Samedi 24 mai 1749, à six heures du matin, la supérieure de l'hôpital de la Salpêtrière, à Paris, quitte précipitamment l'établissement avec vingt de ses officières. Mademoiselle Julie, de son vrai nom Catherine Huet, est persuadée qu'elle va être arrêtée. C'est le début de xxxl'affaire de « l'Hôpital général » qui dura huit ans et scandalisa les contemporains de Louis XV.
Un an plus tard se produit une émeute, la « Marche rouge », dont on prétendit longtemps qu'elle n'était le fruit que d'une rumeur. Dans les faits elle pourrait bien avoir été la révolte de parents informés de crimes perpétrés contre des enfants captifs à l'ombre de la plus grosse institution laïque de l'Ancien régime : l'Hôpital général...
L'Hôpital général au service du « Grand Renfermement »
L'Hôpital général a été fondé près d'un siècle plus tôt à l'initiative de la Compagnie du Saint-Sacrement, une société secrète catholique, très influente à la Cour où elle était qualifiée de « parti des dévots ».
Caractéristique du Grand Siècle, le XVIIe, à la fois Siècle des Saints et siècle de très grandes inégalités sociales, l'Hôpital général a été fondé par lettres patentes de Louis XIV le 27 avril 1756, sous le ministère de Mazarin. Il a été doté par le roi de quantité de revenus et exempté de charges. Composé des établissements de la Salpêtrière (pour les femmes et les jeunes filles), de Bicêtre (pour les hommes) et de la Pitié (pour les jeunes garçons), il intègre aussi l'œuvre des Enfants-trouvés à la mort de son fondateur Vincent de Paul en 1660.
L'Hôpital général a vocation à secourir les miséreux qui traînent dans les rues de la capitale et mendient aux portes des églises, tout en procédant à leur « renfermement » (c'est le vocabulaire de l'époque) selon les voeux des parlementaires, des magistrats qui ont en charge la préservation de l'ordre public. Il se trouve de fait écartelé entre sa vocation caritative et sa mission de stricte police.
Aucun secours public ou privé ne peut atteindre un miséreux autrement qu'en tombant dans l'escarcelle de l'institution. Les vingt-six gouverneurs laïcs de celle-ci sont cooptés dans le milieu parlementaire et placés sous les ordres du premier Président du Parlement de Paris et du procureur général.
La Compagnie du Saint-Sacrement est dissoute en 1666, le roi ayant attendu pour cela que meure sa mère Anne d'Autriche, proche des « parti des dévots ».
Les gouverneurs jansénistes reprennent alors les rênes de l'établissement où ils font régner une discipline très rude.
Déviances jansénistes
Au siècle suivant, il s'ensuit des plaintes de plus en plus fréquentes pour violences, détournements de fonds et galanteries mais elles ne rencontrent aucun d'écho auprès du Parlement, à la fois juge et partie.
Elles atteignent cependant le roi par l'intermédiaire des prêtres de l'établissement, qui se plaignent régulièrement des façons de faire d'un personnel ouvertement janséniste, alors que la bulle Unigenitus, reconnue loi d'Église et d'État, a condamné sans appel le jansénisme en 1713.
En 1746, Louis XV charge le nouvel archevêque de Paris Christophe de Beaumont d'y mettre de l'ordre et de rétablir la discipline au sein du personnel.
Soupçonnant non sans quelque raison que les officières, les « sœurs » (en fait, des laïques), profitent de sorties prétendument destinées à se confesser pour aller faire la fête, l'archevêque leur impose de se confesser à l'intérieur de l'établissement.
Criant à la persécution, leurs amis les convainquent que des lettres de cachet se préparent contre elles. C'est ainsi que prises de panique, Sœur Julie et ses compagnes désertent l'établissement le 24 mai 1749 au petit jour. Il faut élire une nouvelle supérieure. L'affaire commence !
