Dans une lettre qu’il adresse à son cousin et ami Louis de Kergorlay le 15 décembre 1850, Alexis de Tocqueville écrit : « Il me semble que ma vraie valeur est surtout dans ces travaux de l’esprit, et que je vaux mieux dans la pensée que dans l’action et que s’il reste jamais quelque chose de moi dans ce monde, ce sera bien plus la trace de ce que j’ai écrit que le souvenir de ce que j’aurai fait. »
Son jugement est pertinent et si son œuvre demeure capitale aujourd’hui encore, son action politique est demeurée très en-deçà de sa pensée et de ses analyses. Ce fait n’est pas rare, c’est là un paradoxe des régimes démocratiques qu’il signale dans De la Démocratie en Amérique.
L’homme politique
Dès le 25 octobre 1830, il écrivait à son ami Beaumont : « C’est l’homme politique qu’il faut faire en nous ». Le roi Louis-Philippe venant de ramener l’âge de l’éligibilité de 40 à 25 ans, il envisage de se présenter aux élections dès que possible, et en 1835, après la sortie de son livre, il juge qu’il lui faut entrer dans la carrière en obtenant un mandat électoral.
Une première occasion se présente à lui en 1836 : le canton joint de Beaumont-Hague-Les Pieux doit participer au renouvellement par tiers du conseil général de la Manche. Il présente donc sa candidature de façon officieuse, puis la retire parce qu’elle le mène à l’échec.
Il tient surtout à être élu député. Après avoir abandonné l’idée de se présenter à Versailles, fief de sa famille politique originelle, qui ne lui pardonne pas ses infidélités politiques, il est contraint de renoncer également à la circonscription de Cherbourg et opte finalement, en 1837, pour celle de Valognes. Une opportunité se présentait après la dissolution de l’Assemblée, le 3 juillet par son cousin Molé, chef du gouvernement.
Inexpérimenté et trop sûr de lui, il ne fait pas campagne et il est logiquement battu par Jules Polydor, comte Le Marois (note), fils d’un général d’Empire et député de la circonscription depuis 1834. Celui-ci appartenait à l’opposition, mais soucieux de conserver son siège, il s’était engagé auprès de Montalivet, ministre de l’Intérieur, à changer de camp et à appuyer le gouvernement. Soutenu à la fois par la majorité – à cause de son ralliement – et par l’opposition à laquelle il n’a évidemment pas fait part de ses démarches ministérielles, il est élu.
Tocqueville sort « battu mais non abattu », de la campagne de 1837. Il tire les leçons de son échec et met en place les conditions de la victoire de 1839 et des victoires ultérieures. Il devient un véritable professionnel du combat politique dans une circonscription rurale de Basse-Normandie. Il sait désormais que la victoire ne s’obtient qu’au terme d’une campagne qui suppose des relais et des agents électoraux, des visites aux domiciles des électeurs et sur les marchés. Il met donc en place un nombre important d’agents électoraux et s’installe désormais pour la durée des campagnes électorales à l’hôtel du Louvre à Valognes.
Il a compris qu’il lui faut, pour quitter son statut de « horsain » (étranger), être suffisamment présent dans sa circonscription ; en 1838 il arrive à Tocqueville début juin et reste sur place jusqu’à fin octobre. Il remporte l’élection le 2 mars 1839 par 318 voix contre 240 à son adversaire, et l’écart de voix ne cessera d’augmenter d’un scrutin à l’autre jusqu’en 1846. En 1848, il met sa fierté à être élu largement au suffrage universel à la Constituante, puis, en 1849, à la Législative.
Il choisit de siéger à gauche jusqu’en 1848. Il s’en explique à son ami Corcelle qui vient d’être élu à Sées : « dans nos campagnes […] l’endroit où on place son derrière a donc une importance de premier ordre. » (Œuvres complètes, XV, 1, p. 125). Il lui demande de bien vouloir trouver pour eux deux places au centre gauche et il lui écrit le 12 mars 1839 : « Gauche, c’est ce mot-là [gauche], que je voulais accoler à mon nom et qui y serait ensuite resté attaché jusqu’à la vie éternelle » (ibid., XV, 1, p. 128), mais c’est là bien moins une prise de position idéologique qu’une volonté d’adéquation avec ses électeurs.
