Éducation nationale

Culture générale ou professionnalisation précoce ?

15 mars 2020. « La véritable école du commandement est celle de la culture générale. Par elle, la pensée est mise à même de s'exercer avec ordre, de discerner dans les choses l'essentiel de l'accessoire, (...) de s'élever à ce degré où les ensembles apparaissent sans préjudice des nuances. Pas un illustre capitaine qui n'eût le goût et le sentiment du patrimoine et de l'esprit humain. Au fond des victoires d'Alexandre, on retrouve toujours Aristote... » (Charles de Gaulle, Vers l'Armée de métier, dernier chapitre (Commandement), 1934).

Depuis l’entrée de notre pays dans le chômage de masse, l'Éducation nationale a perdu de vue sa mission première : former des citoyen(ne)s. L’école pour s'épanouir et se cultiver, développer sa curiosité et la combler par la lecture ? Non ! L’école pour avoir un métier : savoir déchiffrer des instructions écrites, enregistrer des consignes orales, éventuellement faire des additions et des soustractions (note). Voilà ce qui importe à la grande masse des jeunes voués à des métiers d'exécution  (note).

Cette professionnalisation précoce a conduit à délaisser les enseignements fondamentaux : langue française écrite et parlée ; mathématiques ; sciences naturelles et histoire-géographie ; apprentissages artistiques et manuels. En contrepartie, on a multiplié les enseignements de circonstance et même introduit l’initiation à l’anglais d'aéroport (globish) dès l’école primaire, pas par amour de la littérature et du théâtre anglais mais dans l'espoir que les élèves assurent ainsi leur avenir dans la start-up nation dont rêve notre président.

Et tant pis s'ils n’ont jamais entendu parler de Platon, Michel-Ange et Diderot. Tant pis s'ils n'ont aucune appétence pour les livres et la lecture. Ils pourront toujours se renseigner sur wikipedia et obtenir les réponses à leurs problèmes de maths sur Chatgpt. Quant à la culture, il y a Netflix pour ça. Et pour les contacts sociaux, il reste Tiktok...

Dans les faits, personne n’est en mesure de prédire quelles seront les compétences professionnelles requises sur le « marché du travail » dans les trente prochaines années.

Dans les années 1970, au début de l’ère informatique, on croyait utile d’enseigner aux futurs ingénieurs la programmation en Fortran, le langage informatique alors à la mode. L’exercice était divertissant mais il s’est révélé totalement inutile, le Fortran ayant été très vite supplanté par d’autres langages de programmation. Aujourd’hui, de savants experts envisagent d’apprendre aux écoliers la maîtrise du clavier informatique. Les cher petits seront ravis et auront l’impression d’être des Steve Jobs en puissance... Mais dans quelques années, les claviers auront peut-être été complètement remplacés par les commandes vocales ou autre chose…

Il n’est même pas sûr que baragouiner l’anglais (note) soit d’une grande utilité personnelle dans la décennie qui vient, car les traducteurs vocaux intégrés aux portables rendent déjà inutile la pratique d'une langue étrangère en-dehors de motifs culturels (note).

De fait, les jeunes diplômés, sitôt qu’ils entrent dans une entreprise, constatent que les connaissances acquises à l’université ou dans les grandes écoles d’ingénieurs ne leur sont d’aucune utilité. C’est sur le tas, en se confrontant aux réalités, qu’ils apprennent leur métier et les bonnes pratiques. Les seules exceptions concernent les formations professionnalisantes comme les facultés de médecine et les établissements professionnels qui associent étroitement l’enseignement théorique aux stages de terrain.

Ce qui est le plus utile à ces jeunes actifs n'est pas la masse de connaissances qu'ils ont ou non ingurgitées dans leur parcours scolaire mais les qualités qu'ils ont mises en oeuvre et développées pour ingurgiter ces connaissances et obtenir leur diplôme. C'est la capacité de se concentrer sur un sujet (tout le contraire de Tiktok), la faculté d'assimiler des livres rapidement (tout le contraire des réseaux sociaux), enfin la volonté de travailler et même de souffrir pour atteindre le but fixé (tout le contraire des séries soporifiques).

