seconde carrière. Il joue indifféremment des rôles de flics ou de truands. Qu’il soit voleur, flic, restaurateur, juge pour enfant, chauffeur routier, président du Sénat ou le commissaire Maigret, Gabin est toujours le même. L’identification est immédiate, les Français se reconnaissent en lui et s’embourgeoisent en même temps que lui. Il porte des charentaises et des pyjamas rayés quel que soit son statut social.
Le Chat (Pierre Granier-Deferre, 1971) est un film crépusculaire, l’annonce de la fin d’un cycle. Il clôt la période des Trente Glorieuses qui a fait apparaître au cinéma une société corrompue et délinquante, une société où émerge une banlieue synonyme de perte de soi et de perte de mémoire.
Devenu lieu de mémoire en tant qu’idole représentative de notre société, Jean Gabin a traversé le vingtième siècle en confondant ses films à la réalité, jusqu’à servir de miroir diaphane. Il porte une identité française plus qu'aucun autre acteur.
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