29 juin 1880

Tahiti devient colonie française

Au cœur du Pacifique, à l’antipode de la France, Tahiti est devenue française il y a près de 150 ans. Avec elle, c’est un ensemble de 118 îles regroupées en cinq archipels : la Société, les Tuamotu, les Gambier, les Marquises et les Australes, qui entre sous la coupe de la France le 29 juin 1880.

Cet ensemble couvrant un vaste espace de cinq millions de km², composé d’une poussière d’îles et de gigantesques étendues maritimes, prit le nom d’Établissement français de l’Océanie (EFO) entre 1842 et 1957, avant de devenir le territoire d’outre-mer, ou plus précisément le pays d’outre-mer, que nous connaissons aujourd’hui sous le nom de Polynésie française.

Matthias Mauvais

Un pêcheur à l'embourchure de la rivière Tautira, Tahiti, John La Farge, vers 1895, Washington, National Gallery of Art.

Tahiti et ses habitants

Tahiti est une île de 1042km² formée par deux volcans éteints réunis l’un à l’autre par un isthme. Le climat est tropical, la température moyenne est de 26,6° C, les cyclones y sont récurrents et les précipitations abondantes. L’intérieur de l’île est montagneux et recouvert de forêts ou de brousses, c’est pourquoi la population occupe surtout les côtes où elle vit de l’agriculture et de la pêche. En 1767, Tahiti n’abrite pas plus de 40 000 indigènes qui sont présents depuis la seconde vague de peuplement de l’Océanie qui atteignit vers l’an 300 les Îles de la Société jusqu’alors inhabitées. Puis, les maladies apportées avec les navires européens provoquèrent un déclin important de la population (plus que 16 000 individus en 1797). Mais aujourd’hui, suite aux migrations successives venues d’Europe et d’Asie, Tahiti compte 192 760 hab. Et si le français est la langue officielle de l’île, le tahitien y est encore parlé. Cette langue de tradition orale, issue des langues austronésiennes (également parlées à Madagascar, en Asie du Sud-Est et dans le reste de l’Océan Pacifique), est mise à l’écrit par les missionnaires au XIXème siècle pour traduire la Bible.

Premiers contacts avec les Européens

Le premier contact entre Tahiti et la France se fit en avril 1768 lorsque l’officier de marine et explorateur Louis-Antoine de Bougainville (1729-1811), alors qu’il effectuait le premier tour du monde français, décida de mouiller au large de l’île pour quelques jours. Il choisit alors de la baptiser « Nouvelle-Cythère », en référence à l’île grecque devenue le séjour favori d’Aphrodite et de son entourage de jolies femmes.

Cependant, ce n’était pas le premier Européen qui débarqua à Tahiti puisque l’île fut découverte pour la première fois quelques mois plus tôt, en juin 1767, par l’explorateur britannique Samuel Wallis. Ce dernier laissa son nom aux îles Wallis-et-Futuna, une autre collectivité d’outre-mer française de l’Océan Pacifique.

Capitaine Wallis et Reine Oberea à Tahiti, Giovanni Antonio Sasso, Nouvelle Zélande, musée Te Papa Tongarewa.

Rivalité franco-britannique

Dès le début du XIXème siècle, Tahiti fut convertie au protestantisme par la London Missionary Society.

Pomare Ier, John Webber, Nouvelle-Zélande, National Library. Agrandissement : Pomare II, gravure, 1830.Les missionnaires anglais contribuèrent à bâtir et à consolider le règne des Pomare sur Tahiti et Moorea. En 1812, le roi Pomare II devint le premier roi tahitien à se convertir au christianisme. Il fit du protestantisme la religion officielle et majoritaire de Tahiti et des îles environnantes et sa dynastie allait jouer un rôle primordial dans le destin colonial de l’île.

Cependant, en 1834 une mission catholique française de l’ordre des Pères de Picpus s’implanta aux îles Gambier. Lorsqu’en 1838, la mission française fut refoulée de Tahiti, la concurrence entre missionnaires britanniques et français évolua très vite en une rivalité maritime et impériale entre les deux puissances européennes.

La Grande-Bretagne, déjà installée en Australie, prend le contrôle de la Nouvelle-Zélande en 1840. En réaction, le 9 septembre 1842, l’amiral Abel Dupetit-Thouars proclame de son propre chef le protectorat de la France sur l’île de Tahiti. Il est ratifié au nom du roi Louis-Philippe le 20 mars 1843 par le ministre des Affaires étrangères François Guizot.

