3 août 1941

Mgr von Galen dénonce l'euthanasie

Mgr Clemens-August von Galen, comte-évêque de Munster (1878-1946)Le dimanche 3 août 1941, dans la cathédrale Saint-Lambert de Münster, une ville du nord de la Rhénanie, l'évêque catholique dénonce avec force le meurtre organisé des handicapés par les nazis.

C'est la première fois qu'une personnalité allemande s'en prend publiquement à la politique de Hitler. Le fait est d'autant plus remarquable qu'il survient quelques semaines après l'entrée en guerre de l'Allemagne contre l'URSS.

L'auteur de ce sermon est le comte-évêque de Münster, Mgr Clemens-August von Galen (68 ans). Il lance du haut de sa chaire : « C'est une doctrine effrayante que celle qui cherche à justifier le meurtre d'innocents, qui autorise l'extermination de ceux qui ne sont plus capables de travailler, les infirmes, de ceux qui ont sombré dans la sénilité... N'a-t-on le droit de vivre qu'aussi longtemps que nous sommes productifs ? ».

André Larané
Une idéologie « progressiste »

Le massacre délibéré des handicapés par l'administration allemande est l'aboutissement monstrueux d'une idéologie « de progrès », le darwinisme social, une perversion de la théorie de la sélection naturelle de Charles Darwin.

À la fin du XIXe siècle et au début du XXe siècle au nom de la selection naturelle, il n'était pas choquant que les êtres les plus faibles disparaissent au profit des êtres les mieux armés pour survivre. Cette démarche scientiste s'avère en totale rupture avec l'éthique chrétienne qui avait jusque-là dominé en Europe.

Les « progressistes » de tous bords s'accommodent de l'eugénisme, c'est-à-dire l'amélioration de l'espèce humaine par une sélection à la naissance ou à la conception, à la façon dont procèdent de toute éternité les éleveurs de bétail.

C'est ainsi qu'au début du XXe siècle sont édictées dans certains États américains (Indiana, 1907) des lois qui permettent à l'administration de stériliser d'office, dans l'intérêt de la société, les personnes simples d'esprit ou handicapées, sans recours possible pour les familles et les tuteurs. Le gouvernement social-démocrate de Suède prend des lois dans le même sens en 1922 sans que cela choque le moins du monde l'opinion éclairée d'Europe.

Une décennie plus tard, Hitler, en Allemagne, édicte à son tour des lois similaires contre les handicapés. Le 14 juillet 1933 est publiée la loi sur la stérilisation des handicapés mentaux, dont on estime qu'elle affectera au total 450 000 individus... Il n'y a de protestations que dans le haut clergé.

Propagande raciste de 1935. DR

De l'exclusion à l'extermination

Les lois eugénistes de 1933 contre les handicapés et les lois antisémites de 1935 visent à protéger la « pureté » de la race germanique. Avec ces lois du temps de paix, il n'est pas encore question d'extermination physique.

L'élimination des handicapés prend effet avec une instruction secrète de Hitler qui ordonne « d'accorder la délivrance par la mise à mort [Gnadentod] des malades qui, dans les limites du jugement humain et après un examen médical approfondi, auront été déclarés incurables » (cette définition est celle de l'euthanasie active).

Sont visés les malades mentaux, handicapés, séniles, aliénés, dépressifs, marginaux... Le prétexte est de libérer des lits d'hôpitaux pour les futurs blessés de guerre. Dans les faits, il semble que Hitler voulait depuis une décennie déjà améliorer de cette façon la race allemande.

Boulher serrant la main d'Hitler en 1938. DR

L'instruction, qui date de la fin de l'année 1939, est datée rétroactivement par le Führer du 1er septembre 1939, jour de l'entrée en guerre de l'Allemagne contre la Pologne et début de la Seconde Guerre mondiale...

Une manière pour Hitler de signifier que la guerre change toutes les règles (de la même façon, le Führer persistera plus tard à postdater du 1er septembre 1939 son premier discours relatif à l'élimination physique des Juifs).