L’action politique de Tocqueville sous la Monarchie de Juillet (1839-1848)
Quand il entre à la Chambre, il siège à gauche mais entend conserver son indépendance et ne rejoint ni le centre gauche de Thiers, ni la gauche dynastique de Barrot, ce qui explique en partie qu’il devienne l’homme des grands rapports qui privilégient la recherche du consensus aux choix idéologiques.
En janvier 1833, Beaumont et Tocqueville avaient déjà publié leur rapport sous le titre : Du système pénitentiaire aux États-Unis et de son application en France (note) ; en juin 1839, Alexis est nommé rapporteur de la commission chargée d’étudier la proposition de loi de Destutt de Tracy tendant à l’émancipation des esclaves. Il termine ainsi son rapport : « Dans la session de 1841, il sera proposé un projet de loi qui fixera l’époque de l’abolition générale et simultanée de l’esclavage dans les colonies françaises. » Il poursuit son combat dans Le Siècle et à la Chambre dans son intervention du 30 mai 1845, lors de la discussion sur le régime des esclaves dans les colonies.
En 1847, il présente ses deux rapports sur l’Algérie. De même, à l’échelon départemental, il est, de 1844 à 1846, le rapporteur de la question des enfants abandonnée et de l’aide aux mères ainsi que de la réalisation de la ligne Paris-Cherbourg, dont il fut le principal artisan. Mais très tôt il prend conscience que sa volonté d’indépendance le condamne à occuper une position marginale dans la vie politique française.
Pendant la Monarchie de Juillet, la gauche modérée possède deux chefs incontestés : Thiers et Barrot. Il ne peut être question pour Tocqueville de rejoindre Thiers dont il condamne l’esprit manœuvrier et l’absence de morale politique. En revanche, il est proche politiquement de Barrot, avocat, fils d’un conventionnel non régicide et chef de la gauche dynastique.
Après la mort du duc d’Orléans, le 13 juillet 1842, la question de la succession se pose et, les 18 et 19 août 1842 Tocqueville s’arrange pour mettre un coin entre Thiers et Barrot à propos de la loi de Régence en convaincant ce dernier de voter, contre Thiers, pour que la Régence revienne, le moment voulu, à la duchesse d’Orléans. Le 16 septembre, il lui propose une alliance afin de rénover la gauche.
Barrot resterait le chef du parti puisqu’il en a le charisme et la stature, Alexis en deviendrait le penseur, l’idéologue en quelque sorte. Barrot est satisfait de cette convergence des points de vue : mêmes valeurs, même souci de la morale en politique, mais il n’envisage pas une collaboration étroite.
Après ce qui peut être considéré comme un échec, et pour accroître son espace politique, Tocqueville entend se doter d’un organe de presse afin de diffuser ses idées. Le 29 juin 1844, il crée avec son entourage une société d’exploitation qui rachète Le Commerce, un journal spécialisé dans les informations sur le mouvement industriel et commercial. L’affaire se solde par un échec à la fin de l’année suivante, mais entre-temps une grande polémique s’installe à propos de la question scolaire.
Le ministre Villemain propose un texte de réforme en 1844, au moment où les échanges entre le parti clérical, les défenseurs de l’université et les anticléricaux sont très vifs. Tocqueville tente de définir une position médiane dans Le Commerce. L’émulation entre deux formes d’enseignement ne peut être que profitable mais, dans le même temps où il demande la suppression du monopole de l’Université, il rappelle en être un produit et souhaite qu’elle ait les moyens de conserver et d’accroître ses qualités d’excellence.
Il défend ce point de vue dans six articles consécutifs dans son journal entre le 3 et le 12 décembre 1844 et, naturellement il se fait prendre très vivement à parti par les deux camps et se retrouve en condition inconfortable et marginalisé.
Beaumont et Tocqueville sont devenus des spécialistes incontestés des questions pénitentiaires et ils entreprennent de mettre au point et de faire voter une loi importante appuyée sur leur expérience américaine mais adaptée aux conditions françaises.
En 1843-1844, Alexis mène un long combat parlementaire pour faire adopter par la Chambre des députés le texte de loi sur la réforme des prisons qui est voté par la Chambre des députés le 18 mai 1844, mais renvoyé par la Chambre des pairs. La loi enfin votée, en avril 1847, ne fut jamais appliquée !
