Le 5 octobre 1910, le jeune roi du Portugal Manuel II est chassé par un coup d'État et la République est proclamée par le journaliste José Relvas depuis le balcon de l'Hôtel de ville de Lisbonne avec le soutien d’une partie de l’armée. C’est l’aboutissement d’une crise de deux décennies liée aux humiliations coloniales et à une impasse financière…
Le pays va rester un fidèle allié de l'Angleterre et participer à la Première Guerre mondiale. Mais une fois la paix revenue, les divisions dans le camp républicain entraîneront pas moins de seize nouveaux coups d'État jusqu'à la prise de pouvoir par le général Gomes da Costa le 28 Mai 1926.
L'anniversaire de ce jour est devenue au Portugal la fête de la République. Le pays célèbre par ailleurs sa fête nationale le 10 juin, jour anniversaire de la mort du grand poète lusitanien Luís Vaz de Camões, dit « le Camoëns » en français (1525-1580).
La chute de la dynastie de Bragance
À la fin du XIXe siècle, la dynastie de Bragance, qui règne sur le pays depuis l’indépendance de 1640 , s’est vue confrontée à une forte contestation de l’opposition républicaine.
Cette opposition se fait révolte lorsque le Royaume-Uni lance un ultimatum à la couronne portugaise le 11 janvier 1890 concernant ses colonies d’Angola et de Mozambique qu’elle ambitionne de réunir dans un même ensemble territorial.
Les Britanniques exigent du Portugal qu'il retire ses troupes de deux zones situées en Afrique australe, dans les régions du Mashona et du Chiré, afin d’étendre la zone d’influence de la British South-African Company.
La monarchie portugaise se plie aux exigences de Londres et ratifie le traité anglo-portugais de 1891. Cette concession est vécue comme une humiliation au Portugal.
Une chanson populaire, A portuguesa, est composée en réponse à l’ultimatum britannique et devient l’hymne des insurgés républicains. La protestation se mue en insurrection armée le 31 janvier 1891 à Porto. Mais elle échoue tragiquement et se solde par douze morts.
La chanson A Portuguesa est interdite par le régime mais le Parti Républicain s’inscrit durablement dans la vie politique portugaise.
À cette même période, une crise financière secoue le pays. Bien qu’ayant déjà été à plusieurs reprises en défaut de paiement, l’État contracte en 1890 un emprunt d’un montant de 63 150 000 francs pour la construction de routes, de chemins de fer et de ports. En 1891, un nouvel emprunt est émis pour un montant quatre fois supérieur à celui de 1890. Lourdement endetté, l’Etat est au bord de la banqueroute.
C’en est bientôt fini du système parlementaire « rotatif » par lequel alternent au pouvoir depuis 1857 les deux principaux partis monarchiques.
Le tout jeune Parti Régénérateur libéral forme le gouvernement en 1906 avec à sa tête João Franco et dans le cadre d’une coalition avec le Parti Progressiste : c’est la Concentration Libérale.
Cependant, la posture autoritaire de João Franco provoque une opposition de plus en plus forte des députés.
Lorsqu’il parvient à convaincre le roi de fermer le Parlement, il unit contre lui le camp républicain et le camp monarchiste. Une conspiration, la Janeirada, est orchestrée par les parlementaires progressiste séditieux et par les forces républicaines pour proclamer la République. La date est fixée au 28 janvier 1908. Mais ce coup d’État dit du funiculaire de la bibliothèque est déjoué par le gouvernement.
Dans l’urgence, le 1er février 1908, le roi Carlos Ier et le prince héritier Louis-Philippe rentrent à Lisbonne. C’est alors qu’à la fin de l’après-midi, ils sont assassinés par deux militants républicains, Manuel Buíça et Alfredo Costa, sur la Place du Commerce.
João Franco démissionne le 4 février, incapable de répondre des accusations de manquement à la sécurité publique ayant conduit à ce régicide.
Le deuxième fils du roi assassiné monte aussitôt sur le trône sous le nom de Manuel II et un gouvernement d’union nationale est formé. Le roi (vingt ans) tente de stabiliser le pays, mais les Républicains gagnent en popularité dans les urnes. Lors des élections législatives du 5 avril 1908, ils comptent sept élus puis quatorze aux élections du 28 août 1910.