Hitler confie l'opération à Karl Brandt, son médecin personnel, et à Philip Bouhler, chef de la chancellerie. Ceux-ci installent leur activité sous des noms anodins au n°4 de la Tiergartenstrasse, à Berlin, d'où son nom de code « Aktion T4 ». Y sont associés des psychiatres dont certains sont titulaires de chaires universitaires.

Les fonctionnaires du T4 expérimentent différents moyens de tuerie, dont le poison, avant de découvrir le gaz. Dans un premier temps, ils enferment leurs victimes dans un local et y injectent les gaz d'échappement d'un camion.

Très vite, le procédé se perfectionne. En janvier 1940, à Brandenburg, une quinzaine de malheureux sont conduits dans une fausse douche et asphyxiés au monoxyde de carbone. Les cadavres sont ensuite incinérés. Leurs familles sont avisées par lettre de la mort accidentelle de leur parent et invitées à récupérer les cendres. C'est une anticipation des chambres à gaz d'Auschwitz et d'ailleurs.

Déplacement de malade entre 1940 et 1942 DREnviron 70 000 à 100 000 handicapés vont être ainsi assassinés en moins de deux ans dans des lieux tels que Hadamar, le château de Grafeneck, près de Stuttgart, Brandenburg, Hartheim (Autriche), Sonnenstein (près de Dresde), Bernburg. Malgré tous les efforts de l'administration, le secret est vite éventé. Les directeurs des asiles psychiatriques commencent à s'alarmer de voir partir leurs malades en autocar pour un voyage sans retour.

De même les familles qui reçoivent en nombre croissant des avis de décès. Et les voisins des centres d'extermination qui s'alarment des autocars repartant vides et de la fumée s'échappant des fours.

Malheureusement, les efforts des uns et des autres pour empêcher les transferts de malades se heurtent au mur de l'administration. Il n'y a guère que le pasteur Fritz von Bodelschwingh, directeur d'un centre pour épileptiques à Bethel, en Westphalie, qui parvient à sauver ses 8 000 malades grâce à un contact personnel avec Karl Brandt.

La montée des protestations

Les plaintes auprès des tribunaux se multiplient pendant l'année 1940. L'inquiétude monte... Jusque dans l'armée où l'on s'alarme du sort que l'on réserve aux grands blessés de guerre. Des pasteurs protestants commencent à réagir. L'évêque protestant du Wurtemberg, Theophil Wurm, envoie, le 5 juillet 1940, une lettre au ministre de l'Intérieur, Heinrich Himmler. Dans le clergé catholique, prêtres et religieuses poussent leurs supérieurs à réagir. Mais ceux-ci se contentent, comme leurs homologues protestants, d'adresser des lettres aux ministres. Ils craignent un affrontement frontal avec le régime nazi.

Le pape Pie XII s'en mêle et, le 15 décembre 1940, il condamne fermement l'euthanasie. Enfin, le 9 mars 1941, l'évêque catholique de Berlin von Preysing dénonce en chaire les « meurtres baptisés euthanasie ». Mais le véritable coup d'éclat vient de l'évêque de Münster. Aristocrate, patriote et ancien combattant, il s'en est tenu jusque-là à une critique raisonnée du régime nazi.

En juillet, il commence à condamner les brutalités de la Gestapo. Vient le sermon célèbre du 3 août 1941 dans lequel il appelle à la résistance civile : « Avec ceux qui veulent continuer à provoquer la justice divine, qui blasphèment notre foi, qui volent et chassent nos religieux et avec ceux qui livrent à la mort des hommes innocents, frères et soeurs, nous devons éviter tout contact suivi. Nous voulons nous soustraire à leur influence afin de ne pas être contaminés par leurs pensées et leurs actions impies, afin que nous ne soyons pas complices et que nous ne partagions pas avec eux la punition que le Dieu juste doit prononcer et prononcera à l'égard de tous ceux qui, comme l'ingrate Jérusalem, ne veulent pas ce que Dieu veut ».