 Recontre le 1er juin 1842 entre Dupetit-Thouars (assis, à droite), Te Moana, et Pakoko portant une coiffure, Max Radiguet.  Agrandissement : Dupetit-Thouars prenant possession de Tahiti le 9 septembre 1842, Louis le Breton, Paris, musée national de la Marine.

Prise du fort de Fautahua à Tahiti, 17 décembre 1846, Charles Giraud, 1857, Château de Versailles.Un an plus tard, le 6 novembre 1843, l’amiral Dupetit-Thouars décide d’annexer l’île en réponse aux manquements des autorités tahitiennes à l’égard du premier traité. Cependant, le 26 février 1844, le temps que la nouvelle arrive jusqu’à Paris, le roi des Français rejette l’annexion.

Il ne veut pas que l’annexion affecte son «  Entente cordiale  » (l'expression est du ministre François Guizot) avec la Grande-Bretagne de la reine Victoria. Sa crainte n’est pas vaine car, en mars 1844, les marins français expulsent de l’île le pasteur et diplomate britannique Pritchard.

Suite à ces événements, il s’ensuit une guerre franco-tahitienne (1844-1847) qui se solde par une victoire française et la convention de Jarnac. Tahiti et ses dépendances demeurent donc un simple protectorat français.

Annexion de Tahiti par les Français le 29 juin 1880

À la génération suivante, le 29 juin 1880, l’île de Tahiti et les îles Sous-le-vent sont officiellement annexée par la République française. Cette date marque la fin d’un royaume tahitien qui jusque-là - malgré les grands changements intervenus - se trouvait encore en continuité avec le passé. L’île ne put échapper à la grande entreprise coloniale de la Troisième république qui commençait à prendre beaucoup d’ampleur en cette fin de siècle.

Pomare IV et son époux Ariʻifaʻaite épousé en 1832. Agrandissement : Affliction de Pomare IV lorsque les forces françaises débarquent, George Baxter, 1845.Très souvent, la rivalité entre puissances coloniales était une des raisons principales qui poussait à l’annexion d’un territoire. En Afrique on l’a appelé « la course au clocher » ou encore le scramble for Africa.

Or, concernant Tahiti le même phénomène s’imposait aux Français qui craignaient que, sans réaction de leur part, les États-Unis ou l’Allemagne n’intervinssent dans cette sphère d’intérêts française. Les officiels locaux décidèrent donc de réunir sous un même drapeau et au sein d’un même ensemble de lois coloniales les Îles-sous-le-Vent, les Marquises, et les îles du protectorat de Tahiti.

L’autre raison qu’invoquèrent les Français au profit de l’annexion concernait le roi Pomare V qu’ils ne considéraient plus digne « par son caractère et sa conduite, par son peu d’aptitudes aux affaires » de continuer à participer à l’administration de l’île dans le cadre du protectorat.

Pomare V en costume d’apparat. Agrandissement : Pomare V, 1886, photo de Mme Hoare, Paris, BnF.En effet, en 1877, Pomare V avait succédé à sa mère Pomare IV qui avait régné pendant cinquante ans ! Or, les autorités françaises locales regrettaient de ne pas retrouver en lui la même force de caractère ni la même aura qu’avait eu sa mère, elle qui avait réussi à se faire respecter à la fois par son peuple, par les visiteurs de l’île et par l’administration coloniale.

En conséquence, le commandant Planche reçut l’ordre de procéder à l’annexion en septembre 1879 mais ce fut un échec. Il n’arriva pas à rallier les chefs, et sa pétition en faveur de l’annexion ne recueillit que trois signatures. Il fut donc remplacé par le commandant Isidore Chessé, représentant du gouvernement de la République, qui reçut de Pomare V, le 29 juin 1880, les « pleins pouvoirs » sur les îles de la Société et dépendances, faisant de Tahiti une colonie française.

Pomare V accepta de signer en échange de garanties sauvegardant les droits terriens et les libertés des Tahitiens. En outre, il reçut une pension de soixante mille francs par an.

La reine Pomare IV

Portrait de la reine Pomare IV par Sébastien Charles Giraud, 1851. Agrandissement : Photographie de la reine Pomare IV vers 1870, Paul-Émile Miot.La reine Pomare IV règne à Tahiti pendant cinquante ans de 1827 à 1877. ‘Aimata (« mangeur d’œil ») de son nom de naissance, elle arrive au pouvoir à l’âge de 13 ans lorsque son demi-frère Pomare III meurt subitement. Sa forte personnalité surprend les missionnaires britanniques qui voient en elle une femme aux mœurs légères et qui ne pense qu’à s’amuser. Ils comprennent aussi qu’elle veut remettre en vigueur les anciennes coutumes du pays et qu’elle préfère soutenir la religion locale plutôt que la chrétienté. Puis avec le temps les missionnaires arrivent à reprendre la situation en main, faisant d’elle une reine protestante et anglophile. Mais son règne est surtout marqué par sa lutte face à l’influence des Français à Tahiti. Durant la guerre franco-tahitienne elle s’exile sur une île voisine et doit finalement accepter le protectorat confirmé par la convention franco-anglaise de Jarnac. Elle règne alors sous le contrôle de l’administration française jusqu’à sa mort provoquée par une crise cardiaque. Son fils Pomare V lui succède sur le trône.

