Histoire du terrorisme

De l'Antiquité à Daech

13 novembre 2015 : la série d’attentats de ces derniers mois en France et en Belgique aurait tendance à faire du terrorisme une caractéristique de nos sociétés. Rien ne serait plus faux que de laisser accroire cette idée comme le démontre la passionnante Histoire du terrorisme de l’Antiquité à Daech (Fayard, 2016) placée sous la direction de Gérard Chaliand et Arnaud Blin et réunissant les meilleurs spécialistes de la question.

Histoire du terrorismeCet ouvrage a déjà été publié en 2004 sous le titre Histoire du terrorisme de l'Antiquité à Al-Qaïda (Bayard, 660 pages). Accessible à tous, il montre que rares ont été les périodes et les régions du monde qui ont été épargnées par ce fléau barbare. Avec pertinence, il met en lumière les nombreuses constantes de cette forme de guerre lâche et sournoise au fil du temps…

Par une troublante coïncidence de l’Histoire, c’est au Moyen-Orient que l’on détecte les premières formes de terrorisme organisé, en Palestine, au 1er siècle de notre ère. La secte des Zélotes se rebelle contre Rome. En l’an 6, elle veut conquérir son indépendance et organise des émeutes. La répression romaine est impitoyable. Deux mille Zélotes sont crucifiés pour faire un exemple.

« Cette action avait pour but d’infliger un choc psychologique tel sur les populations qu’elles seraient dissuadées de continuer la révolte. Ce fut le premier usage de la terreur dans cette guerre qui dura plusieurs décennies », notent les auteurs.

L’effroi, les Zélotes aussi le répandirent en égorgeant leurs victimes au milieu de la foule, sur les marchés. Ce conflit qui prit des allures de guérilla mit à jour un autre ressort du terrorisme qui perdure jusqu’à nos jours : l’indissociabilité des objectifs politiques et religieux des activistes. Les Zélotes menaient une guerre de libération contre les Romains mais aussi un combat religieux, y compris contre ceux de leur secte qu’ils jugeaient trop modérés.

La cruauté de Tamerlan

Au Moyen Âge, la secte des Assassins qui s’établit en Iran et en Syrie est la branche armée du mouvement ismaélien, courant minoritaire de l’islam chiite, basé sur le respect de la tradition. Selon les auteurs, elle témoigne de la singularité de l’islam qui « parmi les grandes religions monothéistes-universalistes est celle qui a su le mieux intégrer dans la même structure les problèmes strictement théologiques aux considérations d’ordre politique » contrairement au christianisme « qui a toujours été concerné en priorité par les problèmes théologiques ».

Une observation qui permet de mieux comprendre aujourd’hui la société musulmane et les visées des terroristes islamistes. La secte des Assassins a donc combiné mission religieuse et ambition politique sous la houlette de son chef Hasan. Elle n’hésita pas à employer la terreur pour tenter de s’imposer en s’assurant le soutien des populations rurales et pauvres. « En cela, sa stratégie fut identique à celle que pratiqueront les divers mouvements révolutionnaires au XXème siècle », constatent les auteurs.

Quant aux méthodes, elles relevaient de l’assassinat politique. Celui du grand vizir des Turcs seldjoukides Nizâm al-Mulk « constitua l’un des plus grands attentats terroristes de tous les temps et qui eut à l’époque, un retentissement au moins égal à celui que connurent l’assassinat de l’archiduc d’Autriche ou les attentats du 11 septembre 2001 dans le monde contemporain ».

Le terrorisme est aussi pratiqué par les guerriers nomades afin de compenser leur infériorité numérique par rapport aux peuples qu’ils conquièrent. L’effet de surprise et l’effroi qu’ils suscitent constituent leurs principaux atouts. À la tête des Mongols, Gengis Khan incarne cette oppression. Mais c’est Tamerlan qui bat les records de cruauté. Une fois terminé le pillage de la ville à laquelle il s’est attaqué, il fait élever des pyramides de têtes décapitées. Avis aux cités qui veulent lui résister !

Épargnée jusque-là par le terrorisme, l’Europe occidentale en est victime pour la première fois lors de la guerre de Trente ans au XVIIe siècle. La guerre n’est plus empreinte de la culture chevaleresque qui avait cours auparavant. Elle donne lieu à des massacres gratuits. Lorsque le marquis de Sourdis, aux ordres de Richelieu, s’empare de la ville lorraine de Châtillon-sur Saône, une grande partie des prisonniers sont pendus et laissés au bout de leur corde pour impressionner le reste de la région.

La France invente la Terreur moderne

C’est la France, pendant la Révolution, qui invente ce que les auteurs appellent la « terreur moderne », c’est-à-dire, le terrorisme d’État, durant les années 1793-1794, « préfigurant une pratique qui va se développer considérablement au XXe siècle avec l’avènement des totalitarismes et de la violence à grande échelle ».

Pour l’expliquer, les auteurs reprennent à leur compte, le sens que lui donne l’historien Patrice Gueniffey, à savoir « le produit de la dynamique révolutionnaire ». Selon eux, « la Terreur constitue à la fois l’acte fondateur de la terreur moderne et le modèle à partir duquel se définit et se comprend l’usage stratégique de la violence par l’appareil d’État ».

