Pour la deuxième fois de son Histoire, la Chine se lance à la conquête des océans avec le projet faussement appelé Nouvelles Routes de la soie.
En fait peu soucieux de commerce caravanier, le président Xi Jinping met ses pas dans ceux de l'empereur Yongle qui envoya en 1405 une formidable « Flotte des Trésors » jusqu'en Afrique. Cette tentative fit long feu et l'« Empire du Milieu » se replia vingt ans plus tard à l'intérieur de ses frontières. L'entreprise du président Xi sera-t-elle plus durable que celle de son lointain prédécesseur ?...
Zheng He et les ambitions déçues de la Chine
En 2013, quelques mois après son intronisation, le président chinois Xi Jinping a lancé un grand projet géopolitique, joliment baptisé les Nouvelles Routes de la soie (le nom officiel de ce projet est en anglais : One Belt, One Road).
L'expression « route de la soie », inventée par un géographe allemand en 1877, fait référence aux caravanes qui commercèrent entre la Chine et la Méditerranée à partir de l'Antiquité, quand le principal produit d'exportation de la Chine était la soie. C'est à celle-ci que l'Empire du Milieu doit d'ailleurs son nom dans les langues d'Europe (d'après Serica (« le pays de la soie »). La « route de la soie » fut remplacée par la « route des épices » au XVIe siècle, quand les Européens se lancèrent dans le grand commerce maritime.
À vrai dire, ce parallèle historique est propre à semer des illusions chez les partenaires occidentaux de la Chine car le projet One Belt, One Road se rapproche plus sûrement de la « Flotte des Trésors » financée il y a six cents ans par le grand empereur Yongle, de la dynastie Ming, et placée sous le commandement du Grand amiral Zheng He.
Cette armada géante de 200 jonques et 27 000 hommes effectua sept expéditions entre 1405 et 1433, en mer de Chine et Océan indien jusqu’au Golfe persique et à la Mer rouge. La marine chinoise chassa les pirates et imposa par sa puissance un système tributaire : les potentats locaux acceptèrent la protection bienveillante de la Chine et en contrepartie favorisèrent ses commerçants ou payèrent des tributs à l’empereur ; à défaut, l’armada dut soumettre par la force certains récalcitrants. Le Vietnam subit ainsi l’occupation et l’oppression des Ming.
Le coût des expéditions s’avéra très vite prohibitif d'autant que les barbares mongols se faisaient à nouveau menaçants au nord de l'empire. Après une ultime expédition à la recherche d’or africain, la construction de navires de haute mer fut interdite sous peine de mort et l'on s'occupa de renforcer la Grande Muraille. La Chine s’enferma alors dans son espace naturel pour un demi-millénaire et les puissances européennes prirent la place laissée vacante, firent la conquête des océans et soumirent le monde...
L'anniversaire du départ de la « Flotte des Trésors », le 11 juillet 1405, est célébré chaque année en Chine sous le nom de Fête de la Mer. Pour l’histoire officielle chinoise, ses périples de Zheng He sont la preuve de la capacité de la Chine à promouvoir un développement commercial harmonieux rompant avec les pratiques coloniales occidentales et japonaises dont la Chine souffrit pendant « Les 150 années d’humiliations » (1799-1949).
Dès 1963, Zhou Enlai s'est servi de la figure de Zheng He pendant sa tournée en Afrique et en 2005, l'on célébra en grande pompe en le 600e anniversaire de sa première expédition. On évoqua aussi ses exploits en 2008 lors de la cérémonie d’ouverture des Jeux Olympiques de Pékin. Quant au président Xi Jinping, il ne manque jamais de rappeler le glorieux passé des Ming pour légitimer l’ambition de la Chine de redevenir une puissance globale. Il déclara en 2014 : « Les pays qui ont tenté de poursuivre leurs objectifs de développement par l’usage de la force ont échoué… C’est ce que l’histoire nous a appris. La Chine est engagée à maintenir la paix. » Et son Premier ministre Li Kegiang d'assurer : « L’expansion n’est pas dans l’ADN des Chinois ». C'est que Zheng He n'est plus seulement une icône de la propagande chinoise, c'est aussi un modèle à suivre et un défi à relever.
La revanche de Xi Jinping
Ce n’est qu’avec Zhou Enlai puis Deng Xiaoping que la Chine s'est ouverte à nouveau au monde. Après une longue phase d'observation et d'approche prudent, elle brûle maintenant les étapes. Pour les gouvernants actuels, puissance maritime, diplomatie économique et soft power participent de la même ambition : jouer d’égal à égal avec la dernière superpuissance, les États-Unis, et rendre à l'« Empire du Milieu » la place qui lui revient sur l'échiquier mondial, la première !
