Jusqu'à l'An Mil et au-delà, les Européens s'en tenaient à un nom unique. Ce nom octroyé au moment de leur baptême était emprunté de façon assez libre à un personnage de l'Ancien ou du Nouveau Testament, plus souvent encore à un saint du martyrologe (dico), voire à un saint local plus ou moins imaginaire. Le nouveau baptisé était ainsi placé sous la protection de ce saint patron.
Puis au XIIe siècle sont apparus des surnoms évocateurs du métier (Lefebvre), du lieu de résidence (Dupont) ou du physique (Lebrun). Ils ont facilité l'identification de chacun dans des villages ou des communautés où les noms de baptême étaient souvent redondants. Complétant le nom de baptême, ces surnoms en sont venus à se transmettre de génération en génération jusqu'à devenir le nom de famille ou « patronyme » (« nom légué par le père »). Les Français ont dès lors appelé le nom de baptême « prénom ». Les Anglais ont quant à eux continué de le qualifier de first name (« premier nom ») et emploient le mot surname (« surnom ») pour le patronyme.
Au Temps modernes, dans la société aristocratique et bourgeoise du XVIIe siècle, l'éventail des prénoms s'est diversifié pour des motifs que moque le moraliste Jean de La Bruyère : « C’est déjà trop d’avoir avec le peuple une même religion et un même Dieu : quel moyen encore de s’appeler Pierre, Jean, Jacques comme le marchand ou le laboureur ? Pour nous autres grands, ayons recours aux noms profanes : faisons-nous baptiser sous ceux d’Hannibal, de César et de Pompée : c’étaient de grands hommes ; sous celui de Lucrèce : c’était une illustre Romaine ; sous ceux d’Achille, d’Hercule, tous demi-dieux. Et qui nous empêchera de nous faire nommer Jupiter ou Mercure, ou Vénus, ou Adonis ? » (Les Caractères, 1688). Sous la Révolution sont apparus aussi les prénoms « patriotes », empruntés à l'Antiquité ou au vocabulaire révolutionnaire (Graccus, Brutus,...).
Soucieux d'ordre, le Premier Consul Napoléon Bonaparte a mis le holà à cette exubérance par la loi du 11 Germinal An XI (1er avril 1803). L'article 1er énonce : « À compter de la publication de la présente loi, les noms en usage dans les différents calendriers, et ceux des personnages connus de l'histoire ancienne, pourront seuls être reçus, comme prénoms sur les registres de l'état civil destinés à constater la naissance des enfants ; et il est interdit aux officiels publics d'en admettre aucun autre dans leurs actes ».
Il n'est dès lors plus rien resté de la fantaisie qui avait cours dans l'attribution des prénoms aux nouveaux-nés, au moins dans certains milieux. Les prénoms traditionnels catholiques se sont imposés avec une très forte prévalence de Jean et Marie (un cinquième des baptisés !).
Vers une absolue liberté de choix
Il faudra attendre la loi du 8 janvier 1993 pour que liberté soit rendue aux parents dans le choix des prénoms de leurs enfants, même si les officiers d'état-civil gardent le droit de faire obstacle à des fantaisies malvenues, droit dont ils se prévalent très rarement.
Il s'ensuit que la palette des prénoms, après une remarquable stabilité autour de 2 000 prénoms jusqu'en 1945, s'est diversifiée jusqu'à atteindre plus de douze mille prénoms différents chaque année en 2012, non compris les prénoms « rares » à moins de trois occurrences par an (Jérôme Fourquet, L'Archipel français, Seuil, 2019).
Le 4 mars 2002, enfin, la loi Gouzes relative aux noms de famille a modifié les règles relatives à la transmission du nom. Celui-ci était légalement qualifié de « patronyme » par le fait que depuis son origine, au XIIe siècle, il était transmis par le père à ses enfants.
En vertu de la loi, il est désormais plus simplement appelé « nom de famille ». Par ailleurs, les parents se voient autorisés à donner à leurs enfants soit le nom de l'un ou de l'autre, soit les deux noms séparés par un tiret. La loi prévoit aussi l'obligation pour les enfants, à la deuxième génération, de ne choisir que l'un ou l'autre de leur nom, s'ils veulent l'associer à celui de leur conjoint.
Vingt ans plus tard, en 2022, le Parlement s'est saisi d'un projet de loi en vue de simplifier les procédures de changement de nom, celles-ci devenant automatiques sans que les demandeurs aient à motiver leur requête.
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jarrige (12-04-2023 10:37:07)
Ça promet bien du plaisir !
jarrige (12-04-2023 10:32:00)
1er paragraphe: "officiel public" ? Ne dit-on pas officier public.
Herodote.net répond :
Le texte que nous avons consulté indique bien "officiels"...