Von Galen multiplie dès lors les protestations publiques. Ses sermons sont copiés et diffusés jusque sur le front... avec le concours empressé de la radio de Londres et des avions de la Royal Air Force qui lâchent des tracts sur l'Allemagne.

En France, ils sont édités par un journal clandestin, Les Cahiers de Témoignage chrétien. À Berlin, le régime s'inquiète. Martin Bormann, chef de la chancellerie, préconise l'assassinat de l'évêque. Mais Joseph Goebbels, chef de la propagande, s'y oppose car il s'ensuivrait un conflit ouvert entre le régime nazi et les chrétiens de la région de Münster. Finalement, trois semaines après le coup d'éclat de Mgr von Galen, le 24 août 1941, Hitler se résigne à suspendre l'« Aktion T4 ».

La centaine de fonctionnaires du T4 ne restent pas, hélas, au chômage. Quelques semaines plus tard, Heinrich Himmler, ministre de l'Intérieur et chef suprême (Reichsführer) de la SS, fait appel à leur « expertise » pour mettre sur pied l'élimination physique des Juifs. Lui-même avait confié à des groupes d'intervention de SS (Einzatsgruppen) le massacre à grande échelle des Juifs en Pologne et en URSS mais ces tueries à la mitrailleuse ont un rendement insuffisant, suscitent la réprobation dans l'armée et génèrent, qui plus est, des troubles psychosomatiques chez les SS... et chez Himmler lui-même. La Shoah apparaît ainsi comme la continuation du crime d'euthanasie contre les handicapés... et elle ne bénéficiera pas d'une mobilisation aussi intense des milieux chrétiens.

L'Aktion T4 entre l'année 1940 et 1942. DR

Épilogue

« L'émotion suscitée par le programme d'élimination des malades mentaux fut la preuve que, lorsque certaines des plus hautes autorités morales du pays entendaient affirmerpubliquement leur désaccord avec le régime, celui-ci se sentait contraint de réviser ses plans. A cet égard, les archives de la Gestapo montrent que le régime craignait beaucoup plus les activités des Églises que celles du parti communiste; il estimait que la protestation des autorités religieuses était de nature à mobiliser les masses allemandes » écrit l'historien Jacques Semelin.

A la fin de la Seconde Guerre mondiale, le vieil évêque de Münster, surnommé le « lion de Münster », est fêté par les citoyens de sa ville qui honorent ainsi sa résistance au nazisme. Il est fait cardinal par le pape Pie XII le 20 février 1946... quelques semaines avant son décès. Le dimanche 9 octobre 2005, il a été béatifié à Rome par le pape Benoît XVI, premier pape allemand de l'Histoire.

Mais le courage du « lion de Münster » ne saurait faire oublier les compromissions de certains autres évêques, en particulier ceux de Passau et Mayence qui, le 2 juin 1942, décidèrent dans un mémorandum commun de supprimer dans la liturgie les références aux noms juifs de l'Ancien Testament.

Karl Brandt lors du procès de Nuremberg. DR

Bibliographie

Je ne saurais trop recommander la lecture de l'excellent livre de Jacques Semelin auquel le récit ci-dessus doit beaucoup : Sans armes face à Hitler, La résistance civile en Europe 1939-1943 (Bibliothèque historique Payot, 1989).

On peut aussi lire avec intérêt « Nous pouvons vivre sans les Juifs », Novembre 1941 ou Quand et comment ils décidèrent de la Solution finale (Perrin, 2005).

Publié ou mis à jour le : 2020-11-22 19:54:18
Patrick d’Epenoux (17-09-2019 12:54:18)

Anti-démocrate, opposé à la République de Weimar, défenseur de la théorie du Dolchstoss, l’opposition sélective de l’évêque von Galen à certains éléments du nazisme n’a en aucun cas ... Lire la suite

pg (20-07-2013 18:38:50)

Dans la bibliographie, on peut également citer l'ouvrage de Gilbert MERLIO "Les résistances allemandes à Hitler" paru en 2003 chez Tallandier.

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