Tocqueville fut l’un des principaux intervenants parlementaires dans les débats sur la colonisation de l’Algérie. Il considérait que la France aurait dû, pour faire pièce à l’Angleterre, s’implanter sur les côtes, en premier lieu à Alger et Mers el-Kébir, pour contrôler la Méditerranée occidentale, et y installer des comptoirs afin de faire du commerce avec les habitants.
Il aurait fallu, explique-t-il, réutiliser et adapter le système mis en place par les Turcs au lieu de faire table rase de ce qui existait déjà. Dès 1837, il publie dans La Presse de Seine-et-Oise, le 23 juin et le 22 août, ses deux Lettres sur l’Algérie, dans lesquelles il critique vivement le traité de la Tafna, signé par Bugeaud avec Abd el Kader, erreur majeure qui octroyait un pouvoir politique à un chef religieux sur une large partie du pays, source de conflits inévitables à venir.
Il fait ensuite deux voyages en Algérie, en 1841 et 1846 pour juger de la situation locale. Il est très critique vis-à-vis de la politique engagée : on a confié la colonisation à l’armée, l’élément le plus inapte pour mener cette tâche à bien, exception faite de l’administration qui brille par sa rigidité et son incompétence, ces deux corps entrant en outre régulièrement dans des conflits sans fin que Paris devait arbitrer.
Il demeure partisan de la colonisation mais opposé à toute invasion de la Kabylie, soucieux du respect des lois et pratiques indigènes, et dans son dernier grand rapport de 1847, il expose ce qui peut être considéré comme son testament politique sur la question : La France dispose d’atouts importants en Algérie, elle a une carte importante à jouer dans le pays mais elle ne peut réussir qu’en changeant totalement sa façon de procéder tant vis-à-vis des colons que des indigènes, faute de quoi ; à terme, la guerre s’installera entre les deux communautés dont l’une ou l’autre devra disparaître.
Tocqueville a d'abord cru que la monarchie constitutionnelle mise en place par le roi Louis-Philippe pourrait durer. Comme les autres membres de sa famille, il n’avait néanmoins aucune sympathie pour le monarque qui, pour lui, incarnait trop bien la médiocrité et les vices du temps.
Cependant, à partir des années 1846-47, il comprend que le pouvoir va à sa perte en raison de son conservatisme, de son incapacité à réformer, et des affaires qui gangrènent le pouvoir. Aussi fonde-t-il avec plusieurs députés qui partagent le même courant d’idées libérales et réformistes La Jeune Gauche, qui se donne pour but d’éviter la révolution à laquelle risque de mener la politique conservatrice du roi et de Guizot. Mais les élections de 1847 bloquent toute tentative et tout espoir de réforme. Tocqueville rédige alors une ébauche de programme politique, singulièrement plus social, plus marqué à gauche, que celui du centre gauche ou de la gauche dynastique.
Le pouvoir est marqué par l’usure du temps et surtout par l’immobilisme et les affaires, et, pour se protéger, il interdit les manifestations et rassemblements. Les opposants décident donc de lancer une campagne des Banquets où ils pourront se regrouper et préparer des actions (le pouvoir peut interdire des manifestations mais pas une tradition festive comme le droit de banqueter !). Tocqueville refuse toutefois de s’y associer.
Le 27 janvier 1848, en réponse au discours de la Couronne, Tocqueville annonce que sous la torpeur apparente du moment, des signes imperceptibles annoncent, à brève échéance, des mouvements révolutionnaires, moins d’un mois plus tard, la révolution éclatait.
Le 24 février, le roi ayant abdiqué, la foule envahit le Palais Bourbon où siègent les députés. Tocqueville intervient auprès de Lamartine pour lui demander de proclamer la régence de la duchesse d’Orléans qui vient d’entrer dans la salle. Refus de Lamartine qui entend désormais jouer sa carte personnelle. Tocqueville se rallie donc à la République et se fait élire avec succès député à la constituante, en 1848, à la législative, en 1849.
La révolution de 1848 et la commission de rédaction de la Constitution
Tocqueville est, il le reconnaît, un républicain du lendemain, mais il mettra jusqu’au bout toutes ses forces au service et à la défense du nouveau régime.
Il faut doter la France d’une nouvelle Constitution et l’Assemblée nouvelle élit les 17 et 18 mai, en trois tours de scrutin successifs, dix-huit membres chargés de la rédaction de ce texte fondamental. Tocqueville défendait des idées minoritaires dans cette commission, notamment la nécessité du bicamérisme et l’importance de la décentralisation. Barrot, Beaumont et Lamennais étaient les seuls à partager les mêmes principes. En vain !
