Germinal (Émile Zola)

Dans l'enfer de la mine

En publiant Germinal, Émile Zola frappe fort ! Découvrons comment il a conçu ce poignant hommage aux mineurs.

Arbre généalogique des Rougon-Macquart, détail, 1878Lorsque le romancier s'attelle au sujet, en avril 1884, il a déjà 12 romans de la série Les Rougon-Macquart derrière lui. Imaginé dès 1868, ce cycle se veut la peinture de la société du Second Empire à travers les vies des descendants d'Adélaïde Fouque, dite Tante Dide. Mariée à Pierre Rougon dont elle aura un fils, elle est aussi à l'origine, à la suite d'une relation, de la branche Macquart.

En 1877 déjà, Zola a donné vie à Gervaise, la repasseuse de L'Assommoir, et à son fils Étienne Lantier, frère de la fameuse Nana. C'est donc désormais celui-ci qui devient le héros d'un roman. On l'accompagne à Montsou, un village qui vit de l'exploitation d'une fosse baptisée le Voreux. 

Isabelle Grégor

Le choix des corons

Constantin Meunier, Mineur devant la mine, s. d., Paris, Musée RodinGerminal est la seconde plongée de Zola dans le milieu ouvrier après le scandaleux Assommoir. Le romancier en a eu l'idée suite à sa rencontre avec Alfred Giard, député radical de Valenciennes, et à sa lecture de Sans Famille d'Hector Malot (1878) et du Grisou de Maurice Taylmer (1880).

« Exotisme », nature oppressante, métier dangereux... tous les ingrédients sont réunis pour un roman à la fois social et riche de rebondissements. Alors Zola n'hésite pas : fidèle à sa méthode de travail naturaliste, il s'ensevelit tout d'abord sous la documentation, en adoptant un plan très rigoureux : « lecture de livres techniques, visites aux hommes compétents, notes prises sur les lieux à décrire... » (Lettre à Van Santen Kolff).

Fosse Renard, située à Denain, vers 1900

Dans l'enfer de la mine

Affiche de la pièce Germinal au théâtre du Châtelet, 1890Son enquête est déjà bien avancée quand, en février 1884, de grandes grèves éclatent aux mines d'Anzin (Nord). Zola va passer une dizaine de jours dans la région, rencontrant responsables et ouvriers, entrant dans les maisons et bien sûr descendant au fond du « gouffre » : la fosse Renard. En compagnie d'un jeune ingénieur, il passe deux heures à plus de 600 mètres de profondeur, récoltant vocabulaire technique et impressions.

À son retour à Paris, il a dans ses « notes de Bazin » de quoi donner une belle « impression de réel » à ce milieu de la mine dont il ignorait tout quelques mois auparavant. Il a fait également des rencontres qui vont lui permettre de donner de l'épaisseur à ses personnages, comme le cabaretier Rasseneur ou les membres de la famille Maheu. Au travail ! Entre avril 1884 et janvier 1885, c'est-à-dire en moins d'un an, Zola va rédiger jour après jour les 500 pages et quelques du roman.

Celui-ci, selon la pratique de l'époque, paraît en premier lieu sous forme de feuilleton, du 26 novembre 1884 au 25 février 1885 dans un quotidien, le Gil Blas.

Le supplice

Constantin Meunier, Le Mineur, Douai, musée de la Chartreuse

Maheu, un des mineurs, s'acharne pour détacher des blocs de houille...« C'était Maheu qui souffrait le plus. En haut, la température montait jusqu'à trente-cinq degrés, l'air ne circulait pas, l'étouffement à la longue devenait mortel. Il avait dû, pour voir clair, fixer sa lampe à un clou, près de sa tête ; et cette lampe, qui chauffait son crâne, achevait de lui brûler le sang. Mais son supplice s'aggravait surtout de l'humidité. La roche, au-dessus de lui, à quelques centimètres de son visage, ruisselait d'eau, de grosses gouttes continues et rapides, tombant sur une sorte de rythme entêté, toujours à la même place.
Il avait beau tordre le cou, renverser la nuque : elles battaient sa face, s'écrasaient, claquaient sans relâche. Au bout d'un quart d'heure, il était trempé, couvert de sueur lui-même, fumant d'une chaude buée de lessive. Ce matin-là, une goutte, s'acharnant dans son oeil, le faisait jurer. Il ne voulait pas lâcher son havage, il donnait de grands coups, qui le secouaient violemment entre les deux roches, ainsi qu'un puceron pris entre deux feuillets d'un livre, sous la menace d'un aplatissement complet ».

 

François Bonhommé, Le Monde souterrain. Descente d'un cheval dans la mine. Le Creusot, 1866, Nancy-Jarville, musée de l'Histoire du Fer

Naturalisme et symbolisme

Plan des corons, notes préparatoires de Zola, 1884Germinal est le fruit des conceptions naturalistes de Zola : l'auteur souhaite que ses romans non seulement soient réalistes et donc fidèles à la réalité, mais aussi qu'ils soient une « enquête sur la nature, les êtres et les choses ».

