Un ministre reprochant au chef du gouvernement d'avoir enquêté sur lui à son insu. Cinquante ans avant Clearstream, l'affaire des fuites ruine le destin de Mendès-France que Mitterrand poursuivra jusqu'au bout de son ressentiment.
Quand, le 7 mars 1956, François Mitterrand, alors garde des Sceaux, est définitivement blanchi des soupçons de haute trahison qui pèsent sur lui, une affaire d'Etat s'achève : il n'est pas l'homme qui, en 1953, a fait « fuiter » jusqu'au bureau du communiste Jacques Duclos, donc jusqu'au Kremlin, des informations ultra confidentielles sur l'effort de guerre français en Indochine.. Mais une autre histoire commence, qui affectera longtemps la gauche française : celle du lourd contentieux opposant Mitterrand à Pierre Mendès-France, qu'il s'efforcera de tenir jusqu'au bout éloigné de sa route.
Comme plus tard un certain Nicolas Sarkozy, François Mitterrand est ministre de l'Intérieur quand il apprend, le 8 septembre 1954, que Mendès-France, alors président du Conseil, fait enquêter sur lui depuis deux mois par les services secrets. L'imputation est gravissime : début juillet, le commissaire Jean Dides, chargé de surveiller le Parti communiste, a fait parvenir au chef du gouvernement des informations selon lesquelles Mitterrand serait à l'origine des fuites.
Hors de lui, le ministre de l'Intérieur porte plainte, et fait interroger Dides qui prétend avoir intercepté des notes émanant du comité de la Défense nationale et transmises au PCF. L'enquête démontre que la source, bien involontaire, n'est autre que Jean Mons, secrétaire général de ce même comité, dont deux collaborateurs, opposés à la guerre d'Indochine, René Turpin et Roger Labrusse, dérobaient les carnets à l'issue des réunions, et en faisaient transmettre une copie à un correspondant de Dides infiltré au PC, André Baranès, lequel les maquillait pour les attribuer à une source politique.
Qui donc voulait nuire à Mitterrand ? La presse, unanime, attribuera le coup au mouvement Poujade dont les dirigeants ne pardonnaient pas à Mitterrand d'avoir démissionné, en 1953, du gouvernement Laniel, pour protester contre la politique, trop brutale à ses yeux, menée au Maroc et en Tunisie. Dides, de fait, n'échappera au procès, tenu en 1956, que grâce à l'immunité parlementaire due à son élection, le 2 janvier 1956. comme député poujadiste ! Mons, lui, sera mis hors de cause, de même que Baranès. Mais pas Turpin et Labrusse qui seront condamnés respectivement à quatre et six ans de prison.
Quant à Mitterrand, il ne pardonnera jamais à Mendès-France, non d'avoir pu le soupçonner, mais de ne pas l'avoiraverti d'emblée de l'enquête parallèle qui le prenait pour cible. Comme si, en laissant se propager des informations qu'il savait fausses, il avait sciemment cherché à le perdre.
Philosophe, François Mauriac notait en décembre 1954 dans son bloc note de l'express, cette jolie formule du cardinal de Retz : « En fait de calomnie, tout ce qui ne nuit pas sert à celui qui est attaqué. »
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