9 août 1922

La Vénus de Lespugue revient à la lumière

Vénus de Lespugue, ivoire de mammouth, trouvée dans la Grotte des Rideaux (Haute-Garonne), Paléolithique supérieur, Paris, musée de l'Homme.Découverte le 9 août 1922 au fond de la grotte des Rideaux à Lespugue, en Haute-Garonne par un couple d’archéologues, Suzanne et René de Saint-Périer, celle que l’on a très vite nommée la Vénus de Lespugue, ne cesse depuis lors de nous fasciner et nous interroger.

Sculptée dans de l’ivoire de mammouth, cette statuette de 14,4 cm aux courbes exagérément généreuses  aurait entre 21 000 et 35 000 ans BP (Before Present en anglais). Elle est attribuée à l'époque gravettienne, une culture du Paléolithique supérieur nommée d'après le gisement éponyme de La Gravette (Dordogne), aussi connue sous le nom de Périgordien supérieur.

En tout cas, dès sa découverte, la Vénus de Lespugue fascine. De nombreux moulages ont été produits et Picasso en possédait deux exemplaires. Son ami, le photographe Brassaï, a rapporté qu’elles représentaient pour le maître du cubisme « la quintessence des formes féminines, l’origine de tout ».

Qualifiée de « Joconde du Musée de l’Homme » où elle est conservée à Paris, la Vénus de Lespugue, passée de l’obscurité d’une grotte préhistorique, aux lumières de notre monde moderne, désormais exposée à Paris, Tokyo ou encore à New-York, compte parmi les chefs-d’œuvre de la Préhistoire.

Sabrina Rezki

Moulage de la Vénus de Lespugue aux Gorges de la Save, photographie Sabrina Rezki.

« Un coup de pioche malencontreux »

Le village de Lespugue (83 habitants), voisin de celui de Montmaurin, se situe à vingt kilomètres d’Aurignac, commune dont le nom qualifie une période du Paléolithique supérieur dite aurignacienne, allant de 45 000 à 35 000 ans BP.

René de Saint-Périer (1877-1950). Agrandissement : Grotte des Rideaux, cliché de la préhistorienne Nathalie Rouquerol.Des hauteurs du château médiéval de Lespugue, les premiers reliefs des Pyrénées s’étirent dans un splendide panorama. Au pied du village, dans un ravin abrupt d’une profondeur de 50 à 80 mètres, la Save, affluent de la Garonne, s’écoule paisiblement.

C’est ici dans les gorges de la Save, en 1911, qu’un jeune archéologue, le comte René de Poilloüe de Saint-Périer (1877-1950), lance une campagne de fouilles.

Plusieurs grottes sont explorées. Dans la plus vaste, la grotte dite des Rideaux, surnommée ainsi car surplombée d’une grande draperie calcaire, René de Saint-Périer extrait, à l’intérieur d’un foyer archéologique intact, les premiers vestiges prouvant une occupation humaine depuis les époques aurignacienne, gravettienne, solutréenne (23 000 à 18 000 BP) jusqu'à la période magdalénienne (entre 17 000 et 14 000 BP).

Réplique de la Vénus de Lespugue partiellement brisée sur sa face antérieure lors de sa découverte, Arppeanum, Helsinki, Finlande.Après la Première Guerre mondiale, René de Saint-Périer accompagné de son épouse Suzanne, reprend l'exploration de la grotte des Rideaux. Ce 9 août 1922, il raconte sa découverte : « L’un de mes ouvriers découvrit, sous une roche, la partie supérieure de la statuette, à 15 cm seulement de profondeur du foyer » mais «  un malencontreux coup de pioche pour soulever une roche d’éboulement la détériora quelque peu sur sa face antérieure. » (note)

C’est une statuette en onze morceaux que René de Saint-Périer confie à la restauration « du chef du service des moulages de la Galerie de Paléontologie du Museum [Museum national d’Histoire naturelle, Paris, ndlr] , auquel [il] en a fait don ».

La Vénus de Lespugue dessinée par René de Saint-Périer en 1924, Bulletin de la Société préhistorique de France. Agrandissement :  René et Suzanne de Saint-Périer lors du centenaire des fouilles d'Edouard Lartet à l'abri d'Aurignac en 1961.

Un canon de beauté controversée

Haute de 14,4 cm, c’est l’une des plus grandes pièces en ivoire de mammouth trouvée en France. Sculptée en ronde-bosse, c’est-à-dire exécuté en plein relief et se détachant devant un fond, elle est qualifiée par son découvreur, dès sa première publication scientifique en 1922, de « statuette féminine stéatopyge » (note), c’est à dire au fessier proéminent.

