Langue française

Gare au terrifiant predicat-or !

21 janvier 2017 : nouvelle bataille de titans dans le microcosme français : l'enjeu est cette fois l'introduction d'un nouveau concept grammatical dans l'enseignement du français à l'école et au collège, le prédicat, qui vient en remplacement des COD (complément d'objet direct) et autre COI (complément d'objet indirect)... Notre collaboratrice Isabelle Grégor, qui enseigne le français au lycée, s'en est émue..

Qu'on se le dise ! Une fois encore, la langue française se doit de faire face à un terrible ennemi, sorti d'on ne sait où, et aussi nuisible que sournois : le predicator ! Sous le nom officiel de « prédicat », cette nouvelle entité est partie à l'assaut de nos programmes de grammaire et de nos chères têtes blondes.

Dans les classes, tout se complique. Dites : « Le chat a mangé la souris » et voilà vos élèves qui s'arrachent les cheveux sur une question désormais existentielle : « Quel prédicat le chat a-t-il mangé ? » Fini, les temps heureux où le fier Bescherelle nous donnait une réponse simple et rassurante : « Mais il a avalé le COD, très chère ! »

La leçon de grammaireTout cela est terminé, la souris peut continuer à ricaner, nos experts de l'éducation ont décidé d'inviter Aristote dans les écoles. Rien moins que cela. C'est en effet le philosophe grec, qui n'avait rien demandé, qui est appelé à la rescousse pour expliquer la victoire prochaine du prédicat sur le COD. On ne sait pas si Alexandre, qu'il a élevé, avait lui-même absorbé cette belle notion, mais nous n'allons pas y échapper.

Définissons donc l'ennemi : « La relation prédicative a été définie par Aristote comme une relation logique et sémantique dans le cadre restreint de l’analyse des assertions et des syllogismes » (document de l'Inspection pédagogique de Bordeaux). Vous ne trouvez pas cela très clair ? Les experts non plus, puisqu'ils donnent une autre définition : Prédicat = « ce qu'on dit du sujet » (programme du cycle 3). À ce niveau-là, on ne sait toujours pas quoi faire de notre souris.

Mais pourquoi, me direz-vous, avoir soudainement sorti ce prédicat du chapeau d'Aristote ? Tout cela part d'une bonne intention, avouée noir sur blanc dans les documents de travail : il faut sim-pli-fier ! On souhaite lutter contre « l'inflation terminologique » pour permettre « la mémorisation de règles et d'étiquettes grammaticales pour elles-mêmes (sic) » (document : Étude de la langue au collège&nbso;: quelles modifications terminologiques et pourquoi ?). On va donc sim-pli-fier en mettant tout dans le même panier : nos chers COD, COI et autres compléments sont d'un coup absorbés dans la grande famille prédicative. Prenons un exemple : « Le ministère donne du fil à retordre à ses enseignants ». Que dit-on du sujet, « le ministère » ? qu'il « donne du fil à retordre à ses enseignants » = prédicat. C'est simple, effectivement.
Trop.

Ce qui gêne dans la résurrection du prédicat, ce n'est pas la volonté louable d'aider nos enfants à comprendre quelque chose à la grammaire. Non, ce qui nous inquiète, c'est cette tendance générale à sim-pli-fier en dégraissant à grands coups de réformes, comme si les chers petits n'étaient plus capables d'assimiler ce que les générations précédentes avaient bien intégré. On en vient à se demander si nos dirigeants ne considèrent pas les générations montantes comme totalement stupides ! On leur en demande de moins en moins, on en attend de moins en moins.

Il faut dire que les élèves ont changé. Connaître par coeur ? Mission suicide pour la génération zapping qui est incapable de maintenir son attention sur un sujet plus de dix minutes. Construire une réflexion sur un sujet ? Vite, on file sur Wikipédia récupérer les analyses des autres pour faire un beau copier-coller. Ni vu ni connu, le devoir est fait et en plus on a la conscience tranquille.

Autant le savoir : la dissertation est actuellement en train d'agoniser. Encore quelques années et elle va disparaître, faute de volontaires pour la choisir au bac. C'est tellement plus facile de prendre l'écriture d'invention : un peu d'imagination et le tour est joué ! Et qu'importe si la copie est un champ miné de fautes, le futur bachelier pourra toujours évoquer la réforme de l'orthographe qui l'invite à sim-pli-fier.

Il est temps d'arrêter de s'aligner sur les élèves les moins bons, sous prétexte de ne pas les laisser sur place, et de permettre à chacun de faire preuve d'un peu d'ambition sans être traité d'égoïste. Tous les ans, les études internationales nous rappellent que nos potaches ne peuvent guère rivaliser avec leurs homologues étrangers. Le diktat du prédicat est une étape de plus dans une uniformisation des élèves, option nivellement vers le bas. Appréciation : « En baisse constante. Le plancher approche. Il faut vite se reprendre ! »

Isabelle Grégor
Publié ou mis à jour le : 2023-10-18 08:20:24

Voir les 19 commentaires sur cet article

Maxime Lefevre (09-02-2017 14:21:50)

Le prédicat est une catastrophe pour l'apprentissage des langues flexionnelles comme le latin ou l'allemand. Comment les élèves vont-ils être en mesure de faire la différence entre un accusatif e... Lire la suite

Jean-Claude LOPEZ (05-02-2017 11:45:59)

à quand l'utilisation du Karcher pour déloger les Diafoirus du Ministère? dégraisser le mmammmouth en commençant par la tête qui me semble être la partie la plus pourrie! foi d'ancien provise... Lire la suite

Epicure (04-02-2017 15:03:50)

Enseigner le vocabulaire linguistique à des ignares analphabètes est la plus hallucinante trouvaille de nos Zintellectuels de bazar produits par les 40 dernières années de l'Education Nationale. ... Lire la suite

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