3 avril 1976

Première Nuit des César

« Comme il se doit, je déclare la cérémonie ouverte. Voilà » déclare l'acteur Jean Gabin le 3 avril 1976 sur la scène du Palais des congrès de Paris. Ce sera sa dernière apparition publique avant son décès, quelques mois plus tard. Ce passage de témoin portera bonheur à cette cérémonie qui couronne année après année les succès d’un cinéma français encore très apprécié dans le monde.

Gardons l'espoir que le fiasco de la 45e édition, le 28 février 2020, dans la salle Pleyel (Paris) donnera à cette institution l'occasion de rebondir... 

Charlotte Chaulin

Comme les Américains

Les Américains ont créé les Oscars le 16 mai 1929 pour récompenser et promouvoir leur cinéma. Dans une timide imitation, en 1946, le magazine hebdomadaire Cinémonde crée Les Victoires du cinéma français pour récompenser les grands noms du cinéma français. Deux types de « Victoires » sont attribuées, celles délivrées par les directeurs de salles et celles délivrées par les spectateurs. Lors de la première édition, Les Pportes de la nuit de Marcel Carné remporte la première victoire et La Symphonie pastorale de Jean Delannoy la seconde.

Puis en 1955, à l’initiative du compositeur Georges Auric, sont créés les Étoiles de cristal qui supplantent peu à peu les Victoires. C’est l’adaptation du Rouge et le Noir de Claude Autant-Lara qui remporte le Grand prix de la première édition.

Dans les années 1970, enfin, le journaliste et producteur Georges Cravenne (1914-2009) fait preuve de plus d’ambition en s'alignant plus directement sur le modèle américain. « Les Oscars, je crois, sont nés en 1927 (sic). J'avais alors 13 ans, et depuis cet âge, j'ai toujours été obsédé par l'existence de ce personnage emblématique, non pas de chair et d'os, mais de bronze et de dorure, dont la réputation était planétaire », explique-t-il.

En 1974, il crée donc une association loi 1901, l'Association pour la Promotion du Cinéma (APC), sans but lucratif, et dont la vocation est de gérer l’Académie des Arts et Techniques du Cinéma, en charge de sélectionner les lauréats du prix annuel. L'Académie est fondée l'année suivante, en 1975. Elle est présidée par le réalisateur Robert Enrico à qui succèdera l’actrice Jeanne Moreau en 1986. Un an après, la première cérémonie des César voit le jour.

César invente la statuette

Pour concevoir le Saint-Graal convoité par l’ensemble du milieu du cinéma français, George Cravenne fait appel à son ami, le sculpteur César Baldaccini (1922-1998), simplement surnommé « César ». Ce nom fait tout de suite écho en lui, cinq lettres et une rime accrocheuse qui lui font penser aux Oscars.

Quand il était encore sans le sou, César avait découvert une machine étonnante chez un casseur de Gennevilliers : une grande presse hydraulique qui transformait les voitures en cubes colorés. « J’ai fait une rencontre avec les voitures compressées. Je trouve ça tellement beau et passionnant. Je voulais montrer que la machine arrivait à faire une certaine destruction, qui était aussi un ordre. (…) Une compression, c'est figuratif puisqu'il y a des anecdotes, tu t'approches et d'un seul coup tu vois que c'est une deux-chevaux, enfin il y a des éléments d'une deux-chevaux... » dira-t-il par la suite.

Pour son ami Georges Cravenne, il élabore une première statuette en 1976. C'est une silhouette masculine enroulée dans une bobine de film, copiant grossièrement celle des Oscars. Le succès n’est pas au rendez-vous et la statuette est abandonné dès la deuxième édition des César.

À la place, le sculpteur renoue avec les compressions et réalise une statuette résultant d’une compression de motifs en bronze représentant des ornementations de mobilier. Dans la fonderie Bocquel, en Normandie, 25 statuettes sont dès lors reproduites chaque année à partir du modèle d’origine. Chacune d’entre elle nécessite 15 heures de travail pour un résultat de 30 centimètres et 3,5 kilos. Un beau bébé, donc, dont le processus de fabrication n’a pas changé depuis 44 ans.

