Conquête spatiale

Comment la France s'est hissée sur le podium

Pure chimère au début de la Seconde Guerre mondiale, la conquête spatiale est devenue possible grâce aux travaux des Allemands avant de prendre forme dès 1945 avec les Américains et les Soviétiques. La France, soucieuse de son rang, a réussi à se hisser sur le podium aux côtés des deux Supergrands de l'après-guerre. En ce XXIe siècle, le Japon, la Chine ou encore l'Inde, entrent à leur tour dans la course à l'espace.

Retour sur les débuts d'une incroyable épopée...

Vanessa Moley

L’espace, nouveau champ de bataille

Avant l’effondrement du IIIe Reich, les scientifiques allemands ont mis au point le terrifiant V2. En dépit de son caractère rudimentaire et instable, ce « missile balistique autopropulsé » sera le modèle de toutes les fusées mises au point par la suite, y compris celle qui emmènera les premiers hommes sur la Lune, le 20 juillet 1969...

Lancement d'un V2 de White Sands par l'armée américaine, entre 1946 et 1952, NASA, DR.Sitôt achevée la Seconde Guerre mondiale, les puissances qui ont terrassé l’Allemagne nazie font main basse sur toute la technologie allemande. Dans les ruines du « Reich millénaire », Américains et Soviétiques engagent un contre-la-montre pour récupérer un maximum de documents et retrouver les équipes qui ont mis au point le V2 qui sera la première fusée à usage militaire. La rivalité entre grandes puissances va désormais se jouer dans une nouvelle dimension, inédite dans l’histoire humaine : l’espace.

En France, les acteurs sont divisés. À la fin de la Seconde Guerre mondiale, certains militaires se montrent d’emblée enthousiastes. Leur noyau dur se trouve parmi les membres du Comité d’action scientifique de la Défense nationale (CASDN). Créé dès 1948, cet organisme a pour but de moderniser les armées en facilitant la coopération avec les scientifiques.

Lancement de la capsule Mercury Freedom 7, le 7 mai 1961, NASA, DR.Ses dirigeants sont bien conscients que les États-Unis et l’Union soviétique sont déjà engagés dans une course pour faire de l’espace un nouvel outil de puissance. Ils veulent absolument éviter un tête-à-tête auquel la France ne pourrait pas participer, faute d’avoir su mobiliser ses forces scientifiques.

Cette ambition portée par le CASDN ne recueille pourtant pas l’assentiment général. Elle ne suscite que perplexité ou embarras parmi les états-majors militaires et les dirigeants politiques. Quant aux scientifiques, ils ne cachent pas leurs réticences. À leurs yeux, les fusées sont des armes de destruction massives, voire « terroristes », et ils ne veulent en aucun cas y voir un outil scientifique.

Le renfort viendra d’outre-Atlantique. Aux États-Unis, en 1957, une poignée de spécialistes lance le projet de l’Année géophysique internationale (AGI). Son objectif : explorer la haute atmosphère, y compris avec des fusées. Il n’est pas encore question de « conquête de l’espace » et les commentateurs de l’époque comparent l’AGI aux grandes expéditions polaires qui ont marqué le début du XXe siècle. Tout au plus note-t-on le changement de perspective : désormais, il s’agira d’explorer la Terre à « la verticale » plutôt qu’à « l’horizontale ».

Hammaguir, le 23 février 1960, l’équipe d’Étienne et Arlette Vassy, du Laboratoire de physique de la faculté des Sciences de Paris, avec ses instruments de mesure et d’observation, avant le lancement de la fusée Véronique. L'agrandissement montre la fusée Véronique avant son lancement, archives Médihal, DR.

Une France timorée

C’est un physicien français, Étienne Vassy, qui va faire bouger les lignes dans l’Hexagone. Il se fait remarquer en proposant l’emploi de fusées afin de sonder les couches atmosphériques inaccessibles aux ballons traditionnels.

De gauche à droite : Alexandre Dauvillier, Adolphe Lutz, Etienne Vassy sur le site de l'Observatoire du Pic du midi. L'agrandissement est une photographie d'Etienne Vassy, seul, sur le Pic du Midi, 1943, archives, Médihal, DR.  L’idée séduit les militaires du Comité d’action scientifique de la Défense nationale. Son président, le général Maurice Guérin, apporte son soutien à Étienne Vassy en lui permettant d’acquérir quinze « Véronique », de petites fusées-sondes. En 1954, le physicien pourra ainsi mener deux séries d’expériences dans la haute atmosphère. Bien que couronnées de succès, ces expérimentations ne rencontrent que l’incrédulité de ses confrères. Les haut-gradés militaires continuent à ignorer la question de sorte que le CASDN doit continuer à supporter seul le coût du financement des recherches sur les fusées.