Photographie officielle de l'annexion de Tahiti à la France. Au centre : Pomare V et Isidore Chessé. Photo Madame Hoare, 29 juin 1880.

La politique coloniale à Tahiti

La politique coloniale des Français à Tahiti fut guidée par deux idées fortes : l’assimilation et la volonté d’instaurer une administration directe. Concernant la politique d’assimilation, un certain nombre de singularités apparurent dès les premières années et démarquèrent ainsi Tahiti des autres colonies de l’empire colonial.

Suite à l’annexion, la France accorda la citoyenneté à tous les sujets du roi - sous réserve qu’ils parlent français -, ce qui constituait un privilège exceptionnel pour l’époque. Alors que les habitants des autres colonies s’apprêtaient à vivre sous le régime de l’«  indigénat », donc en tant que simple « sujets » avec toutes les discriminations que ce statut juridique impliquait, les Tahitiens eux, furent déclarés citoyens au même titre que les Français de la métropole.

Marchand de fruits, Papeete, vers 1895, Paris, BnF.On peut expliquer cette décision de plusieurs façons : tout d’abord l’annexion de Tahiti intervint assez tôt dans la chronologie coloniale française, ce n’est en effet que sept ans plus tard que le régime de l’indigénat fut appliqué pour la première fois dans les colonies (en Nouvelle-Calédonie comme en Algérie, puis en Annam et au Tonkin).

De plus, la citoyenneté française n’était accordée aux Tahitiens qu’en tant que statut personnel non-transmissible, elle ne concernait donc que la première génération. Enfin, cette décision ne prêtait pas à conséquence car la population de l’île n’était pas nombreuse quand on sait qu’en 1911, Tahiti avoisinait les 11 000 personnes dont 2313 « Français » d’origine, et 617 « Européens ».

L’assimilation se fit aussi par la langue car celui qui ne parlait pas français ne pouvait prétendre à la citoyenneté française. Aussi, l’administration coloniale instaura une politique linguistique qui fut d’ailleurs souvent perçue comme une « campagne » contre la langue vernaculaire. Pourtant la langue tahitienne jusque-là orale avait été fixée à l’écrit par les missionnaires.

Mais comme partout dans l’Empire français l’assimilation se fit aussi par le biais de l’école et de grosses dépenses budgétaires furent accordées aux personnels de l’enseignement à Tahiti, sans grands résultats toutefois. Elle se fit également via la culture et les pratiques sportives. Des fêtes patriotiques furent organisées dans le but de faire adhérer les populations tahitiennes aux valeurs républicaines. Par exemple, chaque 14 juillet des courses de pirogue étaient organisées à Papeete, le chef-lieu de la colonie.

Le premier arrivé au marché, Tahiti, Nicolas Chevalier, 1880.

L’autre volet de la politique coloniale à Tahiti consista à instaurer une administration directe. Pour cela, le ministère des Colonies nomma un gouverneur et lui donna tous les pouvoirs pour mener à bien la politique décidée dans les bureaux parisiens.

Ce gouverneur vivait à Papeete où fut également instauré un Conseil municipal faisant ainsi de la ville le siège de l’administration, la résidence de tous les administrateurs et fonctionnaires français, le lieu de réunion de toutes les assemblées et donc le lieu où se concentraient tous les pouvoirs. Papeete regroupait par ailleurs la moitié de la population de l’île et fit l’objet d’une politique de colonisation par l’urbanisation telle qu’on pouvait l’observer dans l’ensemble de l’empire colonial. Dans le reste de l’île, les anciennes chefferies subsistèrent sous le nom de district cependant que les chefs furent assimilés à de petits fonctionnaires français, sans grand pouvoir du reste, ni budget.

En matière religieuse, la République accorda une attention particulière à Tahiti. Par l’ordonnance du 3 février 1880, l’Eglise protestante fut considérée comme une institution officielle. Puis le 23 janvier 1884, un nouveau décret plaça l’institution religieuse sous la surveillance de l’administration. Dès lors, le gouverneur put nommer les pasteurs (qui étaient rétribués par le gouvernement au titre du Concordat de 1802).

