Le dimanche 29 mai 2005, au terme d'un débat démocratique d'une exceptionnelle vitalité, le peuple français rejette à une écrasante majorité (55%) le traité constitutionnel européen, pourtant encensé par la quasi-totalité des médias et de la classe dirigeante. Le 2 juin suivant, le peuple hollandais rejette à son tour le traité.
Le projet a été rédigé par une centaine de personnes choisies par leurs pairs (gouvernants, hauts fonctionnaires, parlementaires européens ou nationaux...), sous la présidence de Valéry Giscard d'Estaing.
Cette « Convention » a pris acte de l'échec des sommets européens d'Amsterdam (1997) et de Nice (2001) et s'est donnée pour objectif : 1) rétablir l'équilibre des pouvoirs entre grands et petits États membres, 2) simplifier les processus de prise de décision, 3) doter l'Union d'une véritable politique étrangère et de défense, 4) relancer la symbolique européenne.
Les promoteurs du traité ne doutaient donc pas de son acceptation par les citoyens français, au vu des premiers sondages (60% d'avis favorables). D'ailleurs, les Espagnols eux-mêmes l'avaient peu avant accepté à une très confortable majorité quoiqu'une majorité se soient abstenus.
Du doute au rejet
Mais le doute s'insinue dans l'opinion après une saillie de l'ancien Premier ministre socialiste Laurent Fabius. À la surprise générale, il se prononce pour le Non sur un plateau télévisé.
Le débat monte en intensité et les sceptiques s'arrachent l'édition de poche du traité. Plus de 200 000 exemplaires sont vendus malgré le caractère on ne peut plus aride de ses 300 pages.
À la suite de Laurent Fabius, l'extrême gauche dénonce un traité qui grave dans le marbre le principe néolibéral selon lequel le bien-être commun reposerait sur une « concurrence libre et non faussée ». De son côté, l'opposition de droite au traité s'indigne de la volonté des instances européennes de faire entrer la Turquie islamiste d'Erdogan dans l'Union européenne.
C'est la conjugaison de ces deux courants qui va faire basculer la majorité.
Le résultat du scrutin consterne la classe politique et médiatique qui croit y voir la victoire de l'ignorance et du populisme (les hommes politiques qualifient de « populiste » tout mouvement qui leur est opposé et bénéficie, au contraire d'eux, de la faveur de l'opinion).
Le président de la République Jacques Chirac, gravement désavoué, écarte avec désinvolture toute idée de démission à l'image de son augustre prédécesseur, le général de Gaulle. Il exclut également une dissolution de l'Assemblée nationale dont les membres avaient pourtant approuvé à 90% le projet de traité constitutionnel et sont donc désavoués par leurs électeurs.
Après le vote également négatif des Néerlandais, les autres gouvernements de l'Union, y compris le gouvernement britannique, annulent les projets similaires de référendum. Déjà s'organise la riposte.
Contre-offensive de la classe dirigeante
Il ne faudra que deux ans aux dirigeants français et européens pour remettre le traité en selle. Sous le nom de « traité modificatif », le texte est ratifié à Lisbonne, le 13 décembre 2007, par les dirigeants des vingt-sept États membres de l'Union, lesquels se gardent de prendre à nouveau l'avis de leurs concitoyens.
Le traité de Lisbonne apparaît dans la forme très différent du projet constitutionnel mais en conserve l'essence. Les articles du Titre III du projet initial, redondants avec des textes antérieurs, sont éliminés pour la forme du traité de Lisbonne, ce qui fait dire au président français Nicolas Sarkozy que le nouveau texte n'est plus qu'un « mini-traité ». Avec plus de franchise, la chancelière Angela Merkel se félicite qu'il reprenne intégralement le projet constitutionnel.
Depuis ce tour de passe-passe, les grandes orientations politiques, au niveau national et plus encore européen, échappent aux citoyens. Le système électoral tourne à vide, sans plus aucune chance d'influer sur elles. L'abstention et le vote « eurosceptique » deviennent largement majoritaires comme lors des élections de 2014 au Parlement de Strasbourg. Des penseurs évoquent l'entrée de l'Europe dans une ère post-démocratique...
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Voir les 12 commentaires sur cet article
Ouallonsnous ? (30-05-2024 23:16:59)
En réponse à AvaGardner Attention avec Asselineau, il semblerait qu'après avoir combattu l'Union européiste bec et ongles, il se soit rendu coupable d'un "retournement de veste" inattendu en mena... Lire la suite
Ty bihan (29-05-2024 18:23:36)
Merci pour cet article. Le non respect du vote majoritaire ( 55 % pour le non) explique que je ne vote plus jamais lors des élections européennes.
Rémy Volpi (29-05-2023 10:06:18)
Ce rejet du traité constitutionnel, qui vient écho au niet du parlement français, en août 1954, à la signature de la Communauté Européenne de Défense proposée en 1952 par le Français René P... Lire la suite