La première cérémonie

Le 3 avril 1976 à 20h30, les téléspectateurs français découvrent la première cérémonie des César, retransmise en direct sur Antenne 2. Le maître de cérémonie est Pierre Tchernia, le « Monsieur Cinéma » du petit écran, et la mise en scène est signée Jacques Demy.

La diffusion à la télévision n’est pas anodine, elle marque l’apaisement des tensions entre le cinéma et la télévision.

Pierre Tchernia ne cache pas le défi : « Cette manifestation organisée par George Cravenne s’appelle la Nuit des César. Et la Nuit des César, elle a une ambition, c’est de permettre d’offrir au public français chaque année l’équivalent des Oscars américains. Les Oscars américains que l’on attribue depuis longtemps chaque année. »

Les plages musicales de cette soirée ne laissent pas d'impressionner : Serge Reggiani, Michel Legrand, Marie Laforêt... La chanteuse américaine Diana Ross fait office de passage de témoin entre les Oscars et les César (au singulier !).

Pour cette première édition comme pour celles qui vont suivre, certains « couacs » sont au rendez-vous. Ce sont « les aléas du direct ». Ainsi, Isabelle Adjani, qui a été nommée ou nominée, c'est-à-dire présélectionnée, pour le César de la meilleure actrice, se lève avant qu'on annonce la gagnante... et c'est en définitive Romy Schneider qui obtient le prix.

Lorsqu'elle reçoit le César pour son rôle dans L’important c’est d’aimer, elle a mot pour son mentor qui s’est éteint un mois avant la cérémonie : « Je vous remercie beaucoup. Je suis très heureuse et très fière. Et j'ai envie de vous dire que je pense spécialement à un homme ce soir, qui m'a appris mon métier, qui était mon maître et qui était mon très grand ami et qui sera content pour moi. C'est Luchino Visconti. »

Mais les réactions sur cette nouvelle cérémonie sont mitigées dans le milieu du cinéma qui n'y voit qu'un vulgaire « copier-coller » de ce qu'il se fait Outre-Atlantique.

L'acteur Jean Rochefort s'en souvient : « J'ai reçu la première récompense le 3 avril 1976. Ce n’était pas cette compression géniale mais un petit mec qui dévidait une bobine de film : très premier degré. J'étais le cobaye et, quand je suis monté sur scène pour ramasser mon jouet, l'atmosphère était tendue ! Certains esprits forts n'y voyaient qu'une imitation des Oscars. Quand je suis allé taper sur l’épaule de Gabin, président renfrogné, il s'en est retourné brusquement : " Ah, c'est toi Rochefort ! Si ç'avait été un journaliste, je lui aurais collé une mandale. " Moi qui espérais un petit compliment de circonstance… »

Le 3 avril 1976, 13 statuettes sont remises (contre 21 aujourd’hui). La catégorie Meilleur espoir, par exemple, n’existait pas encore. Elle naîtra en 1983 sous l’appellation de « Meilleur Jeune Espoir Masculin » et « Meilleur Jeune Espoir Féminin » jusqu’à ce qu’on décide d’enlever le terme jeune pour célébrer un talent sans prendre en compte de l’âge.

Au fil des années, des catégories ont vu le jour, d’autres ont disparu. C’est le cas de la catégorie « Meilleure Affiche », au programme entre 1986 et 1990 ou encore du « Meilleur Film de l’Union Européenne », décerné entre 2003 et 2006. Le cinéma d’animation, lui, a fait son grand retour en 2011.

Même si la célèbre statuette nommée César comme son créateur est abandonnée pour un nouveau modèle dès l’année suivante, on peut dire que ce fut un coup d’essai réussi car la cérémonie a trouvé sa place dans le paysage cinématographique français.

