Le 6 novembre 1792, les volontaires de l'armée française battent les soldats autrichiens à Jemmapes (aujourd'hui Jemappes), près de Mons, en Belgique (note). Il est vrai qu'ils bénéficient d'une écrasante supériorité numérique.
Venant six semaines après Valmy, cette médiocre victoire porte à son summum la popularité de la Révolution française.
Le spectre de l'invasion s'éloigne
Forte d'un premier succès à Valmy, la toute jeune République française décide de pousser son avantage contre les Prussiens et les Autrichiens qui la menacent d'invasion.
C'est en Belgique, possession des Habsbourg depuis Charles Quint, qu'ils portent leur effort. L'armée autrichienne du duc de Saxe-Teschen, qui y prend ses quartiers d'hiver, est prise au dépourvu par l'offensive de Charles François Dumouriez, le vainqueur de Valmy.
Les Français sont portés par la ferveur révolutionnaire. Mais ils bénéficient surtout de l'avantage du nombre. Ils sont 55 000, soit deux fois plus nombreux que les Autrichiens.
La journée débute par une canonnade sans guère de résultat. Dumouriez lance ensuite plusieurs charges d'infanterie auxquelles participe le duc de Chartres (il sera bien plus tard roi de France sous le nom de Louis-Philippe 1er !).
Les deux camps combattent bravement mais en désordre. A la mi-journée, après qu'ont été tués 2 000 hommes français et autant d'Autrichiens, le duc de Saxe-Teschen se retire sans que Dumouriez se soucie de le poursuivre. Dans les jours qui suivent, les Autrichiens évacuent la Belgique sans demander leur reste.
Bien qu'incomplète, car elle n'a pas entamé les forces ennemies, la victoire de Jemmapes éloigne la crainte de l'invasion et magnifie la République française aux yeux de tous les Européens. La Révolution atteint des sommets de popularité jusqu'en Angleterre. Personne ne tient plus à la combattre.
Les principaux belligérants, le roi de Prusse et l'archiduc d'Autriche, sont eux-mêmes davantage intéressés par les affaires polonaises que par la guerre contre la France. Ils s'apprêtent avec le tsar de Russie à un deuxième partage de la malheureuse Pologne après que celle-ci ait en vain tenté de réformer ses institutions à l'image de la France.
Hélas, les révolutionnaires n'ont pas la sagesse de s'en tenir là. En permettant aux Français d'occuper la Belgique et la rive gauche du Rhin, la victoire de Jemmapes excite leur appétit de conquête.
Dépassés par leur succès, les députés girondins de la Convention proposent d'étendre la guerre et d'annexer les régions occupées. Leur attitude témoigne d'une rupture avec la bonne volonté initiale manifestée par les révolutionnaires (ainsi, le 22 mai 1790, un décret de la Constituante proclamait : « La nation française renonce à entreprendre aucune guerre dans le but de faire des conquêtes »).
Le 19 novembre, l'assemblée révolutionnaire vote un décret qui énonce : « La Convention nationale déclare au nom de la nation française qu'elle accordera fraternité et secours à tous les peuples qui voudront reconquérir leur liberté ». Le 15 décembre, elle proclame avec emphase : « Guerre aux châteaux, paix aux chaumières ».
Député de Paris à la Convention, Georges Danton ébauche le dogme des « frontières naturelles » (on dit aussi « grandes limites ») pour justifier les conquêtes de la République française après la victoire de Jemmapes. Il déclare à la tribune de l'assemblée, le 31 janvier 1793 : « Les limites de la France sont marquées par la nature. Nous les atteindrons dans leurs quatre points : l'Océan, au Rhin, aux Alpes, aux Pyrénées ». Lazare Carnot récidive le 14 février 1793 : « Les limites anciennes et naturelles de la France sont le Rhin, les Alpes et les Pyrénées » (note).
Cette politique va provoquer la formation contre la France d'une première coalition européenne et se solder, 23 ans plus tard, par la défaite de Waterloo et l'affaiblissement irrémédiable du pays.
Plus tard, à l'époque de la guerre franco-prussienne (1870), des historiens attribueront à Richelieu la paternité des « frontières naturelles », alléguant qu'il en aurait parlé dans son Testament politique : « mettre la France partout où fut l'ancienne Gaule ». Mais l'authenticité de ce document est aujourd'hui remise en question. D'autre part, les biographes du ministre-cardinal de Louis XIII, tels François Bluche et Françoise Hilsheimer, réfutent catégoriquement l'idée selon laquelle il aurait ambitionné d'étendre la France jusqu'au Rhin.
Notons qu'il n'y a rien d'évident à ce qu'un fleuve ou même une montagne serve de frontière. Le Danube, le Mississipi, le Gange, le Hoang Ho et même le Rhin rapprochent les hommes bien plus qu'ils ne les séparent.
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Voir les 5 commentaires sur cet article
jb (01-04-2013 03:00:40)
merci , en passant
Damiens Bourdais (06-11-2008 21:32:17)
Au XVIII ème Siècle, la notion de "frontière naturelle" est bien commode pour justifier ce que veulent les puissants. Cette notion est obsolète. Elle est à replacer dans un contexte d'Etats en co... Lire la suite
Albert Sorignet (08-11-2006 19:08:16)
Le bon sens, Dominique Lejeune, c'est d'oublier la notion de nation et de patrie, excuses de beaucoup de conflits. L'Europe est à faire. La France n'a pas besoin d'être faite. C'est un peu comme si... Lire la suite