Au début du XIVe siècle, le « beau Moyen Âge » (Jules Michelet) arrive sur sa fin. Les relations se tendent entre les États en gestation et la papauté qui, jusque-là, a couvert de son autorité morale les grandes entreprises collectives : domestication de la chevalerie, adoucissement des mœurs, urbanisation, érection des cathédrales, croisades…
Dans sa bulle Unam Sanctam, le 18 novembre 1302, Boniface VIII affirme : « Nous déclarons, nous proclamons, nous définissons qu'il est absolument nécessaire au salut que toute créature humaine soit sujette au Pontife Romain ». À commencer bien sûr par les empereurs, les rois et les princes.
Cette proclamation n’est pas du goût du roi de France Philippe le Bel. Le souverain de la principale puissance chrétienne de l’époque, s’oppose au pape Boniface VIII sur des questions de pouvoir et d’argent. Il est exaspéré par la gourmandise de l’Église en matière d’argent et voudrait en outre mettre la main sur le trésor des Templiers pour renflouer les finances de son royaume.
La crise va déstabiliser la papauté et plus gravement briser à terme l’unité de l’Église et le consensus autour de la foi et du dogme.
« D’un soufflet. L’insolent en eût perdu la vie... »
Corneille n’est pas encore né, loin de là, lorsque Guillaume de Nogaret, l’envoyé du roi de France, tente d’arrêter le pape Boniface VIII dans sa résidence d’Anagni, au sud de Rome, le 8 septembre 1303. À cette occasion, Guillaume de Nogaret ou l’un de ses sbires a-t-il souffleté le pontife ? Aucun témoignage ne l’indique.
La tentative d’arrestation échoue sous la pression populaire. En revanche, et là c’est un fait, l’humiliation a précipité la mort du vieux grigou – voir son portrait dans l’Enfer de Dante -, un mois plus tard, à Rome. Fin du premier acte.
Pour le deuxième acte, changement de personnages et surtout de décor. Un Français, Bertrand de Got, est élu pape en 1305, et prend le nom de Clément V. La recherche d’un compromis avec Philippe le Bel en est facilitée. Le nouveau pontife lui abandonne les Templiers, qui vont être arrêtés et jugés pour les pires crimes (imaginaires), tandis que leur biens sont saisis. En revanche, il refuse le procès posthume et la condamnation de son prédécesseur.
Se pose alors le problème de sa résidence. Les cités italiennes sont elles aussi en révolte contre les prétentions du pouvoir spirituel et temporel des papes. À la recherche d’un peu de quiétude et de sérénité, Clément V décide en 1309 de s’installer d’abord dans le Comtat Venaissin, terre pontificale, puis dans la cité d’Avignon, possession de son vassal le roi de Naples, située en terre d’Empire. Seul le Rhône le sépare dès lors du royaume de France et donc du souverain dont il fut l’un des sujets.
Les délices d’Avignon
Ce transfert, envisagé à l’origine comme provisoire, durera deux-tiers de siècle. La cause en est l’instabilité de la situation italienne mais aussi l’influence française, qui trouve alors à s’affermir par la création de nouveau cardinaux, et par un népotisme effréné (*). Pour autant, la papauté se réorganise et développe son administration. À côté d’opérations somptuaires, comme la construction du palais forteresse adossé au Rocher des Doms, les différents organes du gouvernement de l’Église se renforcent.
La Chancellerie apostolique, sorte de ministère des finances, draine des sommes considérables (tributs et bénéfices ecclésiastiques de toutes sortes), qui servent à l’entretien d’une cour fastueuse et au financement des campagnes destinées à pacifier les États pontificaux en vue d’un retour à Rome. La Pénitencerie et le tribunal de la Rote jugent les péchés et les causes les plus importantes. Et l’Aumônerie distribue de la nourriture et de l’argent aux clercs et aux nécessiteux. Tout cela dans une atmosphère émolliente, davantage propice à la débauche qu’à la mortification.
Au milieu du XIVe siècle, la Grande Peste tue un bon tiers de la population de l’Europe. Une succession de conflits entre Français et Anglais va s’étirer sur une centaine d’années et entraîner ravages et destructions. Les villes italiennes continuent à se battre pour étendre leur emprise territoriale et politique.
De Rome et d’Italie, des voix s’élèvent pour exiger la fin de la « captivité de Babylone » et le retour du pape dans la ville de Pierre.
En particulier celles des mystiques Brigitte de Suède (1303-1373) et Catherine de Sienne (1347-1380) mais aussi du poète Pétrarque (1304-1374).
Après une tentative infructueuse d’Urbain V en 1367, c’est Grégoire XI qui ramène la tête de l’Église sur les bords du Tibre en 1377.
À sa mort, les Romains exigent l’élection d’un Italien pour lui succéder.
C’est chose faite avec Bartolomeo Prignano, qui prend le nom d’Urbain VI. Le mauvais caractère du pape et les jeux d’influence de la cour de France lui aliènent toutefois en quelques semaines le soutien des cardinaux français.
Ils déclarent son élection irrégulière et désignent pour le remplacer un cousin du roi de France, Robert de Genève (36 ans). Il prend le nom de Clément VI et regagne Avignon.
Du Grand Schisme au raffermissement de l’autorité pontificale
C’est le début du Grand Schisme d’Occident, l’une des plus graves crises de l’histoire de l’Église, qui va durer quarante ans. Pendant toutes ces années, les souverains européens, les épiscopats et les ordres religieux se partagent entre les partisans d’Urbain VI et de Clément VII, puis de leurs successeurs respectifs.
Pour sortir de cette situation désastreuse qui divise le meilleur de l’Église, les cardinaux des deux partis convoquent un concile général à Pise en 1409. Ils pensent pouvoir déposer Grégoire XII à Rome, et Benoît XIII à Avignon, et les remplacer par l’archevêque de Milan Alexandre V. Mais ils échouent et l’Église se trouve avec trois papes à sa tête !
L’héritier de l’Empire de Germanie, Sigismond, finit par débloquer la situation. Il impose la convocation d’un nouveau concile à Constance, en 1414. Des docteurs, représentant l’Université, se joignent pour l’occasion aux évêques et aux abbés. L’un des papes abdique, les deux autres sont déposés, et les pères conciliaires gouvernent l’Église pendant la vacance du trône pontifical. Un décret publié en 1415, Haec sancta, impose même le concile comme autorité suprême dans l’Église, placée au-dessus du pape et fonctionnant comme instance de contrôle. Des conciles devront se réunir tous les dix ans pour traiter des affaires de l’Église. Une nouvelle ecclésiologie, conciliaire et non plus papale, semble se mettre en place.
Le 11 novembre 1417, fête de la saint Martin, est élu un nouveau pape qui prend le nom de Martin V. La joie de l’unité retrouvée est de courte durée. Très vite, Martin V rejette la doctrine conciliaire que lui-même et ses successeurs s’emploient à défaire. En 1450, les foules qui se pressent à Rome pour le jubilé consacrent la victoire de la papauté et la restauration de l’autorité pontificale.
L’Église vient de manquer un tournant qui aurait peut-être changé son destin. Le premier ennemi de Luther et de la Réforme protestante sera, un siècle plus tard, l’autoritarisme romain.
Brève histoire de la papauté
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