Le vœu de l'actrice Ingrid Bergman, qui souhaitait « une longue et heureuse vie aux César. Et quand ils grandiront, ils prendront une grande importance pour le cinéma français et aussi pour le cinéma mondial. », fut exaucé. Mais combien de temps cela va-t-il durer ?

Un fonctionnement contesté

L'attribution des César, chaque année, relève de l'« Académie des César » fondée en 1975. Elle compte à ce jour environ 4500 jurés qui appartiennent à toutes les professions du cinéma : producteurs, acteurs, électriciens etc. Leur liste est confidentielle même si l'on peut citer tel ou tel d'entre eux.  Tous ces jurés reçoivent en décembre environ 150 DVD de films français ou à dominante française sortis dans l'année et destinés à concourir. Ils font une présélection et c'est ensuite la sélection finale des lauréats qui sera annoncée au cours de la cérémonie. 

La gestion de l'académie est à la charge de l'association APC, laquelle compte une cinquantaine de membres et a confié sa logistique à une société commerciale, Europe Cinéma Événement (ECE). Les ressources d'APC viennent des cotisations des jurés (70 euros par an) ainsi des cotisations des producteurs (7000 euros) et des droits de diffusion de la chaîne Canal Plus, qui s'est assurée l'exclusivité de la diffusion de la cérémonie (plus d'un million d'euros).

Alain Terzian, président de l'Académie des César de 2003 à 2020, DRLe prestige et les ressources de l'Académie des César ne sont pas sans susciter des convoitises. Après la mort en 2003 du producteur Daniel Toscan du Plantier, la présidence de l'institution et de l'association est revenue à un autre producteur à succès, Alain Terzian.

Son autoritarisme et surtout son attitude équivoque et brutale à l'égard de la gent féminine lui ont valu d'être emporté par la vague #metoo. À la veille de la 45e cérémonie des César, en février 2020, 200 personnalités ont dénoncé son attitude et le fonctionnement de l'Académie des César dans une lettre ouverte publiée dans le quotidien Le Monde. La réalisatrice Céline Sciamma, l’acteur Omar Sy ou encore l’actrice Adèle Exarchopoulos ont exigé plus de démocratie au sein de l’Académie des Arts et techniques.

Cette fronde est arrivée d’autant plus mal que l’Académie était déjà fragilisée par les accusations d'agressions sexuelles portées contre Roman Polanski alors que son film croulait sous les nominations, douze au total… L’ensemble de la direction de l’Académie a donc décidé de démissionner le 13 février 2020, entraînant son président dans sa chute.

Malgré leur retentissement, ces remous ont cependant peu de chance d’abattre ce rendez-vous désormais incontournable du cinéma français.

Le premier palmarès des César en 1976

Meilleur film : Le Vieux Fusil de Robert Enrico
Meilleur réalisateur : Bertrand Tavernier pour Que la fête commence
Meilleure actrice : Romy Schneider pour le rôle de Nadine Chevalier dans L'important c'est d'aimer
Meilleur acteur : Philippe Noiret pour le rôle de Julien Dandieu dans Le Vieux Fusil
Meilleure actrice dans un second rôle : Marie-France Pisier pour le rôle de Marthe dans Cousin, cousine et ce lui de Régina dans Souvenirs d'en France
Meilleur acteur dans un second rôle : Jean Rochefort pour le rôle de l'abbé Dubois dans Que la fête commence
Meilleur scénario original ou adaptation : Bertrand Tavernier et Jean Aurenche pour Que la fête commence
Meilleure musique écrite pour un film : François de Roubaix pour Le Vieux Fusil (à titre posthume, François de Roubaix étant décédé avant la sortie du film)
Meilleur son : Nara Kollery et Luc Perini pour Black moon
Meilleure photographie : Sven Nykvist pour Black moon
Meilleur montage : Geneviève Winding pour Sept morts sur ordonnance
Meilleurs décors : Pierre Guffroy pour Que la fête commence
Meilleur film étranger : Parfum de femme de Dino Risi
César d’honneur : Diana Ross et Ingrid Bergman

Publié ou mis à jour le : 2023-03-10 13:41:59

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