Le 28 mars 1939, les « nationalistes » espagnols entrent à Madrid. Ils font le défilé de la victoire devant leur chef ou caudillo, Francisco Franco y Bahamonde, un général de 46 ans.
C'est la fin d'une guerre civile de trois ans qui aura coûté à l'Espagne plus de 400 000 morts, dont la moitié de fusillés. C'est aussi la fin de la « République démocratique des travailleurs de toutes classes », née en 1931. Ce n'est pas pour autant le retour de la paix civile en Espagne.
Immense tragédie
Le malheureux pays aura servi de champ de bataille et de terrain de manoeuvres à toutes les factions antidémocratiques d'Europe, des hitlériens aux anarchistes en passant par les fascistes, les staliniens et les trotskistes. Les interventions brouillonnes des volontaires et des combattants étrangers n'auront permis que de reculer de plusieurs mois la victoire des nacionales sans jamais donner une chance sérieuse aux republicanos de l'emporter.
Quand se précise la victoire des « nationalistes », de longues colonnes de réfugiés républicains se pressent à la frontière des Pyrénées et demandent asile en France. C'est la « Retirada ».
Pris au dépourvu par un afflux beaucoup plus important qu'il ne le prévoyait, le gouvernement français accueille les malheureux tant bien que mal et les dissémine dans les villages du Sud-Ouest. Beaucoup sont cantonnés dans des camps de fortune jusqu'à la Seconde Guerre mondiale. Dans l'ensemble, ces réfugiés se montrent réconfortés par l'accueil reçu en France (note).
Un certain nombre poursuivent leur route jusqu'au Mexique, voire l'URSS, attirés par les bonnes promesses de Staline.
Moins chanceux sont les 15 000 réfugiés qui ont afflué vers le port d'Alicante dans l'espoir d'y embarquer sur des navires.
Pris au piège, ils sont cernés par les troupes italiennes alliées aux franquistes. Beaucoup choisissent de se suicider sur place, sous les yeux de la population. Les autres sont envoyés dans des camps de concentration ou massacrés.
Le 1er avril 1939, Franco publie un laconique communiqué de victoire : « La guerre est finie ». Deux semaines plus tôt, le 15 mars, Hitler est entré à Prague. Le 7 avril suivant, Mussolini lance ses troupes à l'attaque de l'Albanie. L'Europe et le monde n'en sont qu'aux prémices d'une immense tragédie...
Amère victoire
Fort de sa victoire, Franco instaure en Espagne un régime autoritaire et corporatiste semblable au régime mussolinien, mais avec une présence plus marquée de la hiérarchie catholique. Les institutions prennent la forme d'une monarchie... sans roi (comme en Hongrie, quelques années plus tôt, sous le régent Horthy).
Pour asseoir son autorité, Franco s'appuie sur les militants de la Falange, le parti para-militaire fondé par José Antonio Primo de Rivera (note). Au départ antimonarchiste, la Falange est contrainte de s'aligner sur le pouvoir. Son président n'est autre que le beau-frère du caudillo, Serrano Suner. Elle en vient à compter 500 000 membres dont une majorité d'opportunistes.
Comme s'il voulait enlever définitivement à son peuple l'envie de se déchirer à nouveau, Franco va multiplier les emprisonnements et les exécutions sommaires dans les années suivantes. Cette répression va faire autant de victimes que la guerre elle-même, soit environ 400 000.
Au total, guerre civile et répression auront entraîné la mort d'environ un million de personnes, dont une partie du fait de manultrition ou de maladie, ainsi que l'exil d'un demi-million d'autres Espagnols. C'est un bilan très lourd pour un pays de 31 millions d'habitants (1931), beaucoup plus lourd que, par exemple, celui de la Seconde Guerre mondiale en France.
Neutralité bienvenue
Invoquant l'épuisement de son pays, le caudillo proclame sa neutralité dès le début du conflit entre l'Allemagne et les Occidentaux. Il se tient prudemment à l'écart de la Seconde guerre mondiale. C'est ainsi qu'il renvoie Hitler sans façon quand celui-ci vient lui demander la permission de traverser son pays pour enlever Gibraltar aux Anglais. Il se contente d'envoyer quelques troupes combattre les « hordes soviétiques ».
Cette réserve doublée d'un brevet d'anticommunisme vaut au franquisme de survivre à l'effondrement de l'Axe Berlin-Rome, mais au prix d'un long isolement diplomatique.
En 1957, dans une conjoncture difficile marquée par un hiver très froid, une crise institutionnelle et une grève étudiante, il se résout à prêter l'oreille aux propositions de quelques diplômés de Harvard, par ailleurs membres de l'organisation catholique Opus Dei. Ils convainquent le caudillo de mettre fin à l'autarcie économique qui asphyxie le pays. C'est un succès. Avec l'ouverture des frontières aux marchandises... et aux touristes, les Espagnols voient leur niveau de vie s'élever à grande vitesse.
Franco s'attribue indûment ce succès, ce qui lui vaut une popularité certaine dans les années 1960. Mais les dernières années de sa vie sont ternies par la répression brutale des autonomistes basques et l'exécution à Burgos de plusieurs dissidents politiques.
Le 20 novembre 1975, à 83 ans, Francisco Franco y Bahamonde meurt après un mois d'une interminable agonie. Sa disparition après quarante ans de pouvoir sans partage génère en Espagne et dans le monde occidental des sentiments mêlés d'espoir et de crainte. Beaucoup de gens appréhendent le retour des fantômes de la guerre civile.
Peu osent alors parier sur le succès de Juan Carlos de Bourbon, désigné par l'ancien dictateur pour lui succéder avec le titre de roi. On ne se gêne pas dans le pays pour le traiter publiquement de « tonto » (idiot). Juan Carlos 1er, fort de sa connaissance intime du peuple espagnol, au sein duquel il a été éduqué et formé, saura en définitive conduire le pays vers la démocratie.
Vos réactions à cet article
Recommander cet article
Voir les 7 commentaires sur cet article
Erik (28-03-2021 13:15:17)
@jarrige Tout-à -fait d'accord avec vous. L'accueil fait aux Espagnol fuyant la répression fut ce qu'elle fut et avec les moyens du bord. Je connais peu d'Espagnols qui se plaignent de ce qu'ils ... Lire la suite
jarrige (11-04-2019 18:37:36)
Commentaire des commentaires. Il y a en France les plus nombreuses communautés d'origine maghrébine, arménienne, malienne, juive, d'autres encore, mais on continue de dire que nous accueillons mal... Lire la suite
mbes@wanadoo.fr (31-03-2019 10:08:41)
Le ton très neutre de cet article ne reflète pas le climat de terreur qui a régné pendant 20 ans en Espagne, ni l'accueil indigne des réfugiés espagnols par la France