Sans le vouloir, l'Union soviétique va remettre au centre de l'attention les recherches de Vassy. Le 4 octobre 1957, elle place en effet en orbite Spoutnik-1. C’est le premier satellite artificiel de l’histoire. Le monde occidental est sous le choc.

Un mois plus tard, le 3 novembre, les Russes frappent à nouveau un grand coup en mettant cette fois en orbite un animal vivant, la chienne Laïka, avec Spoutnik-2.

Les États-Unis et les autres puissances occidentales sont piqués au vif. La course à l’espace est définitivement lancée et prend le pas sur toute autre priorité. Militaires et scientifiques se mobilisent et disposeront désormais de tous les moyens.

Un autre obstacle freine la France. Durant les années 50, ses élites politiques, militaires et scientifiques concentrent leur attention sur la crise algérienne, si aiguë qu’elle finit par paralyser la IVe République. Ce sont les militaires qui débloqueront la situation. Une première avancée sera faite par le président du CASDN.

Le 23 janvier 1958, le général Guérin propose en effet la création d’un Institut de la haute atmosphère, un organisme chargé de toutes les activités scientifiques et militaires concernant le domaine spatial. Mais là encore, le projet rencontre l’hostilité d’un certain nombre de scientifiques qui redoutent la tutelle de l’armée.

Le Centre spatial de Toulouse, fondé en mars 1968, est le fruit de la décentralisation voulu par le général de Gaulle. Le siège social du CNES fondé en 1961 se situe à Paris (Ier arr.) La Direction technique et scientifique (qui dirige les programmes spatiaux) s’installe au Centre spatial de Brétigny (CSB).

Le général de Gaulle met la France en orbite

Le déblocage viendra du sommet de l’État, avec l’arrivée au pouvoir du général de Gaulle en juin 1958. Il sait qu’il faut agir vite pour éviter à la France d’être reléguée à une puissance de second rang. C’est alors que le général Guérin en profite pour ressortir son projet de janvier 1958 sous le nom de Haut-Commissariat à l’espace. Toutefois, le nouveau président n’ose pas encore appuyer le projet, de crainte de heurter les autorités scientifiques. Deux ans seront encore nécessaires pour qu’il franchisse le pas.

Le 19 décembre 1961, le général de Gaulle dote enfin la France d’un outil au service d’une politique spatiale nationale : le Centre national des études spatiales (CNES). Cette structure aura pour mission de centraliser l’ensemble des activités françaises liées à la conquête de l’espace… qui sort enfin du domaine de la science-fiction. Mieux : elle focalise désormais l’attention et le soutien des scientifiques, des militaires et des politiques.

Passée largement inaperçu à l’époque, cet événement marque pourtant un tournant. Désormais, la France veut être une puissance spatiale et, pour ce faire, se dote d’outils capables de favoriser le développement d’une industrie appropriée. Le pouvoir politique se veut le catalyseur de cette volonté puisqu’il incite tous les acteurs, scientifiques, militaires et industriels, à s’investir dans ce domaine.

Le quotidien La Montagne narrant l'exploit de YouriGagarine. L'agrandissement montre le président Vladimir Poutine sous un portrait de Gagarine à la cité des étoiles, 2001.

La création du CNES est quasiment dictée par la marche des événements. Car la conquête de l’espace connaît une brusque accélération au début des années soixante. Et là encore, les Soviétiques continuent de marquer des points. Après avoir été les premiers, en 1957, à envoyer dans l’espace le premier satellite artificiel de l’histoire, puis un satellite habité par un animal, ils vont franchir une étape décisive en 1961.

Le 12 avril, le vaisseau Vostok 3KA décolle du cosmodrome de Baïkonour, en Asie centrale, avec à son bord Youri Gagarine, un jeune cosmonaute âgé de 27 ans.  Pour la première fois, un être humain accède à l’espace. Après un vol de 108 minutes, il revient sur Terre et devient le symbole de l’avance soviétique dans ce nouveau domaine.

Les Américains vont tenter de répliquer dès le mois suivant, en mai, en envoyant dans l’espace Alan Shepard mais la capsule Mercury n’effectue aucune orbite autour de la planète. Il faudra attendre le 20 février 1962 pour voir un vol spatial américain faire trois tours de la Terre. S’il peine à rivaliser avec le programme soviétique, Mercury aura le grand mérite d’assurer la mise au point des techniques qui feront le succès de son successeur, le programme Apollo.