La loi de séparation des Églises et de l’État de 1905 ne sera d’ailleurs jamais promulguée à Tahiti comme dans les autres Établissements français de l’Océanie (EFO). En effet, les missionnaires protestants firent valoir au Ministère des Colonies que cette loi remettrait en cause le rayonnement du protestantisme français en même temps que celui de la France car les courants protestants américains auraient eu les moyens de s’implanter plus facilement à la place. Tahiti vit donc encore aujourd’hui avec un régime concordataire semblable à celui de l’Alsace-Moselle.

Tahiti et les colonies françaises de la Polynésie. Femmes tahitiennes habitant Papeete, Henri Le Chartier, 1887, Paris, BnF. Agrandissement : Femmes de Tahiti, ou Sur la plage, Paul Gauguin, 1891, Paris, musée d'Orsay.

L’économie et la culture dans le Tahiti colonial

Avec l’annexion, une nouvelle économie se mit en place à Tahiti. Des planteurs et des négociants développèrent la culture du coprah en créant d’immenses cocoteraies. D’autres exploitèrent la nacre, la vanille, et surtout les phosphates découverts en 1904 sur l’atoll de Makatea. En 1908 fut créée la « Société française des phosphates de l’Océanie » qui assura à la colonie française des revenus substantiels jusqu’en 1966 (date d’épuisement des réserves).

Ces exploitations et ces assimilations de territoires provoquèrent des phénomènes de résistances de la part des populations de l’île ainsi qu’un grand nombre de litiges fonciers. En effet, le principe de la propriété individuelle des colons s’opposait complètement au système d’indivision des populations tahitiennes qui par conséquent tentèrent de garder les terres pour contrer l’administration.

Montagnard transportant des fruits à Papeete, vers 1906.Vers la fin du XIXème siècle, ces mécontentements s’accompagnèrent de quelques mouvements de révoltes de la part des populations locales mais qui n’aboutirent à rien de véritablement concret. En revanche, le 23 novembre 1893, les colons eux-mêmes (des élus locaux) demandèrent à la France d’accorder à Tahiti l’« autonomie administrative et financière ».

Les premières revendications d’autonomie prirent donc l’allure d’une défense des privilèges de l’élite face au gouverneur, comme ce fut également le cas dans les Antilles. Les populations locales quant à elles, exprimèrent le plus souvent une indifférence à l’égard de l’autorité française et de l’administration coloniale qui ne les concernaient qu’exceptionnellement.

Petit à petit, la Troisième République se désintéressa de ces îles trop éloignées et trop coûteuses.

Mais des années plus tard, la France s’intéressa de nouveau à ces territoires. Ce que certains appellent le « Tahiti moderne » naquit en 1962, date de la création du CEP (Centre d’Expérimentation du Pacifique) et de l’implantation du CEA (Commissariat à l’Énergie Atomique). Cette année-là, le président de la République Charles de Gaulle décida effectivement de transférer le lieu des expérimentations atomiques du Sahara (devenu partie intégrante de l’Algérie indépendante), dans les atolls de Mururoa et Fangataufa (archipel des Tuamotu).

La vie des habitants des archipels en fut radicalement changée. Suite à cette implantation, des milliards de francs se déversèrent sur les îles et des milliers d’emplois furent créés. Puis, à cela s’ajouta l’inauguration du premier aéroport international de Tahiti en 1961 qui permit au tourisme de se développer avec beaucoup d’ampleur. Une époque de prospérité inimaginable commença à Tahiti, mais dans le même temps, les inégalités au sein de la population s’exacerbèrent.

Mahana no atua (le Jour de Dieu), Paul Gauguin, 1894, Art Institute of Chicago.

Pour les Français de la métropole, il était difficile de s’imaginer à quoi pouvait bien ressembler la vie à Tahiti. Seules les nombreuses productions artistiques et culturelles qu’elle avait inspirées à ceux qui l’avaient visité purent donner une idée de ce qu’était cette micro-société coloniale.

On pense évidemment aux peintures de Paul Gauguin qui s’y installa et qui peignit l’île et ses habitants. Mais également aux productions littéraires avec Pierre Loti qui lors de son voyage rédigea Le Mariage de Loti (1872), ou encore avec Victor Segalen qui écrit Les Immémoriaux (1905), « le grand roman ethnographique sur Tahiti ». Enfin sans oublier le foisonnement d’images, de photographies et de cartes postales qui circulèrent à l’époque et qui participèrent grandement à la diffusion d’un mythe exotique tahitien en métropole.

Publié ou mis à jour le : 2022-03-22 19:51:26

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