Le 4 juin 1989, à Pékin, l'armée chinoise disperse avec des chars et des armes lourdes les milliers d'étudiants rassemblés sur la place Tien An Men, dont certains depuis le 18 avril précédent ! Il semble que la dispersion ait fait de nombreuses victimes (plusieurs milliers selon des sources occidentales). Ce massacre dit du 4/6 (en chinois : « Liu Si ») met un terme brutal au « printemps de Pékin ».
Le mouvement étudiant a surgi en réaction à la dictature du Parti Communiste chinois (PCC), ressentie comme de plus en plus insupportable à mesure que le pays se modernise et s'ouvre sur l'extérieur. Il rappelle un autre mouvement étudiant, survenu 70 ans plus tôt en ce haut lieu du pouvoir et de la vie politique, face à la Cité interdite. Il avait cette fois-là donné naissance au Mouvement du 4-Mai, fer de lance de la démocratisation de la Chine...
Des communistes à la peine
Peu après la mort de Mao Zedong (1976), le Parti avait été pris en main par Deng Xiaoping. Il avait entrepris de libéraliser l'économie tout en maintenant la dictature du Parti dans le respect des « quatre principes fondamentaux : la voie socialiste, la dictature du prolétariat, la direction du PCC et le marxisme-léninisme-pensée Mao Zedong ».
Mais les troubles sociaux et les aspirations démocratiques des classes moyennes mettent à mal le pouvoir communiste. En novembre 1987, le conservateur Li Peng accède à la tête du gouvernement et interrompt le processus de réforme. La tension monte.
Le 15 avril 1989, est annoncée la mort mystérieuse de Hu Yaobang, un hiérarque réputé intègre et révoqué deux ans plus tôt de ses fonctions de secrétaire général du PCC. Elle soulève une grande émotion dans le camp réformateur.
On annonce par ailleurs la visite de Mikhaïl Gorbatchev le mois suivant à Pékin. Cette visite du secrétaire général du Parti Communiste d'URSS est perçue comme un encouragement à la démocratisation.
Montée de la tension
Les étudiants commencent à se rassembler sur la place Tien An Men (ou « place de la paix céleste ») dès le 27 avril dans la perspective de la commémoration du 4 mai 1919. On en comptera dans les semaines suivantes jusqu'à un million.
Le rassemblement tourne à la manifestation contre le gouvernement et en faveur de la démocratie.
Les étudiants des Beaux-Arts érigent une copie en plâtre de la statue de la Liberté de New York, baptisée « déesse de la Démocratie », au milieu de la place Tien An Men. Le 13 mai, beaucoup entament une grève de la faim. Dans les provinces et une partie de l'armée, d'aucuns expriment leur sympathie pour les étudiants. Le 17 mai, les dirigeants chinois sont obligés d'annuler la visite de Gorbatchev à la Cité interdite. Humiliation.
Deux jours plus tard, le secrétaire général du PCC Zhao Ziyang se rend sur la place et tente de dissuader les étudiants de poursuivre leur grève de la faim. Mais ce dirigeant libéral, qui aurait voulu profiter du mouvement pour démocratiser le régime, échoue dans sa médiation.
Loi martiale
C'est finalement l'habile Deng Xiaoping (85 ans) qui aura le dernier mot. Celui que l'on surnomme le « petit Timonier », en raison de sa taille et par opposition avec le « grand Timonier » (Mao Zedong), continue de tirer les ficelles avec la simple fonction de président de la commission des affaires militaires du PCC.
Le 20 mai, il obtient du Premier ministre Li Peng qu'il instaure la loi martiale. Le Premier ministre ne se fait pas prier. Il fait appel à l'armée pour dégager la place mais celle-ci est bloquée aux entrées de la ville par la foule ! Le monde entier, sidéré, voit sur les écrans de télévision un jeune homme seul au milieu de la chaussée, défiant une colonne de chars. Nouvelle humiliation.