La Vénus de Lespugue vue de dos, Paris, musée de l'Homme.René de Saint-Périer la décrit ainsi : « Son ensemble est remarquablement symétrique. La tête est petite et ovalaire ; aucun trait du visage n’est figuré (...) Le cou est mince, la poitrine plate ; deux seins énormes, en forme d’outres, attachés très bas tombent jusqu’au ventre. (…) La région fessière est remarquable par son développement considérable, surtout dans le sens latéral. (...) Les jambes sont fort courtes et à peine indiquées (…) Enfin pour terminer cette description, il faut signaler qu’un vêtement fort léger orne la partie postérieure : attachée au dessous des fesses, ce pagne est représenté par des lignes qui se croisent, figurant des tresses parallèles ».

La présence de cet hypothétique « pagne », ses formes exubérantes que certains scientifiques iront jusqu’à qualifier de pathologiques (note), « me font penser à une race d’origine africaine, voisine des Boschimans », explique Saint-Périer. Cette classification ethnique trahit le contexte d’une pensée racialiste qui envahit l’histoire naturelle et les disciplines scientifiques du XIXe siècle au milieu du XXe siècle. Nous n'en sommes  heureusement plus là....

La Vénus de Lespugue : un « symbole de l’universalité de la vie  »

La préhistorienne Nathalie Rouquerol a publié en 2018 une étude intégralement consacrée à la Vénus de Lespugue. Elle y pose en pré-requis qu’il s’agit d’un objet à manipuler  : « Nous ne pouvons avoir pleinement accès à leur sens, en raison de leur muséification ».
Réplique de la Vénus de Lespugue, Paris, musée de L'Homme. Agrandissement : Accouchement de la Vénus, photographie Nathalie Rouquerol.En la prenant en main, en la retournant, en l’observant patiemment, la préhistorienne est catégorique, de dos, il s’agit d’un personnage double : « D’un côté, une figure au torse maigre, une adolescente aux cheveux raides et mi-longs et de l’autre, une exubérante matrone avec une chevelure longue. » Cette chevelure longue que Saint-Périer avait un siècle plus tôt associé à un pagne. Plus encore, la sculpture serait quadridimensionnelle : « Nul ne l’avait jamais remarqué auparavant, mais si l’on adopte une vue plongeante sur la figurine, elle est clairement en train d’accoucher », poursuit la préhistorienne domiciliée à Lespugue même. Son hypothèse : La Vénus de Lespugue « porte le symbole de l’universalité de la vie et une philosophie du temps », une narration-manipulation représentant les différents âges de la vie de la femme.

1922-2022 : la Vénus de Lespugue s'expose

À l’occasion du centenaire de sa découverte, plusieurs expositions et conférences lui sont consacrées en France, au cœur du petit village de Lespugue situé dans le Comminges, mais aussi à Paris (note).

Affiche de l'exposition au musée de l'Aurignacien du 6 juillet au 12 decembre 2022. Agrandissement : Reproduction de la Vénus de Lespugue en ivoire de mammouth par le sculpteur Florent Rivere (2012-2017), collection privée, actuellement au musée de l Aurignacien, photographie Sabrina Rezki.• Du 6 juillet 2022 au 11 décembre 2022, au musée de l’Aurignacien à Aurignac (31) :
Vénus : les représentations féminines de la Préhistoire, réalisée en partenariat avec le Musée de Tautavel, le Musée de Montmaurin, le Musée de l’Homme à Paris et le Musée d’Anthropologie préhistorique de Monaco.

• Du 5 au 9 août 2022 : Festival Passion Comminges, ode au Féminin
À Lespugue, le 9 août 2022, jour anniversaire de la découverte de la Vénus, la préhistorienne Nathalie Rouquerol donne une conférence à 18h30 dans les gorges de la Save (côté Montmaurin). Projection du film Renaissance de la Vénus de Lespugue, ainsi qu’une vue inédite de la grotte des Rideaux et de la statuette elle-même en 3D. Entrée libre.

La Vénus de Lespugue au musée de l?Aurignacien dans le cadre de l'exposition sur les représentations féminines de la Préhistoire.

• Octobre 2022 : Exposition Hommage à Suzanne et René de Saint-Périer au musée de Montmaurin.

• Du 12 octobre 2022 au 22 mai 2023, dans le cadre de l’esposition Arts et Préhistoire, le musée de l'Homme à Paris présente les réinterprétations de la Vénus de Lespugue par les artistes des XXe et XXIe siècles qu’elle a inspirés. Sculptures, vidéos et œuvres, entre autres, d’Yves Klein, Louise Bourgeois, Brassaï et Jean Arp interrogent l’aura de la célèbre vénus en tant qu’icône de la féminité et objet de convoitise artistique.

Publié ou mis à jour le : 2022-12-12 15:03:55
Danièle Fouchier (05-08-2022 14:34:59)

Je connais bien la vénus de Lespugue pour avoir travaillé au laboratoire d'anthropologie du Musée de l'Homme où elle est conservée, j'en ai un moulage et Je ne partage pas du tout le point de vue... Lire la suite

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