Elle devient alors la politique de la Révolution avec ce paradoxe que l’injustice qu’elle représente - puisqu’elle frappe à l’aveugle sans rationalité et au gré de ses exécutants notamment en province -, est souvent utilisée par des régimes qui prônent l’égalité. Mais on aurait tort d’oublier que la guerre est souvent à la source de la terreur de l’État révolutionnaire car elle permet de « légitimer » la lutte contre l’ennemi de l’intérieur.

Ce terrorisme moderne se distingue également de ses prédécesseurs en ce qu’il n’est plus religieux. Au XIXe siècle, il relève de groupes qui participent de divers courants (anarchistes, nihilistes, populistes, marxistes, fascistes, racistes). Le nihilisme et le populisme produisent le terrorisme russe face au régime tsariste. Ces groupes d’activistes mettent au point une véritable organisation, certains d’entre eux votent sur la nécessité ou non d’utiliser la violence.

Autre caractéristique du terrorisme en Russie : la forte participation des femmes. En France, c’est plutôt l’action individuelle qui prime à la fin du XIXe siècle avec les anarchistes contre « les bourgeois ». Alors que l’on se plaint aujourd’hui de vivre sous la pression des attentats, ce livre rappelle que de 1892 à 1894, « la population française vécut dans une véritable psychose de l’attentat » à tel point que les journaux de l’époque créèrent une rubrique permanente « La dynamite ».

Les attentats de Ravachol, d’Auguste Vaillant au Palais-Bourbon et de leurs émules plongent le pays dans une vague terroriste sans précédent en période de paix civile. Des journaux anarchistes vont jusqu’à produire des guides pratiques de fabrication d’engins explosifs… un peu comme aujourd’hui des sites sur Internet.

Des anarchistes espagnols et italiens firent également couler le sang dans leurs pays. À partir du début du XXe siècle, le terrorisme sévit en Irlande dans le cadre d’un mouvement nationaliste, également en Inde, colonie britannique, dans une sorte de préfiguration de la lutte pour la libération nationale. L’empire ottoman est frappé par les exactions des Arméniens et des Macédoniens.

La Terreur rouge

Lors de la Révolution russe, c’est un terrorisme d’État qui s’installe avec Lénine puis Staline. Le premier condamnait le terrorisme individuel, inefficace à son avis, mais après avoir pris le pouvoir il fonda la Tchéka, police politique soviétique chargée de combattre les agents de la contre-révolution, l’un des outils de la « terreur de masse » du nouveau régime.

« Dès l’instauration du régime de terreur en septembre 1918, on trouve déjà la plupart des éléments qui vont caractériser non seulement la terreur pratiquée par Lénine –puis avec une tout autre intensité par Staline-, mais celle que vont pratiquer d’autres régimes politiques se revendiquant héritiers du marxisme-léninisme dont la Chine de Mao Zedong, le Cambodge de Pol Pot ou plus récemment la Corée du nord », constatent les auteurs.

Cette « terreur rouge » à grande échelle les amène à un constat : « Le terrorisme d’État, c’est-à-dire du fort au faible, et le terrorisme du faible au fort ont de nombreux points communs ». À commencer par la propagation « d’un sentiment d’insécurité générale qui doit pouvoir atteindre n’importe qui, n’importe quand (…). C’est cette psychose généralisée que cherche le terroriste, qu’il soit au pouvoir ou qu’il le combatte. Seule différence : le terrorisme contre l’Etat cherche à déstabiliser le pouvoir, alors que le terrorisme d’État cherche au contraire à le stabiliser (tout en déstabilisant la population). »

Al Qaïda et Daech

Dans la deuxième partie du XXe siècle, le terrorisme devient une arme pour les forces de libération des pays colonisés. La France en fera notamment l’expérience lors de la guerre d’Algérie. Le conflit israélo-palestinien produit également un terrorisme qui place cette partie du monde sur une poudrière.

En Europe, l’Italie est frappée par des attentats issus de l’extrême-gauche qui lutte « contre le système impérialiste » à l’initiative des Brigades rouges, auxquels répliquent ceux de l’extrême-droite. En Allemagne sévit la bande à Baader.

Mais ce qui marque surtout l’époque contemporaine, c’est l’émergence spectaculaire du terrorisme islamique avec Al Qaïda et Daech, d’inspiration salafiste. Les auteurs expliquent qu’il s’agit pour ces fanatiques de « justifier le passage à une violence politique transnationale, considérée comme le seul mode d’action possible pour restaurer le califat (symbiose du politique et du religieux) et réunifier l’oumma (communauté musulmane) » à partir de « la relecture tronquée et réductrice de l’islam par des exégètes rigoristes et marginaux ».

Ces chapitres consacrés à ce retour au terrorisme religieux et politique aux multiples visages, rédigés avec érudition mais aussi clarté, sont certainement parmi les plus intéressants de l’ouvrage car ils éclairent avec rigueur et précision le fonctionnement des groupes islamistes qui constituent aujourd’hui la principale menace internationale.

Ce livre, qui recense également un grand nombre de discours et de manifestes émanant de ces fanatiques de tous horizons, a l’énorme mérite de nous rappeler que le terrorisme, loin d’être un phénomène actuel, a toujours émaillé de manière sanglante l’histoire des hommes même s’il n’a jamais triomphé.

Jean-Pierre Bédéï
Publié ou mis à jour le : 2019-04-30 08:20:19

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