L'épopée des années 60

Devant les avancées soviétiques, les États-Unis ne peuvent pas en rester à ces quelques succès d’estime. C’est le président Kennedy qui prendra la tête du mouvement. L’année qui suit le triomphe de Gagarine, dans un discours prononcé à l’Université Rice de Houston le 12 septembre 1962, le premier président américain de confession catholique désigne l’espace comme la « nouvelle frontière ».

Pour ses auditeurs, c’est clairement un appel à l’esprit pionnier des fondateurs du pays. Pour mobiliser toutes les forces de la nation, il n’hésite pas à fixer un but que personne n’avait encore formulé : « We choose to go to the Moon ». Le programme américain qui emmènera des hommes sur la Lune est lancé.

Une fusée Diamant place en orbite Astérix, le 25 novembre 1965. L'agrandissement est une réplique du premier satellite francais Astérix, Musée de l'Air et de l'Espace, Paris Le Bourget.Pendant ce temps, en France, le CNES prend forme et devient opérationnel. Il doit réunir civils et militaires. Les organes de direction sont le reflet de cette alliance. Si la présidence revient à un scientifique, Pierre Auger, puis à Jean Coulomb du CNRS, la direction est confiée à un militaire, le général Aubinière.

Ce dernier affirme encore aujourd'hui que le CNES « était pour de Gaulle, certes un outil précieux pour tous ceux qui s'investiraient dans la conquête spatiale, mais il représentait surtout un moyen politique pour emmerder [sic] les Américains et les Soviétiques » !

Cet instrument ne va pas tarder à démontrer son efficacité. Le 25 novembre 1965, le CNES place sur orbite Astérix, le premier satellite artificiel national, faisant entrer la France dans le club très fermé des puissances spatiales.

« Astérix dans les étoiles »

Astérix en orbite par Uderzo.Le nom de code de ce satellite A-1, pour « Armée 1 » a été modifié par les ingénieurs de l'équipe de tir qui travaillaient en grand secret sur le satellite depuis des mois. Ils ont proposé Astérix. Le petit héros de papier né six ans plus tôt de la collaboration de Goscinny et Uderzo incarnait bien l'esprit rebelle français. Uderzo dessinera ultérieurement Astérix en orbite. (Sébastian Grevsmühl, « 1965. Astérix dans les étoiles », in Patrick Boucheron (dir.), Histoire mondiale de la France, p.693-696.)

La course entre Américains et Russes pour la conquête de l’espace sera le feuilleton des années 60. L’Amérique va savourer sa revanche. Avec le programme Apollo, la NASA tient en haleine le monde.

Le 27 janvier 1967, un drame se produit : l’habitacle d’une fusée s’embrase lors d’un entraînement et trois astronautes périssent dans l’incendie. La détermination des dirigeants de la NASA ne faiblit pourtant pas. Le 21 décembre 1968, ils obtiennent un succès décisif avec Apollo 8.

Cette mission habitée est la répétition quasi-identique de l’expédition qui va partir en juillet de l’année suivante. Pour la première fois, des astronautes vont en effet sortir de l’orbite terrestre, se mettre en orbite autour de la Lune, observer directement sa face cachée et admirer un « lever de Terre »

Il manque encore une pièce maîtresse : l’alunissage. Il sera réalisé par Apollo 11, en juillet 1969, et rentrera dans l’histoire avec les images des premiers hommes marchant sur la Lune.

Mission Apollon XI, Lever de Terre, NASA, DR. L'agrandissement montre l'astronaute Aldrin prélève une carotte sur le sol lunaire lors de la mission Apollo XI. Les empreintes laissées au sol par les hommes d'Apollo sont visibles et toujours présentes sur le sol lunaire en raison de l'absence de vent et d'érosion, NASA, DR.

Le « moment Apollo »

L’intense émotion qui a saisi tous ceux qui ont suivi cet événement inouï est restée unique. D’autres expéditions américaines sont retournées sur la Lune mais les sommes faramineuses englouties dans le programme trouvent de moins en moins de justifications. La course à la suprématie spatiale est terminée. Peu à peu s’installe un climat de « détente » entre les deux grandes puissances et l’intérêt du grand public s’amenuise. La crise économique du début des années 70 sonnera le glas du programme Apollo.

La France a poursuivi son chemin singulier et multiplié les succès. Le bilan est flatteur avec plus de 250 fusées-sondes, 154 fusées spatiales Diamant, Ariane, plusieurs dizaines de satellites et des centaines d'instruments scientifiques envoyés dans l'espace.

