L'Histoire s'écrit au présent. À chaque époque, nous regardons le passé avec nos préoccupations du moment et dans le souci de justifier nos orientations éthiques et politiques. Ainsi en est-il du regard porté sur la chute de l'empire romain.
Décadence? Vous avez dit décadence?
La chute de l'empire romain inspire les historiens depuis qu'en 1734, Charles de Montesquieu publia un premier essai : Considérations sur les causes de la grandeur des Romains et de leur décadence. Le philosophe analyse avec finesse l'évolution de Rome, la perte d'esprit civique dans les classes supérieures, le despotisme qui annihile l'esprit républicain, l'entretien de plus en plus coûteux de l'armée etc.
Une génération plus tard, dans une époque dominée par l'anticléricalisme militant, le voltairien Edward Gibbon montre moins de subtilité.
Envoyé par son père en Suisse pour le guérir de sa conversion au catholicisme, il revient à la religion anglicane et surtout acquiert une culture encyclopédique qui l'amène à écrire une monumentale histoire de Rome: Le déclin et la chute de l'Empire romain (1776). C'est une réflexion bien dans l'esprit du temps qui lui vaut un beau succès en librairie.
L'auteur fait porter la responsabilité du déclin de Rome sur le triomphe du christianisme et la diffusion du monachisme :
« On consacrait sans scrupule aux usages de la charité ou de la dévotion une grande partie des richesses du public et des particuliers ; et la paye des soldats était prodiguée à une multitude oisive des deux sexes, qui n'avait d'autres vertus que celles de l'abstinence et de la chasteté » (Histoire de la décadence et de la chute de l'empire romain, 1776).
Le XIXe siècle voit affleurer dans les milieux intellectuels et artistiques l'appréhension d'une décadence des mœurs. C'est ce que reflète en 1847 le succès de la grande toile de Thomas Couture : Les Romains de la décadence, saluée comme un chef-d’œuvre. Un cénacle littéraire est plus tard qualifié de Décadents (Octave Mirbeau, Jules Barbey d'Aurevilly, Auguste de Villiers de l'Isle-Adam...), dans un parallèle avec ces Romains de pacotille.
En 1919, après la Première Guerre mondiale, Paul Valéry écrit dans La Crise de l'Esprit :
« Nous autres, civilisations, nous savons maintenant que nous sommes mortelles. Nous avions entendu parler de mondes disparus tout entiers, d'empires coulés à pic avec tous leurs hommes et tous leurs engins ; descendus au fond inexplorable des siècles avec leurs dieux et leurs lois, leurs académies et leurs sciences pures et appliquées (...). Tout ne s'est pas perdu mais tout s'est senti périr. Un frisson extraordinaire a couru la moelle de l'Europe (...) », avec là aussi une référence implicite à Rome.
Trois ans plus tard, l'Allemand Oswald Spengler publie Le Déclin de l'Occident, une volumineuse réflexion d'actualité qui fait référence au sort tragique de l'empire romain et établit un parallèle avec le précédent conflit qui a brisé net l'essor de l'Europe...
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Nicolas (10-11-2014 16:50:52)
Ne perdons pas de vue ce que disait Toynbee sur la capacité à relever les défis de son temps. Est-ce que nous n'avons pas nous occidentaux à nous interroger sur notre mode de vie et notre capacitÃ... Lire la suite
Michel (24-10-2014 15:02:13)
Pour info : Arnold Toynbee est un grand historien britannique et pas américain.
Verdoux (21-10-2014 18:56:22)
je critique le terme d'invasion barbare. Par exemple en 378 les wisigoths étaient dans le territoire de l'empire et ce sont les conditions de vie dans lequel les maintenez les romains qui sera la cau... Lire la suite