Tels des documentaires, ils sont destinés à démontrer que l’hérédité et le milieu influencent directement le comportement et le devenir de chacun.

Constantin Meunier, Le Retour de la mine, avant 1905, Louvain, musée MIl faut faire œuvre scientifique, quitte à « donner des frissons » au lecteur en lui montrant le pire de l'homme : bassesse, trahison, lâcheté...

Mais Zola est aussi un écrivain qui sait manier la plume. Il joue sur la montée du suspense, mêlant dialogues et descriptions avec efficacité et surtout n'hésitant pas à faire appel à des images fortes, hyperboliques jusqu'à flirter avec le fantastique et le symbolique.

C'est ainsi qu'à grands renfort de métaphores, la fosse du Voreux se transforme en monstre ou en enfer tandis que les mineurs deviennent tour à tour fourmis et bêtes de somme.

Le procédé est utilisé jusque dans le titre : germinal, c'est le mois du printemps dans le calendrier révolutionnaire, c'est le printemps des peuples.

Comment Germinal est devenu Germinal

Manuscrit autographe de Germinal, 1884

Coup de Pioche, La Maison craque, Le Sang qui germe... On ne peut pas dire que Zola n'aura pas eu d'idées pour baptiser son œuvre ! Et puis un jour...
« Je cherchais un titre exprimant la poussée d’hommes nouveaux, l’effort que les travailleurs font, même inconsciemment, pour se dégager des ténèbres si durement laborieuses où ils s’agitent encore. Et c’est un jour, par hasard, que le mot Germinal m’est venu aux lèvres. Je n’en voulais pas d ‘abord, le trouvant trop mystique, trop symbolique; mais il représentait ce que je cherchais, un avril révolutionnaire, une envolée de la société caduque dans le printemps. Et, peu à peu, je m’y suis habitué, si bien que je n’ai jamais pu en trouver un autre. S’il reste obscur pour certain lecteurs, il est devenu pour moi comme un coup de soleil qui éclaire toute l’œuvre » (Lettre à Van Stanten Kolff, octobre 1889).

 

Un roman révolutionnaire ?

Annonce de la parution de Germinal dans le magazine Le Cri du peuple, 1885Avec L'Assommoir, Zola avait donné une image terrible du milieu ouvrier parisien, destiné à ne connaître que misère et alcoolisme. Sept ans plus tard, Germinal semble vouloir changer de cap en offrant aux mineurs le pouvoir de changer leur destin grâce à la grève. Il s'en explique dans ses notes préparatoires : « Le roman est le soulèvement des salariés, le coup d'épaule donné à la société, qui craque en un instant : en un mot la lutte du travail et du capital ».

Mais s'il se montre soucieux du sort des couches populaires, notre bourgeois Zola ne maîtrise finalement que très approximativement les concepts révolutionnaires de l'époque. Les discours de son anarchiste Souvarine et de ses socialistes Étienne et Rouvasseur ont été écrits à partir d'un ouvrage de synthèse parcouru rapidement. Il n'en demeure pas moins que, pour beaucoup, ce Germinal est le grand roman du peuple. D'ailleurs, lors des obsèques de l'écrivain, c'est au cri de « Germinal ! Germinal ! » que les mineurs de Denain, venus exprès à Paris, ont accompagné son cercueil.

«La vision rouge de la révolution »

Grève des mineurs du Pas-de-Calais, illustration pour Le Petit Journal, 1906, paris, BnF

La foule des mineurs, enragés de faim après deux mois de grève, se dirige vers le siège de la Compagnie...
« Les femmes avaient paru, près d'un millier de femmes, aux cheveux épars dépeignés par la course, aux guenilles montrant la peau nue, des nudités de femelles lasses d'enfanter des meurt-de-faim. Quelques-unes tenaient leur petit entre les bras, le soulevaient, l'agitaient, ainsi qu'un drapeau de deuil et de vengeance. D'autres, plus jeunes, avec des gorges gonflées de guerrières, brandissaient des bâtons ; tandis que les vieilles, affreuses, hurlaient si fort, que les cordes de leurs cous décharnés semblaient se rompre.
Et les hommes déboulèrent ensuite, deux mille furieux, des galibots, des haveurs, des raccommodeurs, une masse compacte qui roulait d'un seul bloc, serrée, confondue, au point qu'on ne distinguait ni les culottes déteintes ni les tricots de laine en loques, effacés dans la même uniformité terreuse. Les yeux brûlaient, on voyait seulement les trous des bouches noires, chantant La Marseillaise, dont les strophes se perdaient en un mugissement confus, accompagné par le claquement des sabots sur la terre dure. Au-dessus des têtes, parmi le hérissement des barres de fer, une hache passa, portée toute droite; et cette hache unique, qui était comme l'étendard de la bande, avait, dans le ciel clair, le profil aigu d'un couperet de guillotine ».

 

Roll, La Grève des mineurs, illustration parue dans Le Petit Journal, 1892

Publié ou mis à jour le : 2021-11-10 09:17:36

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