Les chercheurs français ont ainsi acquis une renommée dans de nombreux domaines : l'étude des ondes, la physique de l'atmosphère, l'astronomie solaire, la géodésie qui étudie la forme de la Terre et son champ magnétique, la construction et le lancement de fusées, les télécommunications ou encore la télédétection des ressources naturelles.

Depuis cinquante ans, malgré les dissensions et tensions géopolitiques, Américains, Russes mais aussi Européens, continuent cette aventure extraordinaire. Pour l’heure, les rivalités politiques semblent être mises en sourdine au profit d’une collaboration qui comprend des lancements communs, la formation de cosmonautes, l'installation d’équipements et l'organisation d’expériences pratiques à bord d’engins russes, les études spatiales fondamentales, etc.

La station chinoise Chang'e 4 photographiée par le Rover Yutu-2 avec laquelle il s'est posé sur la lune, CNSA, @AJ-FI, DR.

Le XXIe siècle voit aussi s’élargir le club des puissances spatiales. Les Chinois maîtrisent désormais toutes les technologies nécessaires. Le 3 janvier 2018, la sonde Chang’e-4 réussissait le premier alunissage sur la face cachée de la Lune. D’autres pays montrent le bout de leur nez, comme l’Inde et Israël.

À tous ces élans manque cependant un objectif mobilisateur comme le fut la Lune au début des années 60. Mars sera-t-elle la « nouvelle frontière » des spationautes du XXIe siècle ? C’est en tout cas l’intention affichée par le président américain Donald Trump, qui signait, le 11 décembre 2017, une directive ordonnant à la Nasa de préparer le retour des astronautes sur la Lune, « suivi par des missions humaines vers Mars et d’autres destinations ».

L’agence spatiale américaine envisage un retour sur la Lune vers 2024 et un aller sur Mars en 2033. Des dates volontaristes qui dissimulent difficilement la lacune majeure de ce nouveau programme : l’enthousiasme n’est pas au rendez-vous.

En mai dernier, Robert Howard, le responsable du laboratoire développant les futures habitations spatiales le déclarait sans détours : « Beaucoup de gens veulent que nous ayons un moment Apollo, qu’un président se lève comme Kennedy et emmène tout le pays derrière lui. Avec cette impulsion, nous pourrions y aller en 2027. Mais je n’y crois pas. Avec notre approche actuelle, on aura de la chance si on y arrive avant 2037. Et si j’étais vraiment pessimiste (…) je dirais les années 2060.  »

Le passé n’est pas une machinerie qu’il suffirait de réactiver à volonté. Le « moment Apollo » aura été une brève parenthèse magique, fruit d’un concours de circonstances que des personnalités hors du commun ont transformé en épopée. Aucun décret présidentiel ne pourra ni le ressusciter ni le reproduire.

Les spationautes français

L’espace a déjà reçu la visite de dix Français. Le premier, le général Jean-Loup Chrétien, fera au total trois séjours en orbite. En juin 1982, il rejoint la station spatiale Saliout. Six ans plus tard, en 1988, il repart pour la station soviétique Mir. Neuf ans plus tard, en 1997, c’est avec la navette américaine Atlantis qu’il part à nouveau. Au total, il aura passé 43 jours dans l’espace.
Après lui viendront Patrick Baudry, en 1985, à bord de la navette Discovery ; puis Michel Tognini qui comptabilise deux vols, en 1982 et 1999 ; Jean-Pierre Haigneré qui, avec deux vols en 1993 et en 1999, a réalisé le séjour le plus long dans l’espace (209 jours) ; Jean-François Clervoy, avec trois missions en 1994, 1997 et 1999 ; l’ingénieur Jean-Jacques Favier, en 1996 ; Claudie Haigneré, la première Française à avoir volé dans l’espace, en 1996 et 2001 ; Léopold Eyharts, en 1998 et 2008 ; Philippe Perrin en 2002 ; et Thomas Pesquet en 2016.

Bibliographie

L’Histoire, mensuel N° 261, À la conquête de l’espace, Philippe Varnoteaux, janvier 2002,
Futura-Sciences, octobre 2016, janvier et avril 2019.

Publié ou mis à jour le : 2021-02-04 18:41:56
BONHOURE (13-01-2021 15:07:37)

Je n'aime pas ce mot "conquête" de l'espace. Il montre l'orgueil démesuré de l'humanité. Je préfère le mot "exploration" Quand l'orgueilleux "Sapiens? " disparaitra, (avant la fin du troisièm... Lire la suite

CHARLES BRANDT (19-07-2019 11:00:34)

Bonjour, concerne : article sur la conquête de l'espace La France sur la 3ème place du podium ? Je crains que cela ne soit la Chine qui occupe désormais cette place avec notamment un atterris... Lire la suite

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