Tocqueville n’obtint satisfaction que sur un point : l’élection du président de la République au suffrage universel. Le président serait élu pour quatre ans et non rééligible immédiatement. Fausse bonne idée, sur laquelle Tocqueville reviendra en 1851 lorsqu’il tentera de faire passer la révision.
La question du droit au travail
Le 12 septembre 1848, Tocqueville prononce devant l’Assemblée un long réquisitoire contre l’inscription du droit au travail dans la Constitution. L’État, dit-il, ne peut garantir ce droit qu’en devenant lui-même entrepreneur, ce qui n’est pas son rôle et aboutirait à la restriction des libertés fondamentales. Tocqueville tire ainsi la leçon de l’échec de la politique des Ateliers nationaux qui a abouti aux journées traagiques de mai et juin 1848.
Il dégage alors l’explicite et l’implicite de la stratégie babouviste qui visait, sans le dire vraiment, à spolier les propriétaires (Œuvres complètes, pp. 175-176) et démontre comment l’affirmation constitutionnelle du droit au travail implique une remise en cause de la propriété et de la nature de la société pour aboutir, à terme, mais de façon inéluctable, au socialisme dont les effets induits mènent à une organisation par essence liberticide de la société. Il conclut son discours en soulignant l’obligation pour l’État de prêter secours et assistance aux sans travail.
Ministre des Affaires étrangères et président du Conseil Général de la Manche
Le retour en France de Louis-Napoléon Bonaparte avait entièrement modifié et faussé la situation politique du pays et Tocqueville avait envisagé de démissionner s’il était élu à la présidence. Il jugeait sévèrement l’homme et sa politique et accepta cependant de devenir son ministre des Affaires étrangères du 2 juin au 30 octobre 1849.
Il hérite du dossier de la question romaine, un imbroglio qui amènera le renvoi du ministère. Après l’instauration de la République romaine de Mazzini, le pape s’était enfui à Gaète sous la protection de Ferdinand II des Deux-Siciles.
Le 16 avril, l'Assemblée Constituante nationale vota l’envoi d’un corps expéditionnaire français afin de porter secours aux républicains romains insurgés. Le premier gouvernement Barrot souhaitait réussir une médiation entre le pape et les républicains. On chargea donc Ferdinand de Lesseps de tenter de trouver un accord mais les positions étaient inconciliables et on mit fin à sa mission.
Arrivé au ministère, Tocqueville estime n’avoir d’autre solution que la prise de Rome par le corps expéditionnaire français, mais il entend lier le retour à Rome de Pie IX à la mise en place d’une Constitution et d’institutions libérales ainsi qu'à l’amnistie de tous les responsables de la République romaine et au droit pour les étrangers qui ont participé aux actions politiques de quitter le pays sans être inquiétés !
Telles sont les instructions formelles qu'il donne à son plénipotentiaire Corcelle mais c’est là une question diplomatique et il ne peut faire état de ses instructions devant l'Assemblée où il affirme dans sa réponse à l’intervention d’Arnaud de l’Ariège, le 6 août 1849, qu’il fait confiance au pape, alors que dans ses notes officielles et la correspondance privée qu’il adresse à Corcelle, il dénonce la mauvaise foi du pape et des cardinaux. Il rappelle à Corcelle que la présence de notre armée sur place permet d’imposer ces décisions.
Le 1er octobre 1849, il écrit à Corcelle : « [Mon] impression [à] la lecture du motu proprio et de l’amnistie […] a été une indignation et une irritation profonde. Je trouve le motu proprio un modèle accompli d’astuce politique. [Il nous faut] Considérer le motu proprio comme l’œuvre personnelle du pape; celle qui porte son cachet. Quant à l’amnistie, réclamer respectueusement mais vivement. Sur ce point, notre honneur comme nation et notre honneur comme ministres est tellement engagé que nous ne pouvons céder. […] tant que nous serons aux affaires, nous ne laisserons pas la justice politique romaine suivre son cours dans les pays que nous occupons et sur ce point je maintiens tous les ordres que mes précédentes lettres contenaient déjà. »
On n’est jamais si bien trahi que par les siens. Corcelle n’obéit pas aux ordres de Tocqueville et, pour des raisons différentes, de Rayneval ambassadeur à Naples et le général Oudinot choisissent d’obéir aux les volontés des cardinaux et de la Curie auxquels on remet les clés de la ville.
