Juillet 2005

France-États-Unis : les frères ennemis

Comment faut-il interpréter la vague de «french-bashing» qui sévit aux États-Unis depuis plusieurs années ? Est-elle seulement une réaction à l'antiaméricanisme gaulois ? James Day, professeur de littérature française à l'Université de Caroline du Sud, analyse pour nous le phénomène.

Comment faut-il interpréter la nouvelle vague de «french-bashing» (dénigrement des Français) que l'on observe aux États-Unis depuis quelques années ?

Certes, ce sport bien anglo-saxon et surtout américain trouve son pendant dans l'antiaméricanisme français. Bernard-Henri Lévy en fait l'aveu dans un article publié dans le New York Times en réponse à la publication d'un livre provocant.

Il s'agit de « Maudits Français! Trois siècles de relations tumultueuses entre la France et l'Amérique », par John J. Miller et Mark Molesky (éditions Saint-Simon, juin 2005, traduction de Laurent Bury). Le titre américain est encore plus agressif : «Our Oldest Enemy : A History of America's Disastrous Relationship with France» (Doubleday, October 5, 2004).

Bon nombre d'Américains de droite admirent dans ce livre le projet de démystifier le «mythe» de l'amitié franco-américaine qui existe depuis le soutien français offert aux insurgés à partir des premières années de la Révolution américaine.

Peu importe que le jeune marquis de La Fayette soit devenu un intime du général Washington, il faut croire que La France agissait tout simplement par intérêt, étant donné que l'adversaire des colons américains, la perfide Albion, était l'ennemi public numéro un de la France depuis plusieurs siècles.

Peu importe qu'en 1917, trois mois après l'entrée des États-Unis dans la Grande Guerre, le lieutenant-colonel Charles Stanton ait exprimé le sentiment d'une dette historique envers la France, s'exclamant devant la tombe de La Fayette et aux côtés du général Pershing, « La Fayette, we are here ! »

Les lecteurs qui trouvent leur bonheur dans «Maudits Français» peuvent savourer le portrait négatif d'une France qui, malgré la générosité américaine lors des guerres mondiales du vingtième siècle, a la perversité de refuser son soutien à certaines initiatives militaires de la seule super-puissance mondiale.

Dans cette perspective sur les «bons» et les «méchants», il vaut mieux éviter de poser certaines questions gênantes. Les États-Unis agissent-ils moins par intérêt que la France ou d'autres États? Le pays aurait-il abandonné son isolationnisme en 1917 et en 1941 s'il n'y avait eu le torpillage du Lusitania et le télégramme Zimmerman ou l'attaque de Pearl Harbor ?

En dernière analyse, le jugement de Stanley Hoffmann, spécialiste très réputé de la France aux États-Unis, est pertinent. Il estime que «Maudits Français» en dit beaucoup plus sur la nouvelle droite américaine que sur les relations franco-américaines.

Pourtant le french-bashing n'est nullement limité aux intellectuels qui lisent la National Review, revue de politique et organe conservateur pour laquelle John J. Miller écrit. La gallophobie s'est démocratisée, et pas pour le mieux comme l'atteste l'exploration de la Toile.

On peut imaginer que beaucoup d'Américains qui n'ont que du mépris pour la France n'ont pas lu les écrits, même en traduction, de Barthes, Bataille, Beauvoir, Bourdieu, Césaire, Cixous, Derrida, Fanon, Foucault, Genette, Girard, Irigaray, Kristeva, Lacan, Sartre, Senghor et tant d'autres penseurs francophones qui ont enrichi les débats intellectuels aux États-Unis au cours des dernières décennies.

L'explication selon laquelle il y aurait eu une sorte de colonisation intellectuelle des esprits américains n'est donc pas convaincante (de même, l'idée d'une progressive colonisation gastronomique de la France par le pays de la malbouffe est peu satisfaisante : on choisit ce qui nous plaît).

Pour expliquer les ressentiments de part et d'autre, ne pourrait-on pas proposer une hypothèse basée sur les nombreuses ressemblances entre les États-Unis et la France ?

Citons l'orgueil national, le sentiment d'une mission à accomplir ailleurs dans le monde (promouvoir soit la démocratisation, soit la civilisation), un attachement inébranlable à certains principes fondamentaux (la liberté de religion, la laïcité), un gouvernement républicain dont les racines remontent aux siècle des lumières.

Les deux pays seraient donc des frères ennemis qui, de par leur parenté, se trouvent dans un état de rivalité.

On pourrait trouver la confirmation de cette hypothèse dans des livres qui ont précédé «Maudits Français !» Raymonde Carroll a étudié les malentendus culturels entre Français et Américains avec un oeil d'anthropologue dans «Évidences invisibles» (Seuil, 1987).

Polly Platt a repris la question des présupposés culturels dans «French or Foe?» (Londres, Culture Crossings, 1994, traduction française: « Ils sont fous, ces Français », Bayard, 1997). On admirera le titre provocant de «Sixty Million Frenchmen Can't Be Wrong: Why We Love France but Not the French» de Jean-Benoît Nadeau et Julie Barlow (Sourcebooks, mai 2003).

Avant de faire un premier voyage dans un pays «exotique», un Américain ou un Français s'attend à rencontrer toutes sortes de curiosités culturelles. Mais le voyageur français ou américain qui visite le pays de l'autre ne s'attend pas forcément à faire face à des différences subtiles mais profondes qui finiront par le rendre dingue.

Le mot de Baudelaire pourrait sans doute trouver sa place dans bien des correspondances franco-américaines: «hypocrite lecteur, mon semblable, mon frère ».

James Day, professeur de littérature française Université de Caroline du Sud (États-Unis)
Publié ou mis à jour le : 2023-07-23 09:26:29

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