Le 12 juillet 1749, le conseil d'administration élit une proche de l'archevêque, Madame de Moysan. En signe de protestation, les administrateurs démissionnent en bloc. De leur côté, les magistrats jansénistes lancent une virulente campagne contre la nouvelle administration, et organisent la grève des donations. La nouvelle supérieure fait front ; le roi et l'archevêque mettent la main à la poche pour combler les déficits et les choses semblent devoir se calmer.
La Marche rouge
Mais les soupçons de prévarication et d'abus en tous genres ne cessent pas... Au milieu du siècle, prenant prétexte d'une ordonnance contre les mendiants, les « archers des gueux », qui dépendent de l'Hôpital général, enlèvent en pleine rue des enfants que l'on retrouve par dizaines dans les registres de l'Hôpital général.
Il s'ensuit de nombreuses plaintes de parents. Le samedi 23 mai 1750, une foule exapérée prend d'assaut le commissariat de la rue Saint-Honoré où s'est réfugiée une mouche de la police (un indicateur) nommé Labbé, protégé du lieutenant général de police Nicolas-René Berryer, qu'ils accusent d'être un voleur d'enfants.
À l'issue de cette « Marche rouge », le guet, qui a pris position dans le commissariat, livre l'homme à la foule. Il est alors battu à mort puis traîné par les pieds jusque devant le domicile du lieutenant général de police en guise d'avertissement.
Chargé de l'instruction, le Parlement condamne trois émeutiers à être pendus tandis que les enleveurs d'enfants s'en tirent avec trois livres d'amende, provoquant l'indignation populaire.
La rébellion parlementaire
De son côté, le gouvernement suspecte un lien entre les enlèvements d'enfants et la gestion opaque de l'Hôpital général. Le 24 mars 1751, le roi publie une déclaration des réformes qu'il veut voir appliquer à l'Hôpital général.
Réservant à l'archevêque, chez qui se tiendront les assemblées générales, tout ce qui a trait à la religion et aux sacrements, le nouveau règlement exige désormais la transparence la plus totale à la fois sur les comptes, les investissements, les nominations et le traitement réservé aux enfermés.
Pour être applicable, le nouveau règlement doit être enregistré par le Parlement mais celui-ci est constitué de privilégiés qui ont acheté leur charge et se prennent d'envie de contester l'autorité royale. Il refuse d'enregistrer édit et prétend procéder à l'enregistrement d'un autre règlement qui défait tout ce que le roi a fait. C'est le commencement d'une rébellion qui débouchera vingt ans plus sur l'exil du Parlement !
Par un lit de justice, Louis XV se présente en personne devant les parlementaires et les contraint à enregistrer sa déclaration devant lui. Il exige que tout ce qui touche à l'hôpital soit désormais retiré aux magistrats. Ceux-ci, en protestation, déclenchent une grève générale de toute la machine judiciaire.
« Le cours de la justice fut interrompu pour deux femmes d'un hôpital », gémit Voltaire. « Jamais plus petite affaire ne causa une plus grande émotion dans les esprits ». Peu clairvoyant, l'écrivain ne voit en effet dans cette querelle qu'un épisode de la guerre que se faisaient jansénistes du Parlement et molinistes de l'archevêché.
Le roi ne s'en tire qu'en menaçant de retirer leurs charges aux rebelles, mais jusqu'à l'attentat de Damiens en janvier 1757, il lui sera impossible de rien faire enregistrer par les juges que par lit de justice.
Vos réactions à cet article
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Ty bihan (24-05-2024 21:06:09)
Marion Sigaut, une ancienne lambertiste ( O.C.I) qui a viré extrême-droite, proche de Soral et autres Dieudonné et Marion Le Pen. Même Dupont-Aignan s' en est séparé. A lire avec modération.
Ty bihan (24-05-2024 20:55:59)
Merci pour cet article détaillé et édifiant quant au pouvoir des puissants. Il n' est pas facile de nettoyer les écuries d' Augias dans une société. Cet article invite à découvrir l' envers du... Lire la suite