30 septembre 1965

En Indonésie, une tragédie amène Suharto au pouvoir

La nuit du 30 septembre au 1er octobre 1965 marque un tournant dans l'histoire de l'Indonésie contemporaine.

Des militaires liés au parti communiste se rebellent contre Ahmed Sukarno, au pouvoir depuis l'indépendance (1945). Leur soulèvement est brutalement réprimé au prix de 600 000 à 1,2 million de morts par le général Mohammed Suharto. Se présentant comme le restaurateur de l'ordre, il s'installe d'autorité à la tête de l'État.

Béatrice Roman-Amat
Répression anticommuniste de Suharto en Indonésie en 1965

De la Démocratie Dirigée à l'Ordre Nouveau

Le 30 septembre 1965, des officiers de la garde personnelle de Sukarno commandés par le lieutenant-colonnel Untung tentent de prendre le pouvoir à Jakarta. Ils prétendent protéger le président, qui serait menacé par un coup d'État de militaires réactionnaires et de la CIA (les services secrets américains). C'est ainsi qu'ils kidnappent et assassinent six généraux anti-communistes et mettent sur pied un « conseil de la révolution ». Mais Sukarno ne soutient pas leur mouvement.

En réaction, le général Mohammed Suharto (on écrit aussi Soeharto), chef des forces stratégiques de réserve, s'allie au général Nasution, orienté à droite et ancien allié de Sukarno. Il accuse les communistes du PKI d'être à l'origine du soulèvement militaire, surnommé le « mouvement du 30 septembre ». Ses responsables sont affublés du sigle « Gestapu ».

Très rapidement, Suharto reprend le contrôle de l'armée et écrase la rébellion. Dès le 2 octobre, le mouvement du 30 septembre a indubitablement échoué.

Mais Suharto ne s'en tient pas là. Il se lance dans des représailles féroces. En 1965 et 1966, les communistes et tous ceux accusés d'être de près ou de loin des sympathisants du PKI sont massacrés, parfois par l'armée, parfois par des groupes anti-communistes locaux, notamment musulmans. Le nombre de morts est difficile à évaluer. Il serait compris entre 600 000 et 1,2 million de personnes. Dans certaines campagnes reculées, les massacres se poursuivent jusqu'en 1969.

En mars 1966, Suharto obtient de Sukarno un mandat pour exercer temporairement le pouvoir en son nom. Le parti communiste est interdit, ainsi que les journaux de gauche. Suharto devient officiellement président en 1968. Sukarno meurt à 69 ans, le 21 juin 1970 tandis que son « tombeur » met en place l'« Ordre Nouveau » et se fait réélire par le Parlement en 1973, 1978, 1983, 1988, 1993 et 1998.

Suharto, visage de l'Indonésie pendant 32 ans

Portrait officiel de Soeharto ou Suharto (1921-2008), au pouvoir de 1965 à 1998Suharto est né en 1921 près de Jogjakarta (ou Yogyakarta), dans le centre de l'île de Java. Certains de ses biographes avancent qu'il serait le fils illégitime d'un aristocrate de Jogjakarta pour justifier la bonne éducation qu'il reçoit, alors qu'il grandit au milieu de modestes paysans.

Ayant suivi une formation dans l'armée coloniale hollandaise, il rejoint l'armée japonaise en 1943. Après la reddition des Japonais en 1945, il combat les Hollandais dans la jeune armée indonésienne. Montant progressivement les échelons de l'armée indonésienne après le départ des Hollandais, il devient général en 1960.

Son accession au pouvoir révèle une poigne de fer. Au contraire de Sukarno, Suharto s'emploie à dépolitiser la population.

Selon la théorie des « masses flottantes », la société doit se détourner de la politique en dehors des phases d'élection, pour ne se concentrer que sur le développement économique, priorité absolue de Suharto. Il parvient à attirer les investissements étrangers et à rétablir une inflation à un chiffre.

Les premières élections depuis 1965 ont lieu en 1971. Le Golkar, parti de Suharto, recueille la moitié des votes. L'opposition est structurée en deux partis, les seuls à être autorisés : un parti laïc (le PDI de Megawati Sukarnoputri, fille de Sukarno) et un parti musulman (le PPP). Suharto mène par ailleurs une politique étrangère radicalement différente de celle de Sukarno ; il met fin à la politique de confrontation avec la Malaisie et gèle les relations avec la Chine. En 1975, l'Indonésie envahit violemment le Timor oriental, qui devient la 27e province du pays.

Assez semblable au régime mis en place en Espagne par le général Franco, l'Ordre Nouveau promeut l'activité économique mais c'est un régime autoritaire et brutal, gangrené par la corruption et qui étouffe la société civile. Celle-ci se réveille à la fin des années 1990.

La question chinoise

Les Indonésiens d'origine chinoise, qu'ils soient chrétiens, confucianistes ou bouddhistes, constituent 1% de la population et sont pour beaucoup installés dans le pays depuis plusieurs siècles.
Ils se voient régulièrement reprocher leurs particularismes religieux, leur dynamisme et la réussite éclatante de certains (40 Sino-Indonésiens figurent parmi les cinquante plus grosses fortunes du pays).
À l'image des juifs en Europe et dans le monde méditerranéen, ils font régulièrement figure de boucs émissaires lors des bouffées d'humeur politiques et sociales : pogroms, pillages, viols et meurtres.

L'Indonésie après 1998

La crise financière asiatique de 1997 entraîne en Indonésie des manifestations et émeutes massives. Il s'ensuit la démission de Suharto le 14 mai 1998 (l'ex-dictateur s'éteindra à 86 ans le 27 janvier 2008).

Le pays entame alors une lente transition démocratique, marquée par le renouveau des tensions séparatistes, notamment dans l'ancien sultanat d'Aceh, au nord de Sumatra, et en Papouasie occidentale. 

En 2014, Joko Widodo, 54 ans, accède à la présidence de la République. Fréquemment comparé à Barack Obama pour son charisme, il veut porter témoignage de l'entrée de son pays dans la modernité.  

Bien qu'encore très pauvre, l'Indonésie bénéficie de la formidable expansion économique de l'Asie orientale en ce début du XXIe siècle. Elle tire parti d'une main-d'oeuvre nombreuse et peu coûteuse ainsi que d'importantes ressources pétrolières et agro-forestières.

Premier pays musulman du monde, l'Indonésie est toutefois restée à ce jour épargnée par la poussée islamiste, même si le voile intégral et les pratiques salafistes font ici comme ailleurs des émules. On évalue au total à deux cents environ le nombre d'Indonésiens partis combattre dans les rangs de l'État islamique (contre un millier de Français). 

Le pays, comme le reste de l'Asie des moussons, continue de pratiquer une religion syncrétique et tolérante, pénétrée de pratiques hindouistes, bouddhistes et animistes. Mais il serait imprudent d'en tirer des conclusions sur l'avenir.  

Publié ou mis à jour le : 2025-07-03 16:43:20
Observateur (24-07-2017 06:52:32)

Il manque un épisode: L'étrange voyage des Saoud, avec une suite impressionnante et force démonstrations d'apparat (un millier de personnes, 460 tonnes de bagage). C'est un cas unique, ce qui mér... Lire la suite

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