En marge de cette affaire et au même moment, le tsar et l’empereur d'Autriche exigent que la Turquie livre les réfugiés politiques polonais et hongrois qui s’étaient soulevés contre eux, notamment Dembiski et Kossuth. Elle s’y refuse et le ministre des Affaires étrangères ottoman Rechid-Pacha demande le soutien de la France et de l’Angleterre. L’Angleterre envoie l’escadre anglaise de Méditerranée devant les Dardanelles. Tocqueville suit le mouvement et Lamoricière, qu’il a nommé ambassadeur de France à Moscou, obtient que le tsar retire ses demandes.
Là-dessus, le président de la République Louis-Napoléon-Bonaparte renvoie le second gouvernement Barrot et tente de reprendre la main sur la politique étrangère. Une décision absurde car Tocqueville était sur la même ligne que le président en voulant contraindre Pie IX à donner à ses États une Constitution libérale et à faire une amnistie générale.
Le président refusant de lâcher le pouvoir, la seule solution satisfaisante eût été, pour Tocqueville, la révision de la Constitution. Le 27 juillet 1851, il écrit à Nassau Senior : « Il se peut qu’il arrive un moment tellement critique que je sois moi-même d’avis qu’il faut laisser le peuple violer la Constitution (en réélisant le Président) : mais je laisserai faire cette triste besogne par d’autres. Je n’abattrai jamais de mes mains le drapeau de la loi dans mon pays. » (Œuvres complètes, VI., 2, p. 134)
Il lui faut donc tenter d’obtenir une révision de la Constitution et défaire ce qu’il a contribué à établir ; il mène donc ici son dernier combat, c’est un échec.
Le 2 décembre 1851, à deux heures du matin, Louis-Napoléon fait arrêter les généraux républicains Changarnier, Lamoricière, Bedeau et Cavaignac. Dans la matinée, 228 députés, dont Tocqueville, se réunissent à la mairie du Xe arrondissement pour destituer le président pour forfaiture ; ils sont arrêtés également.
À son frère Édouard, rallié au régime et dont il dénonce l’immoralité, il écrit : « Tu étais partisan d’un coup d’État avant même que ce coup d’État eût lieu ». La rupture idéologique est complète : « Tu as passé le Rubicon. Les discussions seraient désormais pénibles sans être utiles. […] Tout ce qu’il y a de libre, de fier, de délicat en moi se révolte contre ce gouvernement. Tant que je vivrai, j’aspirerai à le modifier profondément et s’il y résiste, comme il ne manquera pas de le faire, à l’abattre ». Il dénonce avec la plus grande sévérité le ralliement de la hiérarchie catholique et celui des aristocrates qui ont franchi le pas.
À la session de mars 1852, Tocqueville présente au conseil général de la Manche son dernier rapport sur la ligne de chemin de fer Paris-Cherbourg. Le dossier est clos désormais. C’est sa dernière intervention dans la politique locale, et l’une de ses très rares victoires, le projet est définitivement accepté et il démissionne le 29 avril, immédiatement après la session du conseil général, le pouvoir ayant demandé aux élus une prestation de serment à laquelle il se refuse catégoriquement.
« Exilé intérieur » et sans descendance
Tocqueville, opposant déterminé au régime et qui se considérait comme un exilé intérieur, refuse de participer aux cérémonies impériales et continue d’entretenir une correspondance suivie avec ses amis opposants au régime. L’évolution de la France vers une catastrophe annoncée et le retour du despotisme font de lui un exilé de l’intérieur. Il décide de revenir au travail intellectuel. Il se met en quête d’un grand sujet d’ « histoire philosophique », Il faut en revenir au processus qui a conduit à la Révolution : comprendre ce qui s’est passé, comment ? Pourquoi ?
Tocqueville n’aura pas de descendance familiale propre ni de descendance politique véritable. Il fait encore partie de la vie politique américaine pour laquelle il demeure une référence nécessaire. En France, à l’inverse, il reste méconnu du grand public, et sert d’alibi au personnel politique qui cite son nom ; plus rarement un morceau de phrase souvent pris à contre-emploi.
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