Ces qualités tiennent aux aptitudes des élèves mais aussi à leur culture générale tant vantée par Charles de Gaulle (voir plus haut). Vous sortez de Polytechnique ? On en conclut que vous avez sué sang et eau pour gagner de haute lutte votre entrée à l’X ; votre réussite au concours témoigne d’un bel esprit de compétition et d’indéniables qualités mentales (concentration, mémoire, esprit de synthèse, etc.) ; autant de qualités qui vont vous permettre d’assimiler très vite votre métier quel qu’il soit.

Ces qualités valent pour le futur énarque, le futur ingénieur, le futur médecin comme pour le futur artisan, cuisinier ou outilleur... Dans tous les cas, les entreprises ne sélectionnent pas leurs recrues sur la base de leurs connaissances, encore moins de leur savoir-faire, mais sur les qualités intrinsèques dont atteste leur parcours scolaire.

La culture générale, garante d’un enseignement démocratique

On a cru démocratiser l’accès au savoir en évacuant les enseignements assimilés à une culture bourgeoise et élitiste. On a renoncé à la récitation et à la chronologie au primaire ; on a délaissé la lecture des grandes œuvres classiques au collège.

Au lycée, le nouveau bac de français réduit la richesse de toute notre littérature à seulement quatre œuvres. Tant pis pour Beaumarchais, Éluard ou même Sartre qui n'auront pas eu la chance d'être sélectionnés par le ministère ! Les élèves n'en auront jamais entendu parlé, mais réjouissons-nous : ils connaîtront par cœur les sources du comique dans Le Malade imaginaire ou la déconstruction du sonnet chez Rimbaud. En série générale, seuls les élèves les plus scolaires, ou ceux qui ont la meilleure mémoire, seront capables de « disserter » sur un livre étudié en classe, c'est-à-dire de ressortir leur cours. Les autres se jetteront le jour venu sur le commentaire d'un texte inconnu, vouant à tout jamais son auteur aux gémonies. Et se jurant bien sûr ne plus ouvrir un livre de leur vie (note).

En définitive, au prétexte de gommer les inégalités sociales, on renforce celles-ci car les rejetons des milieux cultivés, nourris dès l’enfance de livres et de conversations, arrivent aux concours et examens du supérieur bien mieux armés que leurs camarades des milieux populaires qui n’ont connu rien d’autre que la culture MacDo-Youtube-Facebook. Ces enfants de la bourgeoisie  n’ont pas de mal à accéder aux grandes écoles et aux facultés de médecine. Rien d’étonnant à ce que Polytechnique et Normale Sup et l’ENA ne recrutent pratiquement plus que dans les familles d’anciens élèves et de cadres et enseignants parisiens.

Il est permis de rêver à un changement de perspective avec le renforcement au primaire et au collège de tout ce qui tourne autour de la langue et de la littérature. Il s’agit que les enfants retrouvent le goût de la lecture et des vrais livres, dussions-nous pour cela restreindre l’usage de mobiles et la consultation des réseaux sociaux jusqu’à l’entrée au collège comme le suggère l’historien Emmanuel Todd (Les Luttes de classes en France au XXIe siècle, Seuil, 2020).

Le lycée deviendra ou redeviendra alors un lieu d’épanouissement intellectuel où les élèves de toutes origines pourront s’élever avec leur professeur à la découverte des beautés de la littérature et des sciences.

Isabelle Grégor et André Larané
Publié ou mis à jour le : 2023-12-09 14:47:15

Voir les 10 commentaires sur cet article

Foucart (24-04-2020 15:08:01)

Votre article n'apporte rien de nouveau. Le problème n'est pas de revenir à l'acquisition de la culture, de l'esprit critique, de la raison. On le sait depuis longtemps. Vous expliquez qu'actuelleme... Lire la suite

Corinne (10-04-2020 10:31:37)

Bonjour, Votre article parle de professionnalisation précoce au détriment de l'enseignement des matières fondamentales. Or, nous manquons d'artisans, d'ouvriers, et plus généralement de main-d'... Lire la suite

Jean (01-04-2020 19:51:46)

Les deux mon Général ! S'il y a Aristote dans Alexandre, il n'y a pas que cela. De la même façon, gloire à la culture générale "à la française" mais n'en restons pas là. Incluons y aussi, le... Lire la suite

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