Mais ce sont les élections du Congrès du parti en avril 1909 qui sont déterminantes. La frange la plus radicale du parti remporte la direction. Elle prône la prise de pouvoir par l’action violente. Dès lors, la révolution est annoncée et attendue par le gouvernement en place. Le président du Conseil António Teixeira de Sousa est conscient de son imminence.
Une République longtemps attendue
Dans la nuit du 3 octobre 1910, les forces militaires se réunissent et décident de lancer l’insurrection après l’assassinat de Miguel Bombarda qui était à la tête de la Junte libérale et cela malgré le qui-vive des forces gouvernementales.
Ces dernières mettent tout en œuvre pour protéger en premier lieu le roi et les points stratégiques de la ville comme la Maison de la Monnaie ou le dépôt de munitions de Beirolas. Elles suivent ainsi un plan préparé depuis plus d’un an.
Les insurgés se positionnent sur la place Rotunda et parviennent à tenir la place avec 200 hommes seulement.
Machado Santos, ancien marin portugais, bientôt surnommé héros de la Rotunda, parvient à rallier à la Révolution le régiment d’infanterie 16. Vers 7h du matin, c’est au tour des marins avec à leur tête le lieutenant Carlos da Maia de se joindre au mouvement insurrectionnel.
Un détachement sous le commandement du colonel Alfredo Albuquerque est alors envoyé vers la Rotunda pour tenter de déloger les révoltés mais il essuie un cuisant revers après seulement quelques échauffourés et reçoit l’ordre de se retirer.
Les forces gouvernementales rencontrent de grandes difficultés à communiquer pour se coordonner : les Carbonari s’attaquent aux moyens de communication. Ils coupent les fils du télégraphe et dégradent les voies ferrées.
Dans la journée du 4 octobre, les insurgés menacent de bombarder le Palais des nécessités où se trouve le roi. Ce dernier ne veut pas quitter le Palais, il déclare: « Vous pouvez partir si vous le voulez, je reste. Si la Constitution ne m'attribue d'autre rôle que celui de me laisser tuer, qu'il en soit ainsi. » Mais son président du Conseil le convainc de quitter le palais pour libérer les forces nécessaires à sa défense qui pourront ainsi être mobilisées autour de la Rotunda, épicentre de la révolte. Le roi quitte Lisbonne et se réfugie dans un premier temps à Mafra.
Dans la nuit du 4 au 5 octobre, la situation est confuse : un diplomate allemand fraîchement arrivé en ville demande l’armistice pour quelques heures afin d’évacuer les ressortissants étrangers. Il arrive alors sur la place de la Rotunda avec une ordonnance surmontée d’un drapeau blanc.
Croyant à une reddition des monarchistes, les insurgés abandonnent leur position et se mêlent à la population qui afflue en masse dans les rues. Les monarchistes avec à leur tête le général Gorjao Henriques acceptent l’armistice et ne peuvent rien contre la ferveur populaire.
Vers 9h du matin, la République est proclamée depuis le balcon de la mairie de Lisbonne par le journaliste et homme politique José Relvas. Alors que le roi embarque sur le navire de son oncle, Dom Alphonse, et fuit le Portugal pour atteindre Gibraltar, un gouvernement provisoire est nommé avec à sa tête Joaquin Teofilo Braga.
Le gouvernement prend d’entrée de jeu des mesures fortes avec la séparation de l’Église et de l’État, la légalisation du mariage civil ou encore l’institutionnalisation du divorce et la reconnaissance du droit de grève. Le drapeau de la monarchie est remplacé par celui de la République et la chanson A Portuguesa devient hymne national.
Dès 1911, le gouvernement provisoire s’efface à la suite des élections législatives du mois de mai et transfère le pouvoir à l’Assemblée constituante qui peut dès lors veiller aux institutions de la toute jeune République. Mais le régime est instable. Pas moins de 45 gouvernements se succèdent en 16 ans et 16 tentatives de coup d’État le font vaciller. C’est le cas en janvier 1919 lorsque Henrique Mitchell de Paiva Couceiro tente de restaurer la monarchie. Ce bref soulèvement, appelé Monarchie du Nord, s’effondre en février 1919 mais témoigne des oppositions qui restent fortes au sein de la société portugaise.
Le 28 mai 1926, un coup d’État militaire mené par le général Gomes da Costa met fin à la Première République et ouvre la voie à l’instauration de l’Estado Novo , dictature sous l’autorité d’Antonio de Oliveira Salazar.
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