Lasse de tergiverser, l'armée nettoie la place Tien An Men dans la nuit du 3 au 4 juin. Elle tire sur la foule paniquée et les chars font le reste. Les cadavres sont déblayés au bulldozer et incinérés. On évalue le nombre de victimes à environ 1800 morts (peut-être bien davantage) et des dizaines de milliers de blessés. Après plusieurs heures d'horreur, sur les instances du professeur Liu Xiaobao, futur Prix Nobel de la Paix, les militaires laissent les survivants quitter la place, en pleurs... Le caractère sanglant de cette tragédie sera singulièrement occulté par la célèbre photo d'un inconnu arrêtant une colonne de chars par sa seule présence (photo de Jeff Widener).
Une brutale répression s'abat sur les démocrates dans toutes les grandes villes du pays. Le leader ouvrier Han Dongfang (26 ans), activement recherché, n'a d'autre solution que de se rendre à la police. Torturé, il est extradé au bout de vingt-deux mois vers les États-Unis.
C'en est fini du « printemps de Pékin » et l'on peut craindre que la Chine communiste replonge dans les ornières du passé. Mais Deng Xiaoping voit dans les émeutes étudiantes un signal pour aller de l'avant. Décidé à moderniser la Chine, il use de son influence pour installer au secrétariat général du parti communiste chinois un libéral de vingt ans son cadet, Jiang Zemin.
En 1992, il fait entériner par le bureau politique du parti la décision d'« accélérer le rythme de la réforme et de l'ouverture » et la mise en place d'une « économie socialiste de marché ». Cet oxymore (rapprochement de deux termes contradictoires) est inscrit dans le préambule de la nouvelle Constitution en mars 1993. C'est ainsi qu'en l'espace d'une décennie, la Chine change de visage et entre de plain-pied dans la cour des Grands, jusqu'à concourir pour la première place (celle qui était la sienne jusqu'au début du XIXe siècle).
À la grande surprise des sinologues patentés et des démocrates occidentaux, ce bouleversement historique se produit sans que chancelle le régime issu de la révolution communiste de 1949. Au contraire, celui-ci s'adapte à la nouvelle donne économique et sociale avec une remarquable aisance, compte tenu du poids des défis ; la Chine populaire, avec ses 1,5 milliards d'habitants (2022), est à comparer en effet à un État qui réunirait l'Europe et la Russie, l'Afrique du Nord et le Moyen-Orient, avec les mêmes écarts de niveaux de vie et de développement.
Le régime s'est adapté en particulier en intégrant au sein du parti communiste les nouvelles élites : intellectuels aisés et entrepreneurs aisés. Elles représentent désormais 70% de ses effectifs et sont de la sorte associées au fonctionnement de la machine gouvernementale.
Un autre facteur de stabilité tient à ce que les cinq cent millions de citadins sont devenus au début du XXIe siècle propriétaires de leur logement, précédemment propriété de l'État. De la même façon, les paysans ont pu acquérir la propriété de leurs terres.
Le talon d'Achille du régime réside dans la corruption des potentats locaux. Indifférents à l'intérêt général, ceux-ci profitent de l'absence de contrôle démocratique et de la malléabilité du pouvoir judiciaire pour pressurer les classes populaires. Ainsi ne s'embarrassent-ils pas de précaution lorsqu'il y a lieu d'exproprier des terres ou des immeubles au profit d'un ami haut placé.
À défaut de mieux, les ressentiments des victimes s'expriment sur Internet. Ils n'atteignent pas encore le pouvoir central. Celui-ci a conscience du danger et peine à y répondre.
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Almonit (04-06-2022 17:08:32)
Excusez mon francais, je suis autodidacte non vivante en France. Je me référe à l'article sur le massacre sur la place Tian An Men par André Larané. Je crois que la description des évèvenements... Lire la suite
VASIONENSIS (09-06-2021 14:34:15)
Nous avons en effet été saturés de la fameuse photo que vous reproduisez, où une colonne de chars s'arrête benoîtement devant un piéton. Il est surprenant qu'il n'y en ait pas une autre sur le... Lire la suite
Hervé Camier (11-06-2012 10:23:56)
Au Forum Social Mondial 2007 Ã Nairobi, Kenya, on nous distribuait en noir et blanc, format A5, une monographie de slum (bidonville), et, 30 pages en couleur, format A4, avec nombreuses photos de ren... Lire la suite