Sa marine marchande est aujourd’hui la première du monde et sa marine militaire se renforce à marche forcée. Elle a déjà engagé une épreuve de force dans la mer de Chine pour s'approprier les îlots et récifs qui la bordent et ainsi ouvrir la Chine sur le grand large. Non contente d'être devenue le premier investisseur extérieur mondial, la Chine déploie aussi un réseau d’Instituts Confucius dans le monde afin de diffuser la langue et la culture chinoises. Elle a pris également la tête de la promotion de l’accord de Paris sur le climat, en profitant de la vacuité du leadership américain. C'est son côté soft power (s'imposer par la séduction) avec un point d'orgue à l'occasion des Jeux Olympiques de Pékin en 2008.
Le président Xi et le Premier ministre Li soutiennent ces efforts en parcourant infatigablement le monde.
L’initiative One Belt One Road, qui vise à relier l’Asie de l’Est, l’Asie centrale, le Moyen-Orient, l’Afrique et l’Europe, répond dans leur esprit à trois impératifs :
• s'assurer un approvisionnement suffisant en énergie, matières premières et produits agricoles, par l'accès au sous-sol minier et aux terres arables du continent africain et du Moyen-Orient,
• livrer aux Européens des biens de consommation en contrepartie du savoir-faire qui leur reste dans les technologies de pointe : robotique, machines-outils, conformément à l'objectif China 2025 de hisser la Chine à la première place mondiale dans ces technologies,
• assurer la sécurité nationale, d'une part en étendant le domaine maritime chinois en mer de Chine, d'autre part en implantant des bases militaires dans tous les lieux stratégiques de la planète, à l'image des Américains : une base militaire chinoise d'un millier d'hommes a été ainsi inaugurée à Djibouti, à l'entrée de la mer Rouge. Une première !
Au lancement du projet, en 2013, le président Xi Jinping déclara suavement, en des termes très confucéens : « Nous n’avons aucune intention de créer un petit groupe pour détruire la stabilité mais nous espérons créer une grande famille pour une coexistence harmonieuse » puis, le 14 mai 2017, il qualifia, en présence des dirigeants de 65 pays, le projet d’ « initiative du siècle… une globalisation économique qui est ouverte, inclusive, équilibrée et bénéficiaire à tous ».
La Chine s’est ainsi engagée à financer plus de 900 projets à hauteur de 800 milliards d’euros : lignes et terminaux ferroviaires, installations portuaires etc. Elle espère à terme piloter la gestion des flux de marchandises, de données, de personnes, avec les institutions et infrastructures nécessaires : ports, aéroports, gazoducs, câbles sous-marins, tribunaux d'arbitrage (trois tribunaux ont été créés en Chine même pour régler les différends commerciaux liés à ces routes de la soie)... À cela s'ajoutent des programmes de formation à l'attention des journalistes et des hommes politiques, destinés à promouvoir le mode de gouvernance chinois, aux antipodes du modèle démocratique occidental.
Un colosse aux pieds d'argile
La Chine s’ouvre donc au monde mais avec prudence : elle fait visiter la Grande muraille aux touristes... tout en construisant un Big Wall pour garder la maîtrise de son internet. Les Mongols d’aujourd’hui sont les activistes libertaires de Californie. Pas question de leur abandonner les clés de la souveraineté. Le gouvernement de Pékin oppose aux GAFA américains (Google, Amazon, Facebook, Apple) et aux investisseurs européens de solides concurrents, grassement subventionnés par l'État, et des chicaneries administratives sans fin.
En 2019, après trois décennies de croissance à plus de 10% par an, la Chine assure à ses 1,4 milliards d'habitants un PIB/habitant/an moyen de 8000 dollars contre 60 000 pour les Américains. Elle a dépassé le Japon en richesse globale, devenant la deuxième économie mondiale derrière les États-Unis, avec une chance sérieuse de rattraper ceux-ci d'ici 2025 et de redevenir ce qu'elle a été jusqu'au XVIIIe siècle, la première puissance mondiale.
Bénéficiant à l'intérieur du soutien d'un parti unique solide, profitant à l'extérieur de la division et des faiblesses de ses rivaux, le président chinois peut affirmer avec une satisfaction manifeste : « la Chine est entrée en eaux profondes ».
Mais cette prospérité retrouvée pourrait être compromise à la prochaine génération par une trop faible natalité et un nombre excessif d'inactifs âgés, sans compter un sex-ratio déséquilibré, dû à l'avortement sélectif des foetus féminins (on compte en Chine aujourd'hui, pour 100 naissances de filles, 118 naissances de garçons au lieu de 105 selon la norme naturelle).
Avec un indice de fécondité en diminution malgré la fin de la « politique de l'enfant unique » en 2013, la population chinoise est appelée à diminuer très bientôt et retomber aux alentours d'un milliard à la fin du siècle ! Un homme sur dix sera alors chinois au lieu d'un sur quatre ou cinq aux siècles précédents. Le poids des personnes âgées risque d'affecter le dynamisme de la société et une grave crise pourrait aussi surgir du fait de la surreprésentation des hommes par rapport aux femmes.
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Michèle (27-03-2019 09:57:57)
Excellente analyse. Merci.