Poils et barbe

Des romantiques à notre époque, que d'histoires !

Douanier Rousseau, Les Joueurs de football (détail), 1908, New York, Solomon R. Guggenheim Museum

« La barbe d'Henri III en voiture à vapeur »

Il suffit de se transporter sur un champ de bataille napoléonien pour se rendre compte que, si le « petit caporal » n'aimait guère les systèmes pileux trop expansifs, il était moins regardant sur l'apparence de ses fidèles grognards.

Edouard Detaille, Hussard fumant la pipe, 1910, Tarbes, musée MasseyCe n'est pas le cas de Louis XVIII qui, restaurant l'ancienne mode monarchique, fit passer toute la cour chez le barbier.

Mais la révolte gronde... D'un côté voici les excentriques du style dandy qui arrive d'Angleterre dans les années 1830, de l'autre, quelques jeunes barbus romantiques qui traduisent leur rejet de la société bien-pensante par une apparence de forêt vierge.

Plus on avance dans le siècle, plus l'originalité pointe sous les nez et aux mentons.

« Il se fit une comme une irruption de barbares qui représentaient toutes les contrefaçons vivantes de l'homme des anciens jours, depuis Louis XV jusqu'à Clodion-le-Chevelu. Alors on put rencontrer la coiffure de saint Louis en omnibus, la barbe d'Henri III en voiture à vapeur et la chapeau du duc de Guise à l'estaminet » (Les Français peints par eux-mêmes, 1842).

Étienne Carjat, Caricature de Théophile Gautier, XIXe s., Paris, bibliothèque de l'InstitutL'écrivain Théophile Gautier, maître chevelu et fin observateur des modes, note l'évolution du phénomène : « [En 1830 on voyait] des moustaches civiles, et même quelques virgules à la Jules Mazarin. [A la première d'Hernani de Victor Hugo la même année] quelques-uns portaient de fines moustaches, et quelques autres des barbes entières, et cela seyait fort bien à leurs têtes spirituelles, hardies et fières, que les maîtres de la Renaissance eussent aimé à prendre pour modèles. [Quatre ans plus tard on remarque] des mines étranges et farouches, des moustaches en crocs, des royales pointues, des cheveux mérovingiens ou taillés en brosse » (Théophile Gautier, Histoire du romantisme, 1874).

La guerre des mentons trouve son aboutissement avec Napoléon III, doté de l'une des plus belles moustaches d’Europe.

Atelier Nadar, Portrait de Napoléon III, s. d.,Charenton-le-Pont, Médiathèque de l'Architecture et du Patrimoine

Oh ! Les belles bacchantes !

Atelier Nadar, Portrait de Victor Hugo, 1884, Charenton-le-Pont, Médiathèque de l'Architecture et du PatrimoineC'est le mentor du romantisme qui va redonner à la barbe sa fonction antique...

Parti en exil imberbe, Victor Hugo retrouve la France en 1870, désormais pourvu d'une belle toison qu'il aurait adoptée pour éviter les méchantes angines britanniques.

N'est-ce pas plutôt pour aller à l'encontre des ordres du ministre de l'Instruction, qui honnissait ce soi-disant symbole des Républicains et ne voulait plus voir un professeur barbu ? Ou voulait-il prouver la véracité de sa phrase : « Où réside la grandeur de l'homme ? Dans sa barbe, qui le relie aux forces de l'univers » ?

En tout cas, sa « barbe républicaine » lui donne une « face de lion » qui va participer à sa légende d’homme sage. Les grands-pères de l'époque suivent la mode, laissant aux plus jeunes le soin de domestiquer la moustache, censée rendre irrésistible son méticuleux propriétaire...

Camille Pissaro, Autoportrait, 1873, Paris, musée d’Orsay. (photo G. Grégor)À l'exemple de ce bourreau des cœurs qu'était Guy de Maupassant, l'homme de l'époque ne peut en effet envisager de conter fleurette sans cet ornement. Ne dit-on pas de quelque chose de décevant, de terne, que c'est « comme un baiser sans moustache » ?

Les bacchantes s'allongent donc, se garnissent, s'associent à des rouflaquettes pour plus d'effet. Tout le pays s'interroge sur la longueur idéale, sur l'inclination parfaite. L'affaire est en effet sérieuse, puisque les ministères eux-mêmes délibèrent sur l'intérêt pour militaires et gendarmes de s'affubler de ce nouvel élément de l'uniforme.

Le poil se fait aussi politique : aux ouvriers la moustache, aux bourgeois la barbe bien affûtée, aux contestataires la barbe mal dégrossie !

Quoi de plus terrifiant qu'un visage qui disparaît sous des poils ? Marx et Engels ne font pas peur à la bonne société uniquement à cause de leurs idées... La mode « patriarche » est d’ailleurs très présente du côté de la Russie où elle donne à l'histoire de la littérature de beaux portraits, avec certainement Léon Tolstoï comme grand gagnant de la plus belle barbe ! (...)

Giovanni Boldini, Robert de Montesquiou (détail), 1897, Paris, musée d'Orsay

Publié ou mis à jour le : 2020-05-06 10:32:46

Voir les 4 commentaires sur cet article

romain_42 (26-02-2017 11:55:15)

Le port de la barbe pourrait résulter de l'interdiction faite par le judaïsme porter une lame sur la peau du visage. Il s'agissait alors de se différencier des sociétés où l'on pratiquait des sc... Lire la suite

niki (30-12-2015 19:12:12)

voilà un article fort intéressant (je dirais "à tous crins", si cette expression n'était pas négative ;) )

Blanc (26-12-2015 18:27:34)

Odon Vallet a également consacré un article dans la revue Mots dans lequel il traite en particulier du lien entre le poil et la citoyenneté

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